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Billet de blog 12 septembre 2023

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Elle avait l'âge de son siècle

Soleil de 23 ans. Le même âge que son siècle.Elle avait un ciel devant elle.Celui qu’une petite fille regardait parfois la nuit.Assise dans l'herbe ou sur le sable en quête d’une étoile filante ou non.Depuis la nuit des temps,on se tourne vers le ciel.Pour se poser des questions,prier,gueuler,rêver…Un ciel dans lequel se reflétait son visage.Celui de l'humanité.

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                 Soleil de 23 ans. Le même âge à quelques mois près que notre siècle. Son siècle. Elle avait devant elle un ciel  grand ouvert. Celui qu’une petite fille regardait parfois la nuit. Assise dans l'herbe ou sur le sable en quête d’une étoile filante ou non. Depuis la nuit des temps, on se tourne vers le ciel. Pour se poser des questions, prier, gueuler, rêver… Un ciel dans lequel se reflétait son visage. Celui de l'humanité. Avec ses yeux grands ouverts sur le monde. Le regard d’une jeune fille. Les yeux plus gros que l’univers. Désormais, une autre nuit habite sous ses paupières. Après sa rencontre avec des semblables. De la même espèce en apparence. Pas des animaux sauvages, féroces, ou des monstres de fiction débordant de sang et de violence. Non. Ils auraient pu être son frère, son père, un voisin, un copain, un amant… Ou un passant inconnu. Rien de tout ça. Ils cachaient bien leur jeu. Camouflés derrières des masques humains. Des tueurs de soleil.

           Plus qu’indignes de se regarder dans le ciel. Ce miroir ou soi-disant trône leur Dieu tout-puissant et porteur d’amour. Pour certains, ils s’y trouvent. Pour d’autres, c’est juste un conte pour enfants devenus vieux. Porter un jugement sur la pratique des uns et des autres ? Nulle intention. Qui suis-je pour juger les êtres vivants cherchant un baume à leur peur de la mort ? Chacun et chacune son calmant. Cela dit ; si leur Dieu existe, que pense-t-il des tueurs de soleil ? Les approuve-t-il ? Pourquoi ne pas avoir arrêté les mains tueuses en son nom ? Moins puissant qu’on ne le prétend ? Délocalisé sur d’autres planètes ? Peu importe les questions, les réponses ou leur absence. Un soleil a disparu du miroir de notre espèce. Seule compte son absence. Son histoire de chair et d’os a disparu. Enterrée dans un cimetière du globe. Ne reste plus que la mémoire. Se souvenir d'une jeune femme. Assassinée au printemps de son existence.

            Qui sont ces tueurs de soleil ? Les mêmes depuis la nuit du temps. Avec toujours un seul objectif : détruire la femme. Le plus souvent au nom de Dieu. Mais aussi des féminicides sans lien avec la religion. Comment repérer ces tueurs ? La plupart du temps, ils se promènent le torse bombé, leurs petits ou gros bras gonflés de haine et de frustrations. Perclus de certitudes inamovibles (là où se niche en partie la connerie  des unes, des uns, et des autres...). Des hommes de boue se croyant des êtres de chair et de sang. Ce qu'ils sont. Tous issus d’un ventre de femme. Sans elles, aucun de leurs torses bombés ne serait sur terre. Ils pourront asservir toutes les femmes, les humilier, les tuer ; jamais effacer leur lieu d’arrivée au monde. Bout de chair sanguinolent et impuissant extrait des entrailles d’une mère. Et avant tout une femme. Parmi elles, certaines cautionnent les tueurs de soleil. Pourquoi ? Résignation intériorisée ? Trouille profonde ? S’effacer pour survivre ? Sans doute plusieurs raisons mêlées. Mais chacune a sa réponse. Des histoires uniques.

         Comme elle qui a voulu briller vivante. Être un soleil à elle toute seule. Sans chercher à éteindre l’histoire de l’autre où le contraindre à vivre comme elle. Juste envie de vivre. Pour elle et ce qu'elle aimait.  Ni plus, ni moins. Pouvoir passer d’une inspiration à une expiration, profiter,  jusqu’au dernier souffle. Passagère de la planète consciente de son éphémère. Elle savait que l’existence n’était pas un brouillon. Que chaque seconde, chaque rire, chaque larme, chaque baiser, chaque espoir, chaque silence, chaque rêve...; tout s’écrit sur la page du présent. Ici et à l’instant. Qu’avait-elle compris de si essentiel ? À son jeune âge, elle avait saisi ce qu’une éternité de savoir ne pouvait offrir. Une sorte de conscience profonde en accéléré. À peine un quart de siècle et elle avait compris le poids de chaque être. La solitude mortelle sous la poitrine. Et elle avait voulu respirer. Jouir du doux vent sous sa peau. Profiter du plus beau mot dans toutes les langues. Un mot en cinq lettres sans frontières. Vivre.

           Rattrapée par un mot aussi en cinq lettres. Morte. Son dernier souffle en novembre de l’année dernière. Sans un main ou regard aimant sur elle. Une jeune femme balancée dans un chantier. Par des mains anonymes rentrées chez elle. Pour reprendre leur quotidien. Les hommes propriétaires de ces mains regardent-ils dans le miroir de leur salle de bains ? Osent-ils lever les yeux vers le ciel ? Dans tous les cas, ils n’y verraient qu’un reflet de boue. Plus un visage d’homme. L’humanité est morte dans le regard. Contrairement à elle. L’humain présent à jamais derrière les paupières qu’ils ont closes. Certes morte, mais une éternité plus vivante qu’eux. Jamais ils ne pèseront son poids d’être. Elle a perdu la vie. Mais elle restera plus vivante qu’eux. Son visage occupe tout le ciel. Avec d’autres comme elle. Trop nombreuses à avoir croisé la cruauté de certains  hommes. Et leur ignorance destructrice. Trop de soleils assassinés.

           Le ciel est leur panthéon. Résistantes parmi les étoiles. Dieu présent à leur côté ou absent ? Qu’elles y croient ou non, il ne leur fait pas peur. Plus. Prêtes pour certaines à lui demander des comptes. Où était-il quand elles ont rencontré leurs tueurs ? Dieu est-il aveugle et sourd ? Elles ne le craignent plus. Comme certains hommes s’agitant à la surface du sol. Pathétiques marionnettes tueuses. Elles ont été plus puissantes qu’eux. Une puissance au péril de leur vie. Et un exemple pour le monde entier. Pas que pour les femmes. Elles sont leur liberté -seules et toutes-guidant la planète. Refusant d’obéir à la nuit. Leurs paupières sont verrouillées, pas leur geste d’être libre. Ineffaçable de l’histoire du monde. Un geste gravé dans la mémoire de l’espèce humaine. Des femmes se battant pour toi, vous, nous et les autres. Mortes pour ne pas laisser la nuit avaler l’aube. Chacun de nos matins est leur cadeau. Un présent planétaire. Immense merci à elles.

            Montrer la photo du soleil assassiné ? J’ai hésité. Son visage est apparu tôt ce matin sur twitter. Une belle jeune femme maquillée. Comme de nombreuses autres du même âge. Actrice ? Chanteuse ? Influenceuse ? J’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’une « énième » promotion sur la toile. Avant de comprendre qu’il s’agissait d’une étudiante en médecine tuée par balles à Téhéran. Une grande claque. J'avais complètement faux. Rien à voir du tout avec que je croyais. Copier-coller la photo et la mettre en illustration de ce billet ? Faire ricocher son visage encore vivant ? Certains le feront. Un choix qui est respectable et a certainement du sens. Montrer sa photo aura peut-être plus de répercussions pour éclairer son combat et celui d’autres femmes ? Ce n’est pas mon choix. Pourquoi ?

            Son droit à l'image. Même post-mortem. Peut-être n’aurait-elle pas aimé que son visage ricoche d’écran en écran. Ses proches non plus. Toutefois, elle a un nom. Comme tous les autres soleils aux paupières closes. Toutes des femmes résistantes à l’obscurité. Des lumières de combat implosant les ténèbres pour conserver le jour. Les lumières sur notre siècle. Le sien aussi, quitté trop tôt. Femme effacée de la surface du globe par des mains nourries de haine. Tuée par des semblables se prétendant hommes. Quelle insulte pour la majorité des hommes. Eux ne sont que des machines à tuer. Intolérantes à la beauté du vivant. Comme ce soleil qui aurait eu hier 24 ans. Quel est son nom ?

       Aylar Haghi.

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