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Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

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Billet de blog 6 mai 2023

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Sept milliards de miroirs

La connerie est en accès libre 24 h sur 24 sur la toile et ailleurs. Disponible même dans son miroir. Et apparemment, même la psychanalyse ne peut pas agir sur notre connerie. Inutile donc de changer de miroir. Que reste-t-il alors quand tout a échoué ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

cet homme est un con.flv © baloolesommelier

« Un jour, je te décevrai, et ce jour-là, j'aurai besoin de toi. »

Robert Desnos

« La psychanalyse est sans effet sur la connerie. »

Jacques Lacan

        La toile réserve de belles surprises. Comme cette vidéo. Percutante. Quelque peu validiste ? Une question que pourraient poser d’aucuns en notre ère ou la critique et le débat sont devenus des sports de combat. Même entre amis de longue date. Sexiste, raciste, antisémite, homophobe, transphobe, validiste, réac… Une liste non-exhaustive d’étiquetage express d’un ou une interlocutrice. Parfois une qualification à juste titre. Toutefois certains et certaines se servant de ce genre de raccourci choc pour manipuler une conversation. Se faire passer, devant un petit ou large public, pour la victime. Alors qu’en fait, à court d’argument, on sort notre arme pour clouer le bec à l’autre- devenu soudain le mal personnifié. Une très bonne façon d’être incritiquable. Tes propos me semblent frôler le racisme. Mon interlocuteur s’était tu. Et j’avais repris l’avantage. Il n’était pas du tout raciste. Une méthode que j’ai utilisée une fois. Certes pas fier. Méthode devenue monnaie courante ?

Bien sûr que les propos et actes discriminants existent. Racisme, antisémitisme, sexisme, homophobie... La liste est très longue. Une réalité en notre époque de retour du pire. Et de cerveaux replongés dans des trouilles et superstitions de la nuit des temps. Pourquoi je n'aurais pas le droit de dire que la terre est plate ? C'est ce que je pense. Pourquoi je n'aurais pas le droit de m'exprimer ? On ne peut plus rien dire de nos jours. Une phrase souvent entendue. Pas plutôt le contraire ? Suffit de se promener sur les réseaux sociaux pour se rendre compte que nous avons- contrairement à ce que d’aucuns prétendent-le droit de tout dire. Évidemment pas un droit lié à la légalité. Mais à celui de la libération de la haine. Confondant liberté d’expression et crachat numérique. Et le sale blanc ? Il existe aussi. Oui. Même si c'est en moins grande proportion. Mais tout aussi ignoble que tous les autres « sale.. .». Encore de très nombreux combats à mener contre toutes les obscurantismes,L'horreur ne s'est pas arrêté sur le seuil de l'an 2000. Beaucoup de pain sur la planche de notre siècle.

Dont celui de la parole. Parler sans communiquer devient difficile.  Désolé de mettre la parole sur le même plan que la communication. Mais c'est une réalité. Pourtant elles sont différentes et n'ont pas les mêmes objectifs. La parole et la communication de plus en plus liées dans nos usages quotidien de la langue. Tous et toutes  en vitrine mobile. Chacun sa soupe numérique à vendre. Avec des places bien numérotées sur le grand marché de soi et son entre-soi. Bien à l'abri dans sa boutique. La seule à détenir la vérité et parler vrai. Toutes les autres boutiques mentent et font de la propagande. Nouvelle communication de la division ? Choisis ton camp camarade : le bien ou le mal. Avec moi ou contre moi. Et ne te pose surtout pas de questions.

Un tableau trop pessimiste de nos échanges ? C’est vrai que tout n’est pas si sombre que ça. En effet, nos échanges ne sont pas uniquement réduits à la vente de soi ou de sa famille de pensée. Le dialogue n'a pas disparu. Il ne peut disparaître. Et la communication – souvent décriée à juste titre- n’est pas non plus la grande méchante louve ; elle permet aussi la circulation de la beauté : spectacle, ciné, livres, expo, bonnes causes. Un outil technique d’information mais pas de la parole- très malmenée de nos jours et nuis ponctuées de pouces levés ou baissés. Que faire quand les propos ou les pensées des uns, des unes, des autres, sont si souvent réduits à travers des raccourcis et anathèmes ? Polémiquer de tout mais pas avec n’importe qui ?  C'est une solution de choisir ses partenaires de dialogue. Ou finir par n'échanger que sur la pluie et le beau temps ?

Sale temps pour les débats d'idée. Guère un scoop. Plus que la météo, la fiction, la poésie, pour pouvoir parler - sans raccourcis- de soi, de l'autre, du monde, et du reste ? À mon avis, l'art sous diverses formes est un des derniers espaces de pensée complexe et d'appel au doute. Avec la possibilité de se contredire et d'emprunter des chemins non balisés.  L'art permet  d'élargir nos points de vue - parfois voilés de nos certitudes - pour éviter de se focaliser sur une vision simpliste : pour ou contre. Méfiance, car certains et certaines veulent imposer l’étiquetage du bien et du mal même dans le domaine artistique. Avec le désir in fine de juger toute création à l'aune morale et idéologique. Une sorte de filtre à art.  Avec le  droit de pouvoir tout dire, écrire, peindre, filmer, mettre en scène; sauf ça, ça, ça... Pour ne pas commettre la moindre erreur dans votre création, nous vous proposons une appli « Créer sans choquer » et de nombreux tutoriels.  Bientôt une signalétique imposé du chemin vers les œuvres ?

Pourquoi pas lancer une nouvelle campagne comme celle de la vidéo ? Avec dans le rôle du Con, un homme, une femme, un Noir, un Arabe, un Musulman, un Juif, un Asiatique, un Hétéro mâle blanc dominant pleurnichard, un riche pauvrophobe et méprisant, un pauvre soumis et richophobe, un artiste de droite, un artiste de gauche, des LGBT, un, une, des … De vrais cons ? Difficile à trouver, car personne ne se revendique de sa connerie. Le con et la conne, c’est souvent pas soi. Tous nous descendre de notre piédestal d’incriticabilité. Ne serait-ce qu’à travers une courte scène tragi-comique. Dans quel but ?

Rappeler que tout n’est pas aussi simpliste que « c’est un... » ou « c’est une... ». Nos raccourcis sincères ou dans un but de manipulation. Parfois par manque d'arguments ou fainéantise mentale pour développer plus et "risquer" la polémique. Il me semble plus intéressant de considérer chacun de ces individus – différents et parfois adversaires, voire ennemis-finalement humains. Porteurs d'ombre et de lumière. L'autre toujours plus complexe qu'une formule l'assignant d'emblée au rôle du méchant ou de la méchante.Comme dans nos contes de gosses.  Cela dit, nous avons  tous et toutes au moins un point commun ; accessibles à la connerie humaine. Souvent générée par notre capacité à nous croire détenteur de la vérité et meilleur façon de penser et vivre. Nos certitudes sont parfois bornées.

Comment conclure les digressions de ce billet? Malheureusement pas par des solutions. Un billet d’humeur ne peut en apporter, juste proposer un point de vue personnel. En guise de conclusion, revenir à la vidéo - déclencheuse de la rédaction de ce billet-  en évoquant la connerie humaine ? Certes un fourre-tout du même genre de raccourcis dénoncé au fil de ce texte. Mais la connerie - si bien mise en scène par ce court film sur le handicap - me semble une des caractéristiques  les mieux partagées de l’humanité. Et à toutes les époques. De plus, on la trouve partout. Elle est en accès libre 24 h sur 24 sur la toile et ailleurs. Disponible même dans son miroir. Et apparemment, même la psychanalyse ne peut pas agir sur notre connerie. Inutile donc de changer de miroir. Que reste-t-il alors quand tout a échoué ?

La poésie et son complice le silence. Plus l'écoute.  Savoir écouter est une denrée de plus en plus rare. La poésie, celle qui ne court pas après les followers et likes,  peut regarder droit dans les yeux le reflet de notre siècle. Essayer d’apporter de la beauté au visage usé de notre vieille humanité. Sans toutefois arrêter la marche vers le mur. Mais la planète n’a pas cessé de tourner. Malgré nos coups et blessures, avec ou sans intention de la détruire, elle continue de nous supporter, de nous alimenter… Que faire à son petit niveau pour ne pas la laisser tourner toute seule ? Occuper du mieux possible sa place éphémère. Comment  rester le plus  présent  face au miroir du monde ? Sans se prendre pour l'ego et le nombril de l'univers. C'est tout à fait possible. En changeant son regard. Et sans jamais oublier l'essentiel. Ne jamais penser sans elle. Qu'est-ce que cet essentiel ?

Sa part de doute sur soi.

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