Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

1813 Billets

0 Édition

Billet de blog 8 octobre 2016

Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

Lettre à Nous

Qui a déjà entendu «le monde va bien»? À croire qu’il est toujours dans un sale état. Plus mal à notre époque que dans le passé proche ou lointain ? Ne pas oublier que le siècle dernier a débuté par une des pires boucheries de l’histoire de l’humanité. Ce début de siècle, toutes proportions gardées, semble aussi fort mal barré. Avec l'impression de sept milliards de déboussolés.

Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Guerre et Paix © Candido Portinari

« Dire que, quand nous serons grands, nous serons peut-être aussi bêtes qu'eux !».

La Guerre des Boutons, Louis Pergaud

Qui a déjà entendu « le monde va bien»? À croire qu’il est toujours dans un sale état. Plus mal à notre époque que dans le passé proche ou lointain ? Ne pas oublier que le siècle dernier a débuté par une des pires boucheries de l’histoire de l’humanité. Ce début de siècle, toutes proportions gardées, semble aussi fort mal barré. Avec l'impression de sept milliards de déboussolés. Certains bien sûr beaucoup plus touchés que d’autres par ce déboussolage planétaire. Le monde coupé en deux: ceux qui souffrent de la folie guerrière et ceux qui les regardent sur un écran. Comme dans un film permanent à ciel ouvert. Combien de saisons pour Alep? Taper 1 contre les méchants, taper 2 pour les gentils. Chacun son camp; victimes réelles ou pour servir sa cause? Pas le temps de se poser des questions pour ceux courant sous les bombes. Des bombes qui ne se présentent pas avant de s’écraser. Les éclats d’obus ne laissent pas non plus leurs cartes de visites. Coincés au sol entre les djihadistes, les tyrans locaux ou d'ailleurs, les cyniques faisant et défaisant les tyrans, ils n’ont qu’un seul souhait : que l’enfer cesse dans la seconde. Tout le reste n’est qu’images et sons pour les gens du bon côté de l’écran. Combien d’épisodes encore pour les migrants sur la méditerranée ? Pas une fiction pour les populations piégées.

À qui se fier pour se faire une opinion sur les événements proches ou lointains ? Aux penseurs cathodiques qui rabâchent que tout était mieux avant. L’école, la laïcité, Jours de France (mon grand-père m’en a montré des exemplaires.) chez le coiffeur, la dictée, l’ami Ricorée, les pleins et les déliés…. Des valeurs qu’ils rêvent de voir revenir vêtues de blouses grises. Tolérance, solidarité, mixité sociale, et, d’autres gros mots du même genre, sont effacés de leur dictionnaire. Que faire de tout ce merdier quand tu as à 18 ans dans deux jours ? À vous de faire votre choix jeune homme? Quels idéaux à porter en ce moment ? Difficile d’en trouver en ce moment sur le marché de l’avenir. Réactionnaire sans attendre de vieillir ou passer dans le camp des bisounours? Nationaliste ou djihadiste ? Dieu, drapeau, téléréalité… Un sacré choix pour la jeunesse.

Souvent, j’ai la sensation de me retrouver dans une gigantesque galerie marchande. Que des vendeurs autour de moi. Partout dans la ville et sur le Net. Chacun sa soupe idéologique ou religieuse. Très difficile de trouver quelqu’un qui n’a pas quelque chose à vendre ? Moi aussi dans le même sac. Promenant mon ego de ma page FB à mon compte tweeter. Ainsi que sur cette lettre. Je suis ici, je suis là, je repasserai par là… Toujours égo-localisé. Comme des milliards d’individus au même moment que moi. Smartphone, dis-moi si je suis le plus followé. Combien de fois liké aujourd’hui ?« Je ne sais pas qui te colle ces idées stupides dans la tête ! Arrête de penser à ce genre de choses. Ce n’est pas de ton âge.». Mon père s’agace souvent contre son fils unique, entre deux coups d’œil à son portable. Chacun son miroir numérique. Pas que mon père qui affirme que je perds ma jeunesse à autant gamberger. On dit que je me prends trop la tête. Peut-être qu’ils ont raison. Mes réflexions et colères contre le système ne seraient donc que des lieux communs et passagers. Un jour, je prendrai ma place à mon tour dans la machinerie. Mettant un mouchoir sur mes révoltes. Pas le premier, ni le dernier à être passé un temps par la case idéaliste. Le temps de revenir au principe de réalité. Paraît que certains rêves meurent avec l'arrivée des premiers cheveux blancs. Renier ses idéaux de jeunesse est une fatalité ?

Mon meilleur pote pense que je devrais faire Sciences Po et du journalisme. Ressembler à tous ces présentateurs à la barbe mal rasé au poil près ? Avoir la même diction radiophonique ou pondre des articles sortis de la même photocopieuse ? Savoir bien doser le cynisme, l’humour, et le sérieux, face caméra ? Non merci. De la politique ? Encore moins bandant que le journalisme. Vers quoi me tourner ? Tout me semble si puant. J’en veux à mes parents, leurs parents soixante-huitard ou pas, de nous avoir mis dans une telle merde. Qu’est-ce qu’ils ont foutu pour laisser venir le Rwanda, Sarajevo, Daesh, l’islamisme, l’islamophobie, le racisme, l’antisémitisme, le sexisme, l’homophobie… Sans oublier Alep et tous les réfugiés sur les mers et les routes. Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde. Sauf qu’aujourd’hui le ventre a laissé surgir de très nombreuses bêtes. Des portées de bêtes immondes. Le fascisme et la barbarie ont toutes les couleurs. Ces bêtes peuvent changer de masque ; parfois même se déguiser en victimes. Spécialisées dans le camouflage. L'immonde nouveau est arrivé. Bienvenue au carnaval de l’horreur mondialisé sur écran plasma. Quel déguisement pour mon anniversaire ?

Cette lettre à Nous est adressée à toutes les générations. Celles d’hier et de demain. Ainsi qu’à mes contemporains de tous âges. Certains diront que ce courrier est présomptueux et contreproductif. Encore un branleur, gosse de bobos, qui a rien vécu et veut faire la leçon à la planète. Nous, on sait qui est le méchant à Alep, pareil au Yémen et sur tous les théâtres des opérations. La tolérance et la solidarité ça ne mène qu’à l’impasse. Il faut serrer la ceinture du pays, revenir à de vrais valeurs à l’école et dans l’espace public. Retrouver le goût de l’identité nationale, ne plus cracher sur Dieu ou le drapeau. C'est le discours qui a le plus le vent en poupe de nos jours. Oser la fraternité ? Nombre de gens vous taxeront de bisounours et voudront aussitôt vous mettre le nez dans la dure réalité de la crise. Rappeler la nécessité du retour de l’autorité. Si possible patriarcal et de souche gauloise.

Les autres me prendront sous leur protection pour m’aider et m’indiquer la «bonne route» à suivre. M’apprendre à être tolérant, welcome; toujours du bon côté. Comme à une époque, les mêmes où leurs parents collaient une main jaune pour tenir en laisse les mécontents des ghettos basanés. Sans moi, t’es rien mon pote. Tu veux un sussucre, je t’offre un p’tit concert et rentre par le dernier bus dans ta banlieue pourrie. Une banlieue qu’on aime beaucoup puisqu’on en fait des films et des chansons. Quel chance d’être un muse urbaine! Sûrement plus de films et de documentaires sur la banlieue que sur Passy. Estime-toi heureux qu’on récupère les vieilles usines de ton quartier pour en faire des lofts. En plus, on apporte des livres, de la musique, des expos, dans tes rades puant la mauvaise bière et les Gitanes de tes perdants de prolos de parents. Faire ton éducation citoyenne.Comment je peux évoquer cette période sans l’avoir vécue ?

C’est Momo, un ex de ma tante, qui m’a raconté en boucle toutes ces histoires. Lui, il a vraiment marché pour l’égalité, porté la main jaune, distribuer des tracts, arrosé de bulletins de vote la rose… Une rose dont il n’a plus que les épines à 55 ans. Confiné socialement dans sa chambre de gosse, à trois mètres de ses parents. Obligé de marcher lentement pour ne pas réveiller ses darons retraités qui croyaient à l’ascenseur social pour leur gosse. Transformer la rose en oriflamme FN en 2017 ? Il se pose la question. Partir seul ou avec tout un pays trahi ? Sûr que Momo ne fera pas cette connerie ? Déçu mais pas manipulable par une sirène de Neuilly sur Seine aux dents longues.  Ne pas oublier que c’est un excellent joueur d’échecs. La seule langue de bois qu’il accepte. Je finirai par le battre un jour.

L’expérience de Momo, d’autres plus âgés que lui, mes lectures, m’auront au moins aidé. Grace à cet apport, je ne me ferai pas avoir. Ni par les marchands de «changement c’est demain», ni par les fous de Dieu ou de Pétain le retour. Je ne laisserai pas non plus mon cerveau disponible aux vendeurs de Smartphone-même planqué derrière l’écran numérique ou glacé d’un hebdo de «je suis de gauche, après les heures de fermeture du magasin. « À sec ou avec de la vaseline ? Plus que cette alternative de nos jours. Surtout quand t’es coincé en bas comme un abruti comme moi. Un naïf, menotté par ses illusions, qui croyait à Liberté Egalité fraternité. Mirage pour les uns, réalité pour les autres. Pas de bile pour toi le neveu, t’es né et a été à l’école du bon côté de la République. À sec ou avec vaseline ce n’est pas pour toi. Sauf dans d’éventuels jeux sexuels, mais ça ne me regarde pas. Tonton Momo doit te gonfler avec sa noirceur et son optimisme congelé de vieux con. Je parle, je radote… C'est à toi de jouer ou à moi ? ». C’est vrai qu’il parlait trop. Souvent les mêmes propos. Mais, putain, qu’est-ce que ces colères me manquent. Pourquoi Tonton Momo t’es parti ? Peur que je te batte aux échecs? Tu viendras plus me prendre dans ta vieille 205 à la sortie du lycée. Rayé définitivement de la liste des abstentionnistes.

Pas comme moi qui vient de m’inscrire sur les listes électorales. Voter pour qui ? Blanc ou abstention pour ma première fois? Quelques mois encore pour réfléchir. Pas question de me faire avoir. Je suis trop au courant pour me faire embrouiller. Tonton Momo, ce sera ni à sec ni avec vaseline en 2017. «Avec du gravier alors ou autre chose le neveu. Ils changent les méthodes. Mais toujours avec le sourire et des promesses. Si tu ne votes pas bien ou tu t’abstiens ; à cause de toi que Marine et Nicolas seront au second tour. Des gens sont morts pour que tu puisses voter. Arrête de jouer au sale gosse, sois réaliste.  Que vont-ils inventer cette fois pour appâter les électeurs ? Un pavé sauce Jaurès pour la 2017 ! Avec un cru classé Château droit de vote pour les immigrés ! Et comme dessert un clafoutis ennemis de la finance sauvage ! »Tu fais chier tonton à avoir toujours raison ! Qu’est-ce que je fous alors ? Je reste les bras croisés. Pas le droit de rêver comme toi et d’autres ? Même si c’est pour retomber après et me faire très mal. Au moins, tu t’es fait un peu plaisir en espérant. Parfois, j’aimerais bien me faire avoir moi aussi. Ne serait-ce que pour avoir l’impression d’être utile dans ce monde. Ne pas me contenter de me révolter devant mon écran. Pendant que des courageux œuvrent avec leur casque blanc, sans gilet prix Nobel par balles. Et d’autres, armés de pinceaux, dessinent Alep, le Yemen... Peinture et autres œuvres comme témoignages pour les générations futures. Ces nouveaux Nous, près ou loin de Nous. Faut que je fasse quelque chose. Même minime. Une connerie. Tu ne peux rien à ton petit niveau. En plus, on te manipulera. La sincérité se fait toujours avoir. Une éternelle perdante. Ne rien faire c'est aussi se faire avoir.

Choisir son faire ?

NB) Cette lettre-fiction est née après avoir écouté l’analyse sur Alep de Jean-Claude Guillebaud  à France Inter. Rares les journalistes ou autres intervenants rappelant que tout n’est pas tout noir ou tout blanc sur le théâtre des opérations. Gentils d’un jour, tortionnaires du lendemain. Tyran le jour du 14 juillet sur les champs Elysées, traqué le lendemain. Pendant ce temps, de l’autre côté de l’écran ; la réalité écrase, déchiquète, massacre… Sous nos yeux impuissants.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.