
Accroché au clavier. Sans avoir plus rien à dire. Le poème de trop c'est sa hantise. Continuer d'écrire mais à vide. Avec les doigts mécaniques d'un robot poète. Travailleur à la chaîne des lettres. Il a du métier. Plusieurs décennies sur le même métier. Personne ne verra qu'il ne tisse que de vieilles images revisitées. Plus d'aube à naître sur ses touches ?
Zéro. Personne ne lui a dit. Qui osera lui dire ta poésie ne compte plus. Un zéro en rouge barrant tous ses poèmes. Ses copies toutes mauvaises. Comment continue-t-il de publier et faire des lectures ? Sa biographie pèse encore. Elle peut encore le protéger. Mais il n'est pas dupe. Surtout en croisant certains silences. Et des sourires en coin.
Et il saute du z pour se retenir au e. Deux lettres et déjà à bout de souffle. Incapable de mener une phrase jusqu'au bout de la page. Il pousse soupir. Faut laisser sa place quand on a plus rien dans le sac, disait sa grand-mère. Sa façon à elle de parler de la fin du désir. Plus envie. Il l'avait secouée. " Mémé, faut absolument que tu te battes." Aujourd'hui, il n' a plus rien dans le sac. Que faire ?
Rester accroché à son r. Souffler un petit moment. Il va essayer de tenir encore un peu. Revenir à l'écriture. Continuer de jouer dans la cour de poésie contemporaine. Ne pas s'effacer tout de suite du clavier. Reprendre confiance pour se remettre à écrire. Impossible que toute sa source se soit tarie. L'inspiration et la grâce vont lui refaire crédit. Il regarde sur sa droite. La prochaine lettre l'attend. Il a repris des forces. Mais pas le désir. Se foutre en l'air ?
Tu as réussi à atterrir sur le t. Ca oscille de gauche à droite. Tu es en équilibre précaire. Entre deux lettres. Respirer lentement. Essayer de se calmer. Prendre du temps avant de prendre une décision. Même si tu penses que c'est cuit. La poésie t'a quitté. Laissé seul avec ta solitude. Tes pages désormais habitées par le néant.
Y a qu'à ne plus bouger du Y. Finir ta vie de clavier sur cette lettre. Elle rapporte toujours beaucoup au scrabble. Combien de fois utilisée dans tes poèmes ? Impossible à comptabiliser. Et inutile puisque tu vas te laisser tomber. Chuter. Fermer les yeux. Ne pas faire le moindre geste. Se noyer dans l'alphabet. Aspiré par les touches.
Urgent de se rattraper au u. Un énième répit. Ce n'est pas encore ta fin. Il te reste l'énergie du désespoir. Et quelques miettes de colère. La colère qui t'a fait écrire ton premier poème. Le deuxième parlait d'amour. Tu souris. Tes deux premiers poèmes te redressent 'un seul coup. Ils vont t'aider à aller plus loin.
Impossible de ne pas repasser par le i. Ne serait-ce que pour mettre le point dessus. Terminus. Le poète usé va descendre du clavier. Pour laisser sa place à des doigts vifs. Des mains capables de fouiller dans la réalité pour en extraire des pépites. Avec une fébrile impatience. Prêts à bouffer le monde entier. Insatiables faisant la nique aux conventions. Toujours là où on ne les attend pas. En embuscade permanenete. Comme lui quand il avait une frappe rageuse.
Oser le o. Ton baroud d'honneur. La lettre centrale du poète, de la poésie et du poème. Qu'est-ce qui se passe ? Ça bouge dans le sac. Il se remplit à nouveau. L'aube est revenue. Tu la sens poindre en toi. Retour du souffle. Sans doute une illusion. C'est foutu. Faut te résigner. Aucune solution. Tu te jettes dans le vide.
Pour te rattraper au Poème nouveau.