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Billet de blog 7 mai 2023

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En chair et histoires

Chaque visage cache une forêt d’histoires. Petites ou grandes. Moches ou belles. Invisibles ou s’affichant sur tous les écrans. D'ici ou d'ailleurs. Personne n’est rien. Des milliards d'acteurs et d'actrices de l’éphémère. Trainant dans leur sillage toutes sortes d’histoires. Chaque passage unique.

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« Ne me secouez pas, je suis plein de larmes. »

Henri Calet

            Chaque visage cache une forêt d’histoires. Petites ou grandes. Moches ou belles. Invisibles ou s’affichant sur tous les écrans. D'ici ou d'ailleurs. Personne n’est rien. Contrairement à ce que d’aucuns prétendent.  Leurs propos bien loin du «  rien qui porte en lui tous les rêves du monde » du grand poète Fernando Pessoa. Du bas en haut de l’échelle, des voix et des doigts désignent l’autre, pas de son miroir ni de sa famille, comme n’étant rien. Ou pas grand-chose. Une quantité négligeable à rejeter à l’eau, tabasser, violer, détruire… Notre siècle n'a pas le monopole du rejet de l'autre. Des systèmes totalitaires ont broyé des millions de chairs-rien « chairs-rien »dans leur machine dévoreuses de semblables. Nous avons de nombreux exemples dans le passé. Et aujourd’hui.

L'humanité perd-elle la mémoire de ses horreurs passées à chaque siècle ? Combien encore de « plus jamais ça » ?  Dans plusieurs parties du globe, des individus sont écrasés par les bombes, réduits à la famine, condamnés à l’exil, ou à survivre sur une terre par le soleil. Qui sont ces tueurs à distance ? Des princes en costume cravate ou la tête ceinte d’une coiffe royale. Chacun se réclamant du clan du bien. Le mal toujours dans l’autre camp. Ils ont tué cette petite fille.  Elle se nommait Amal Hussain et portait des histoires. Celles de son âge qu'elle aurait dû avoir si.... Des hommes puissants n'avaient pas décidé de son histoire. Et celle de tout un peuple. Une rien sur la balance des échanges financiers. Seule une de ses histoires- jamais vécues- a fait les Unes du monde entier : sa fin programmée. Elles comme d’autres ailleurs. Personne ne racontera ou n'écoutera leurs histoires. Elles sont passées par pertes et fracas du siècle. Leurs histoires tues.

Éloignons-nous de certaines contrées lointaines – destruction de peuples trop loin pour arriver sur les bureaux de nos médias ? Nous allons nous rapprocher de notre pays. D’une ville. D’un quartier. Ici, pas de bombes en suspens au-dessus de nos têtes. Un pays que nombre d’écrasés aimerait rejoindre. Un pays que nombre d’écrasés aimerait rejoindre. Mais pas l’enfer de la guerre et famine vécu ailleurs. Où sommes-nous arrivés ? Dans une rue sous une toile bleue de printemps. Des hommes et des femmes regardent les passants. Dans une rue sous une toile bleue de printemps. Comme un cinéma à ciel ouvert.

Je suis un de ces espions assis sur un banc. Dans un lieu où nombre d’histoires vont et viennent. Femmes, hommes, enfants, petits, grands, grosses, gros, jeunes, vieux, blancs, noirs, jaunes, beaux, moches, brillants, ternes, front inquiet, large sourire, courant, flânant… La plupart d’entre eux ne se connaissent pas. Même s’ils jouent tous dans le même film. Avec un point commun. Tous ces acteurs ont la même place au générique. À l’instant où ils, elles, et tous les genres, passent sur cette rue du monde. Des acteurs et des actrices de l’éphémère. Trainant dans leur sillage toutes sortes d’histoires. Chaque passage unique.

Paroles échangées dans mon dos. Les propos d’un couple attablé à une terrasse de café. Très proche du banc. C’est incroyable ! Privé de 90 jours de pain. Je tends l’oreille. Je n’ai jamais entendu évoquer une telle peine dans notre siècle. Et d’autant plus paradoxal dans un pays où la boulangerie est érigée en art. Pourquoi les étrangers viennent manger le pain des Français. La question posée par un copain qui, un sourire en coin, répondait toujours : parce qu’il est super bon. Mais pas question de la qualité du pain dans les bouches du couple. C'est incroyable ! J'y crois pas qu'un truc comme ça puisse arriver en France. La vidéo est relancée. Je n'entends que quelques bribes. Mais les commentaires du couple comblent les trous.

L’histoire d’un homme de 71 ans tournant sur la toile. Sortant d’une boulangerie, le retraité avait oublié d’attacher sa ceinture de sécurité. Contrôle de gendarmerie. D’habitude, je la mets toujours, mais là y a un copain qui est passé, je l’ai salué, j’ai été distrait et je suis parti sans mettre ma ceinture, expliquera-t-il aux gendarmes. C’est 90 euros si vous la payez dans un délai de dix jours. Le retraité n’en revient pas. J’imagine cet homme tournant sa tête de droite à gauche. Cherchant une caméra cachée. En vain. Bienvenue dans la «  Douce France » de Kafka. Le verbalisé reconnaît sa faute. Répétant qu’il n’a jamais eu une amende de sa vie. Une première pour lui. Suffit d’une admonestation et lui demander de mettre sa ceinture.

Même invoquer sa maigre retraite n’a rien changé. Deux gendarmes intraitables. C’est le règlement. Auraient-ils coffré le Petit prince pour vérifier son identité ? Sans doute que d’autres flics auraient fait preuve de discernement. C’est bon pour cette fois-ci. Qu'on vous y reprenne pas. Circulez. Ça m’est déjà arrivé d'être en légère infraction – très rares ou menteurs ceux et celles qui n’ont jamais enfreint la loi - et repartir sans PV. D'autres citoyens et citoyennes ont dû bénéficier d'indulgences de pandores- non-robotisés. Pas ce retraité verbalisé pour défaut de ceinture. À 71 ans, un citoyen privé de 90 jours de pain. Déjà qu’il fait ceinture avec sa maigre retraite. Comme des millions d’autres...

Fake news ou non ? Je me le suis demandé. Me méfiant toujours des vidéos sur le Net. Souvent découpé que pour ne nous proposer qu’un moment de la scène. Un seul point de vue. Mais à l’intonation des voix du couple, de leur indignation, j’ai opté pour les croire. Peut-être à tort. Si c’est faux, ce ne sera pas une fake news très dangereuse. Contrairement à d’autres... Tous deux ont continué de parler. Une conversation ponctuée d’étonnement, de nouvelles indignations (dont le départ à la retraite du «  chef des sages » à 50 ans- échauffés par la vidéo du retraité avec 90 jours de pain en moins ? ), des rires… Parfois en désaccord sur un sujet extrait de la toile. Se réconciliant très vite en passant à autre chose. Deux vieux gosses auscultant le monde. Impuissants à le changer mais capables de l'engueuler. S'indigner. Mais aussi d’applaudir telle ou telle belle image des humains. Plus difficile à trouver mais elles existent. Un couple très bavard.

Une sorte de revue de presse nationale et internationale avec leur smartphone. Pas pires, ni meilleures que certains chroniqueurs de radio ou de télé. Avec une différence : leurs mots et expressions ne sont pas sortis des écoles de journalisme et autre grande école. Sans le formatage quasi-endogamique de beaucoup de ces voix interchangeables déroulant le monde dans nos oreilles. Parfois, faut le reconnaître, il y a de très belles revues de presse et édito de journalistes. Journaliste est un métier comme d'autres: bien ou mal fait. Ne pas jeter le bébé avec l’eau des ondes de Radio France. En tout cas, nous sommes nombreux  à aimer ça, puisqu’on continue de les écouter. Offrir moins de temps d’oreille aux radios publiques- de plus en plus privatisées par des mains de vieux ados se croyant dans leur salle de jeux et oubliant leur service au public ? Une question que je me pose souvent. Mon radio-réveil a toujours le premier mot.

Quelle forêt d’histoire cache leur visage ? À leurs mots et leurs préoccupations, je me doute de quel milieu ils sont. Sûrement de la classe moyenne. Moi, je suis pas comme eux, moi je suis pas née avec une cuiller d’argent dans la bouche. Fallait que je bosse très vite. Les propos de la femme suivis d’un silence. Revenue à ses premiers pas ? Nostalgique d’une enfance perdue très vite au profit de la réalité ? Moins de colère dans la voix de l’homme. D’un autre milieu que sa compagne ? Une colère apaisée avec l’âge ? Nulle colère en lui ? Des questions qui resteront sans réponse. Juste des voix d’ici.

Je me suis retourné. C’est un couple de septuagénaires. Elle verre de blanc, lui café. Tous les deux comme au chevet de la planète. Des milliards d’histoires défilant dans un rectangle lumineux. Ce pays c’est eux. Ce monde c’est eux. Ce siècle c’est eux. C’est moi. C’est vous. C’est toi. C’est nous. C’est… La liste est trop longue des colocataires de la planète. On peut en croiser un certain nombre le temps de son histoire. Rencontre passagère ou relation durable. Notre histoire voyageant aussi dans d’autres regards. Des faces toutes différentes.

Individu venu d’ici, d’ailleurs, de l’autre côté, revenues, reparties… S’aimant ou se détestant. Beautés et banalités des frottements humains depuis la nuit des temps. Solitude au croisement de solitudes. Rien de nouveau sous les étoiles. Mais toujours de nouvelles naissances. Des êtres différents. Et remplaçables par d’autres générations. Avec néanmoins un trait commun.

De histoires d'être unique

NB : Le début de chantier d’un recueil de nouvelles. En phase ou non avec l'actualité. La plupart des textes de ce recueil seront issus de ce blog. Fictions et réalités mêlées.

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