
07 h 58. Très belle rencontre pour FH (homme ou femme au gré du récit). Sans s’y attendre du tout. Où ? À domicile. Ni un rendez-vous, ni un hasard. Mais elle ne savait que cette rencontre aurait lieu. Eux non non plus. Pourtant, c’est bel et bien arrivé. Rien de très important au regard du chantier plutôt sombre du siècle. On ne va pas en chier une pendule, lui disait un voisin. Pourtant, même rien sur la balance du monde, c’est très important. Comme toutes les petites choses arrivant à chaque individu. Tout est parti d’eux. Sans leur travail solitaire, un labeur dans l’ombre, jamais cela se serait produit. Quel est leur nom ? En fait, ils appartiennent à quelqu’un. Qui ? Elle n’a pas la réponse. Même pas un prénom, une date de naissance, une nationalité, une page FB, un lien Twitter ou Instagram… ? Non. Rien du tout. Important de connaître son patronyme ? Pourquoi ? Pour transmettre ce bel instant à d’autre. C’est vrai. Je n’y ai pas pensé, se dit-elle. Trop concentrée. Nécessaire de transmettre ?
Oui. C’est très important de chercher à partager. Que les égoïstes à tout vouloir garder pour eux. D’autant plus facile de partager en notre ère de grande technologie de la communication. De nos jours, tout peut se transmettre et en très vite. C’est vrai que partager est vraiment important, mais… Comment dire ? C'est... Le mot, n’est -il pas quelque peu récupéré ? Comme les amis, la résilience, etc. Réellement un partage ou juste une excroissance de son ego pour dire, j’ai vécu ça et je suis passé là ? Des interrogations qui ne font pas le poids contre eux. Il balaye toutes ces questions inutiles- à cet instant précis. Pour e consacrer à leur présence. Et les accueillir comme ils le méritent. Venus jusqu'à chez lui. Sa tasse de café à la main, FH se trouve dans dans sa cuisine. Devant la fenêtre sur mars. Dehors, un jour ordinaire à première vue. Avant cette rencontre.
Quelque chose se passe ? Quoi ? Elle s’apprête à répondre et se ravise. Encore une question. Ignorons-la. La question s’éloigne. Tant mieux, souffle-t-elle. D’habitude, elle préfère les questions aux réponses ; parfois, comme ce matin, ni les unes ni les autres. D’autres pointent leur nez. Elle détourne rapidement les yeux pour éviter leur regard. En vain. Mes origines ? Mon sexe ? Mon genre. Mes orientations sexuelles ? Ma couleur de peau ? Ma religion ? Mon régime alimentaire ? Ma couleur politique ? Savoir qui vit ce moment. Et pourquoi ? Tout décortiquer. Ce moment n’a pas besoin de savoir par qui il est vécu. Encore moins de se justifier. Elle ouvre une des fenêtres sous son crâne. Pour évacuer la nuée de questions. Puis elle la referme. Déterminé à se rendre disponible à leur présence.
Ce moment est très fort. Quelle est sa force ? Notamment d'échapper aux étiquettes. Celles que je-tu-vous-nous collons. Ne supportant pas quand elles nous sont accolées. Une sacrée gageure d'y échapper. Surtout en notre époque très étiqueteuse et de jugement express. Une grande chance de pouvoir – ne serait-ce qu’une poignée de minutes – sortir des nouveaux radars contemporains dirigés sur l’autre, avec des grilles d’identification ; un scan de son semblable des pieds au cerveau en passant par le sexe et le cœur. Avec moi-nous ou contre nous-moi ? Que de check-point mobile entre individus. Revenons à eux. Et ce qu’ils apportent. Ici, à cette seconde précise; pas le moindre contrôle d’identité. Juste une rencontre ici et maintenant. Et nul œil numérique piégeur d’éphémère.
Nombre d’êtres vivent ce genre de « hors champ » du monde. En suspens. Certes, plus facile à vivre pour certains et certaines. Comme FH et d’autres, qui ont on le temps. Non contraint par un horaire à courir, pour aller au boulot, courir, pour revenir, avant les autres courses à domicile, jusqu’à extinction des feux. Profiter du « hors champ » de la course quotidienne n’est pas donné à tous les passagers de la planète. Les ouvriers à la chaîne, les maçons sur un chantier, les profs dans un collège, les infirmières, les trader, les financiers… Pourquoi les deux dernières professions dans cette liste non-exhaustive ? Comme les autres, ils n’ont pas le temps. En tout cas celui non enfermable dans une courbe d'écran. Bien sûr, ils ne sont pas à plaindre sur le plan matériel. Rien à voir avec les conditions d’une infirmière ou un maçon au dos cassé dont le temps est compté. Les prisonniers, les populations sous les bombes, ont sans aucun doute aussi très peu de rencontres de ce type. Encore moins que les ventres vides au visage de cadavre. Sans transition, revenons à ce bel instant de mars. Que faut-il pour pouvoir profiter de la beauté fugitive ?
C'est un grand luxe. Lequel ? Avoir le temps. Rien ne peut se faire hors de lui. Que ce soient des petites ou des grandes choses. Contrairement à ce que pensent certains mortels arrogants, le temps est le seul maître des horloges. À commencer par le tic-tac sous la poitrine. Un jour, quelle que soit sa position sur l’échelle, chacun chacune se rend compte de la puissance du temps. Incontournable. Surtout quand les saisons se décomptent pour son histoire se rétrécissant. Au moment de sa fin rapprochée, on se rend compte de sa valeur. Et, quand on a le désir et plaisir de vivre, de la richesse d’en posséder beaucoup. Le plus possible. Ne serait-ce que pour suivre des yeux le vol d’un oiseau, jouer au foot ou une autre activité avec ses petits-enfants, boire un demi en terrasse, frotter son corps contre un autre sans le regard de la pointeuse, ne rien faire, jardiner, écrire, jouer de la musique, se marrer autour d’un barbecue, s’étendre sur un tapis de yoga, lire, jouer à la pétanque… Chaque est celle de son histoire. Certes, FH n'est pas la première à parler du luxe du temps. Ni le dernier. C’est un des sujets récurrents de la littérature, du cinéma, du théâtre, etc. Le temps est souvent au centre des interrogations et de préoccupation des artistes. Plus des sociologues, philosophes, etc. Et en réalité de sept milliards de mortels. Un sujet dont on parlera encore longtemps.
Quel nanti je suis, se dit FH. À la tête d'une grosse fortune : tout ce temps non cédé à un grand ou très grand patron (pas le petit artisan, l’agriculteur d’une maigre exploitation, et autres entrepreneurs galérant) pour qu’il puisse s’offrir du temps pour rêver au bord de sa piscine, marcher solitaire dans son grand parc, etc. Nulle doute qu’un jour, des réfractaires ou de rebelles refusant de suer pour engraisser quelques-uns, vont finir en vieille cigale avec minimum vieillesse. FH sera sûrement dans le lot. Toutefois pour un certain nombre d’entre eux comme FH ; sans le moindre regret de ne pas avoir dilapidé leur temps en l’offrant à une minorité avide de la sueur et des heures des autres taillables et corvéables. Trêve de circonvolutions, FH se considère comme nanti. Chanceux de pouvoir prendre le temps de vivre pleinement le moment. Ici et pas au-delà. Et cerise sur les secondes passagères, de pouvoir prendre du temps pour en parler sur ce blog. Vraiment très nantie. Consciente aussi d’un seul coup du privilège de vivre dans ce pays. Bien sûr, la majorité de la population vit ou survit durement. Avec peu ou un revenu moyen. Parfois encore moins que peu. Suffit de regarder autour de soi pour constater la précarité, la pauvreté, la misère, de plus en plus grandissante. Le tout sous un soleil carnassier prêt à tout dévorer.
Culpabiliser de vivre de bons moments ? Pense à lui, à elle, à eux… Honteuse parce que nantie au regard de tant d’autres encore plus écrasés que soi ? C’est le but des jongleurs de chiffres. Les mêmes voulant prendre encore plus de temps à celles et qui ont peu. Avec plusieurs discours. Dont celui d’asséner à celles et ceux qui ont peu qu’il y a des peu encore plus précaires qu'eux. Quelle grande chance sur la planète à feu et à sang. Faut être réaliste et donner plus de sa sueur et de son temps. Pour que celles et ceux ayant beaucoup puisse avoir plus. Restons sourds à leurs injonctions et évitons les leurres. Ne boudant pas nos petits plaisirs. Encore moins la joie. À l’heure des problèmes à la pompe, elle reste notre meilleur carburant. Rien de plus essentiel que la joie et, ultime consécration, d’atteindre le bonheur. Une énergie qui fait avancer toutes nos solitudes. Mais aussi chaque peuple ? Un carburant qui devrait être mondial.
Utopie !
Bobo !
Bisounours !
Quelle célérité. Comme d’habitude, les Cassandre numériques et autres distributeurs de morosité dégainent toujours les premiers. Leur but est de tuer toute joie pour pouvoir dérouler leur fiel et boue. Jouant sur le velours sombre de l’époque. Très facile de monter du doigt tout ce qui ne va pas. La douleur et souffrance courent les rues du pays. De l’autre côté des frontières, le même constat sombre- multipliée par les guerres, la sécheresse, et d’autres causes. Miser sur la noirceur rapporte à tous les coups. Comment échapper aux dealers de morosité ? En ne comparant pas sa joie et son bonheur. Ce qui n’empêche pas de voir la douleur des autres. S’indigner et être en colère. Tenter à son petit niveau de faire quelque chose. Pour l’autre et la planète. Sans se faire engluer par la morosité.
Profiter même d’un bref instant. Comme celui de ce matin dans une cuisine. Une rencontre qui a eu lieu grâce à un très bel outil. Des dizaines de millions d'individus- très différents les uns des autres- l'utilisent au quotidien. Un outil qui déplaît à certains. Pourquoi ? Parce qu’il ne rapporte pas assez ? Pourtant, un joyau que nombre de pays envie aux habitants de France. Connu et reconnu bien au-delà des frontières. Quel est ce joyau à la portée de tous et de toutes et sans carnet d’adresses ? Radio France. En l’occurrence France Musique. Quelle était cette belle rencontre de 07 h 58 ?
Des doigts sur un piano.
NB : Le personnage FH est le condensé de beaucoup d’autres. Celles et ceux dont le temps est essentiel. Autrement dit la majorité du pays et de la planète. Une fiction inspirée d'une conversation avec un ami auteur travaillant entre autres sur le temps.