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Billet de blog 12 janv. 2023

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Fatigue, fatigue

Le titre est inspiré du mail d’un vieux copain.Habituellement guère enclin à étaler ses soucis. La pudeur des individus ne voulant pas rajouter leur douleur à celles de leurs contemporains.D'abord, la fatigue du corps. Cette solitude où se heurtent toutes les bonnes volontés ou empathies. Personne ne peut souffrir de l’intérieur à la place de l’autre. Quelle est la seconde fatigue?

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Illustration 1
Fatigue © François Cotard

             Le titre est inspiré du mail d’un vieux copain. Double fatigue.  Habituellement guère enclin à étaler ses soucis. La pudeur des individus ne voulant pas rajouter leur douleur à celles de leurs contemporains. Il y a quelques années, j’avais reçu par mail la même formule d’un autre copain. Peut-être tort mais j'ai la même interprétation de chaque message. L’un et l’autre me semblent receler deux deux points en commun ; tous deux bouffés par une maladie rongeuse. D’abord, plus forte que le reste, la fatigue du corps. Les douleurs plus ou moins violentes ressenties au fil des jours et des nuit. Cette solitude où se heurtent toutes les bonnes volontés ou empathies. Personne ne peut souffrir de l’intérieur à la place de l’autre. Entre les deux fatigues, un point-virgule. Quelle est la seconde ? Une fatigue, moins localisable, fort rarement avec des maux d’ordre physiques, mais pesante – bien sûr moins que la première-sur l’individu qui la subit. Quelle est cette souffrance sur laquelle on ne peut mettre le doigt, ni le moindre baume apaisant ?

La fatigue du monde. Comme à la vue de cette  vidéo sur le net. Un homme ayant décidé d’infliger la peine de mort en direct à ses contemporains. Des victimes ciblées ? Non. Au fil de sa route sanglante. S’acharnant en l’occurrence sur un voyageur dans une gare. Quelques-uns sont intervenus. La plupart étaient sidérés par la scène violente dans un espace public. Comment aurions-nous réagi à leur place ? Peut-être aussi tétanisés, sans réaction. Se méfier des même pas peur- à distance, derrière leur écran de protection. En général, les gens courageux n’ont pas besoin de se gargariser de certitudes  et se hausser du col ; ils savent que la trouille est toujours là, au plus profond de chaque mortel, et qu’il va falloir la dépasser pour passer à l’action. Nombre d’entre eux, hommes et femmes, ont donné leur peau pour sauver la peau d’un ou plusieurs autres. Un courage à saluer. Merci et bravo aux courageux transcendant leur peur naturelle.

La victime se trouve au sol. Dans une gare de France. L’homme est lardé de coups de couteau. L’une des victimes de cet homme. Priorité à l’homme à terre et les autres blessés. Qui est l’agresseur ? Pas de temps pour ce genre de question. Rien à foutre de l’agresseur. Sauf pour l’empêcher de nuire. Comme certains ont tenté de le maîtriser. Avant qu’il ne soit mis hors d’état de nuire. Revenons à l’urgence. Le corps au sol. Un homme se vide de son sang. D’abord s’occuper de lui et des autres victimes. Avant de s’intéresser à l’agresseur. Poussez-vous les charognes numériques ! Un peu de décence, nous les voyeurs à nos centaines de milliers de fenêtres de commères de la toile. Au moins, restons silencieux, sans ouvrir sa boîte à commentaires pour se faire mousser. Silence, on souffre, pas une souffrance virtuelle. Laissons passer les secours ! Pronostic vital prononcé ou non pour chaque victime ? La dernière ambulance est partie. On peut alors se poser la question. Qui est l’agresseur ?

Vous savez bien, c’est… Comment dire ? C’est un (la main tournoie devant le visage)… Un... vous voyez.. Un pas tout à fait comme nous. Une chance pour la France, ricane fort un caché derrière son pseudo au fond de la toile. Pas le seul à se jeter sur l’occasion qui fait le larron 2.O. Les victimes vite oubliées. Ont-elles d’ailleurs une réelle importance pour celles et ceux se nourrissant uniquement du sang médiatisé ? Peu importe les victimes, le but est de déverser sa haine. Par bestialité basse du front. Comme à une époque le «  Du sang, de la chique, et du mollard » autour d’une baston dans la cour de collège ou dans la rue. Rien de vraiment nouveau, sinon que le mollard est virtuel. Pendant ce temps, d’autres, plus malins, misent à chaud sur le sang versé pour engranger dans les urnes, sur les Unes,  ou gagner des pouces levés et des followers. Rien de nouveau non plus. Certains hésitent à dire que l’assaillant est un Arabe. Par peur des amalgames ? C’est devenu automatique. Inutile donc de chercher à les éviter.

C’est un Arabe. Point, barre. Un parmi environ quatre cent millions sur la planète. Tous, fort heureusement, ne sont pas des criminels comme lui. À ce propos ; les Arabes font-ils partie de la population la plus criminelle du globe depuis le début la naissance de l'humanité ? Trêve de digression et revenons à notre Arabe à l’unité. Il était venu avec des intentions précises. Dans le but de tuer. Avec au fond de sa poche, la peine de mort. Chaque coup de couteau était destiné à ôter la vie à un individu sur sa route. Nous ne sommes pas dans un jeu vidéo ou une série. Personne pour gueuler «  Couper ! On la refait. C'est pas assez crédible. ».  L’homme au sol, sur nos écrans, est un être de chair et de proches bouffés par l’inquiétude. C’est vous, moi, nous, et les autres. Une histoire unique ayant croisé un tueur.

Mais, au-delà de cet homme, la principale victime, c’est la planète entière qui est touchée. Le monde soudain roulé en boule sous d’innombrables yeux, perclus de souffrance et de trouille. Toute l’humanité tentant de se protéger de la folie humaine. Stop ! Ce n’est pas un fou, c’est un terroriste. Peut-être, sans doute, mais fou quand même. Comme chaque terroriste, tous les hommes et les femmes donnant l’ordre de bombarder des populations civiles. Donner la mort, en direct ou par délégation, reste de la folie meurtrière. Même si c’est une autre appellation d’un point de vue pénal. Mais pas le temps, ni les compétences juridiques, pour épiloguer là-dessus dans un billet d’humeur. Un débat de fond pour les spécialistes de ce genre de questions.

Ce passant a donc voulu tuer d’autres passants traversant le même lieu public que lui. Leur infliger la mort sans les connaître. Nul d’entre eux ne pouvait donc lui avoir causé directement un quelconque tort. Rien à voir avec une vengeance qui, bien sûr à déplorer quand elle atteinte aux personnes, peut s’expliquer rationnellement. Contrairement à cette subite attaque. Fort heureusement, il n’ est pas parvenu à ses fins. Ni juge ni psy, je ne peux apporter qu’un point de vue comme n’importe quel citoyen-internaute. À la justice désormais de statuer sur le cas de ce meurtrier. Il sera mieux loti que ses victimes. Dans un pays, dont l’honneur – merci Robert Badinter et d’autres- est de ne pas imiter cet homme en infligeant la mort en écho à la mort. En plus, des traces visibles sur les corps des victimes, d’autres invisibles, le trauma des blessés et leurs proches, cet ignoble agresseur laissera une autre empreinte. Celle sur l’inconscient collectif. Une empreinte déjà gravée sur le marbre numérique.

Comme entre autres d’être un métèque dans l'espace public. Certes rien à voir avec ce que viennent de vivre les victimes de la guerre. Pas la même hiérarchie en termes de douleur. Ce qui n’empêche pas de constater que, après des agressions horribles du même type, chaque métèque croisé devient potentiellement ce tueur. Même pour certains passants et passantes ouverts sur l’autre et bien loin d’idées xénophobes. Qui est l’homme venant de donner les coups de couteaux ? Quels sont les individus ayant tué à Charlie, à l’Hyper Casher, au Bataclan, et ailleurs, au fil des décennies ? Une réalité servant de socle à tous les haineux de base et à ceux qui soufflent sur les braises de vrais drames pour mieux saigner la République et diviser la population. Combien de Zidane ou M'bappé pour effacer les coups de couteau de cet ignoble individu ? Gagner la prochaine coupe du monde pour effacer l’ardoise de sang versé ?

À chaque but marqué, le métèque croisé dans la rue devenant d’un seul coup un potentiel champion du monde. Le ballon rond adoucit peut-être les mœurs tous les quatre ans. Force est de constater que ça ne dure jamais longtemps. Ne comptons donc pas sur un ballon pour éviter les raccourcis et rehausser le doute et la pensée critique et de bonne foi. Marianne, sur ses crampons, a du pain sur la pelouse républicaine. Toutefois, on peut lui faire confiance. Toujours plus forte que l’équipe des haineux – bas du front ou fous de Dieu- occupant de plus en plus le terrain. Avec force bruit. Une équipe adverse avec un maillot portant les couleurs de la haine. Contrairement à l’équipe de Marianne. Elle est capitaine d’une équipe avec deux étoiles. Et d’autres à décrocher ensemble.

Des baskets, des talons hauts, une paire de chaussures pointues… Des hommes, des femmes, des gosses, de tout genre, des athées, des croyants, de toute couleur de peau, beaux, moches, cons, intelligents, se croiseront à nouveau sous le même toit de gare. Avec sans doute pour beaucoup en mémoire les images de l’horreur vécu au même endroit. Leur lieu de passage quotidien ou à telle ou telle occasion de voyage. Dire que j’aurais pu être à sa place, se diront certains passants et passantes. Leurs proches très inquiets à distance en les sachant dans la gare. Que les fous, les criminels en préparation, les provocateurs, pour se projeter dans la peau de l’assaillant. Puis, au fil du temps, les pas et les pas effaceront les terribles images. Remplacées par d’autres sur chaque écran mobile.

Une voix dans le haut-parleur annonce du retard. Retour à l’ordinaire d’une gare. Des trains partiront, d’autres arriveront. Le monde continuera de tourner. Avec dans son orbite de petites et de grandes haines. Sans pour autant oublier la beauté avec un grand B et au pluriel. Pendant chaque drame, petit ou grands son chantier continue. La beauté au coin de sa rue ou sur une autre partie du globe. N’en déplaisent à certains vivant dessus, l’horreur n’a pas le monopole de l’humanité. Même si, dans notre siècle, le précédent et d’autres avant, la machine à détruire ses contemporains a fonctionné à petite et grande échelle. Refuser de nier la saloperie des hommes et des femmes n’est pas incompatible avec l’évocation de la beauté humaine. Ici ou là, se tissent de belles histoires. Certes moins tapageuse que les petites et grandes horreurs en cours. Mais la beauté, la poésie, l’esprit, et tout ce qui élève, restent pugnaces. Un rempart contre la connerie humaine parfois submergé.  Mais jamais détruit.

Certains oublient plus lentement les drames que d’autres. Mais, tôt ou tard, ils finissent par tourner la page. Tandis qu’une minorité d’individus de toutes sortes les conservent en permanence, une sorte de tatouage indélébile sous la peau. Plus fragiles ? Trop perméables à la souffrance de l’autre quel qu’il soit ? Incapables de retrouver la joie après un malheur trop fort ? Sans doute plusieurs raisons mêlées. En tout cas, une chose est sûre pour ces êtres plus à fleur de peau que la moyenne. Où qu’ils aillent, quoi qu’ils fassent, elle sera présente. Un des boulets de l’empathie. Surtout en ère de retour de l’obscurantisme. Et d’extrême confusion. Quel est cet inévitable ?

Fatigue, fatigue, etc.

J’aurais préféré une chanson d’amour baignée d'insouciance., comme chante si bien Kent. Mais parfois , la réalité fait pencher plutôt du côté sombre. Mais, demain est un autre jour. Et important de rappeler que nous sommes nombreux à aimer ce pays. Où, malgré une minorité de « pollueurs de présent », il fait bon vivre. Sous les cieux de la patrie des Lumières. Et de tout le reste...

1990 KENT - J'Aime un Pays (Clip) © tvgraphiste1

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