Un voyage en classe Questions. Même si c’est immobile. Des individus à leur fenêtre sur le monde réel. Ou penchés sur l’autre en écran. Qui sont-ils ? Qui sont-elles ? Impossible de répondre précisément à cette question. Pourquoi ? C'est une population qui ne peut être figée dans un chiffre. Personne, même le meilleur algorithme ou « je sais tout » bardé d’éléments de langage, ne pourra les intégrer à une quelconque courbe. Les douteurs ( si vous le souhaitez, n’hésitez pas à féminiser ce terme et d’autres...) échappent à toutes les catégorisations. Hors de tous les radars habituels. En fait, c’est une population beaucoup plus importante que ce que nous croyons. Très nombreuse. Environ sept milliards de solitudes.
Aucun mortel n’y échappe. Bien sûr, tous ne sont habitée par le doute au même degré. Certains ne le sont que très rarement. Parfois, une secousse sous la peau à peine ressentie. Moins touchés que les douteurs moyens, en fait, la majorité. Puis il y a les autres habités quasi en permanence par le doute. Du matin au soir, souvent la nuit, chacun de leurs gestes en ait chargé. Secoue-toi un peu ! Arrête avec ton doute pathétique et pathologie. Pas que toi qui est dans le doute. Imagine que ton boulanger se mette soudain à douter de son pain et reste sans bouger devant son pétrin. Bordel, bouge un peu ton cul ! Ça te tombera pas tout cuit dans le bec. Des expressions que chaque très grand douteur entend depuis ses premier pas. La plupart se blindent. Souvent derrière un sourire camouflage ou telle ou telle stratégie pour éviter d’être montré du doigt ou de devoir se justifier. Garder le doute pour les moments hors des autres. Donner le change en public.
Même s’il n’y a pas grand danger à vivre avec son doute. Important de relativiser... Notre époque – pas la première- se moque, voir même méprise le doute, elle ne fait pas la chasse aux douteurs. Tant qu’ils ne font pas de bruit, consomment, votent, écoutent les voix de la radio, de la télé, du web, du journal papier… Des dizaines de millions de citoyens et de citoyennes dans ce cas-là. De temps en temps, une remarque moqueuse, un regard de haut, un soupir agacé, peut blesser le douteur et lui rappeler sa situation dans la hiérarchie de la réussite : très peu de pouces levés et de followers, rares les regards admiratifs- même des proches- et applaudissement ; une ombre perdante parmi les invisibles mal notés sur le tableau de course aux lumières. En règle général, ça ne crée pas de dégâts et dure très peu de temps. La réalité, plus forte, reprend les rênes de son quotidien. Le douteur est donc fort bien intégré.
Et les « peaux retournées » ? Les êtres avec la chair directement en contact avec le réel. Sans le moindre filtre ou protection contre les intempéries de la réalité quotidienne. Chaque instant, regard, mot, silence, peut générer un trouble très profond. Sentir une crevasse se creuser en soi et s’élargir au fil du temps. D’un seul coup, ou peu à peu, perdre tous ses moyens. Même devant son miroir. Hypersensible. À fleur de peau. Trop fragile. Nombre de termes pour qualifier les « peaux retournées». Avec aussi une classification médicale avec des termes techniques. Beaucoup de ces douteurs entre les oreilles de psy. Les plus « crevassés » chez les psychiatres. Et tant mieux, qu’ils puissent trouver des remèdes, ne serait-ce qu’une écoute apaisante, étiqueter la bête invisible qui les ronge de l’intérieur. La nuit solitaire des gens du doute peut-être terrible. Grouillante d’interrogations et de « je suis qu’une merde et un loser » ressassés jusqu’à réussir parfois à les intérioriser pour ou moins se donner raison – je vous l’avais bien dit-et ne pas avoir tout perdu. Parfois un sentiment, si bouffant qu'il peut faire basculer dans le pire. La volonté, celle échappant à sa crevasse, de finir avec le doute. Définitivement.
La psy est donc une des meilleures solutions aux soucis des gens du doute. Que se passe-t-il quand un grand douteur ne trouve pas d’aide ? Le pire évoqué dans le chapitre précédent. Mais aussi d’autres violences pas contre soi. Qu'elles soient d’ordre physique ou du harcèlement. Combien de gens rongés par le doute se vengeant sur leurs proches ou des « inférieurs socialement » ? Encore plus dangereux quand leur doute est aussi grand que pouvoir à disposition. On sait à travers l’histoire de l’humanité ce que donne ce genre de personnalité. Autrement dit, pas que des êtres fragiles à défendre parmi les gens du doute. Mais la plupart sont inoffensifs. Sauf pour eux-mêmes. Les douteurs ont plus de mal à se dire « je t’aime » ?
Pourquoi un billet sur ce sujet ? L’idée m’en est venu après la lecture d’articles sur la mort d’un auteur. Pourquoi ne pas le nommer ? Pour jouer un peu à cache-cache avec les brigades d’algorithmes « fouille mots » patrouillant sur la toile. Un auteur qui compte beaucoup dans mes lectures. Merci en passant à d’autres écrivains, des femmes, des hommes, d’autres genres, qui accompagnent et redonnent de l’énergie quand la page est plus blanche que l’aube d’une insomnie stérile sur le clavier. En traînant sur le Net, je suis tombé sur plusieurs articles signés de son nom. Des parutions dans un quotidien régional français. Avec toutes ces infos, un « fouille mots » à dû l'identifier. L'algorithme toujours vainqueur ?
Dont un qui m'a surpris. Inattendu parmi tous les hommages mis en ligne. Sa rencontre avec une pute de luxe ( certes plus cru que prostituée ou travailleuse du sexe mais plus proche de leur réalité ) au bar d’un hôtel. Peut-être une mauvaise interprétation, mais, à travers la scène qu’il décrit si bien, on a l’impression que l’auteur – internationalement connu- est plus rongé par le doute que sa colocataire de bar. Elle est venue aimanter un client pour remplir son frigo. Se rendant très vite compte qu'il ne rejoindrait pas sa clientèle. Ils ont commencé à bavarder. Frottements de doute dans un instant braconné à son agenda et ses proches. Avec toutefois une grande différence entre les deux protagonistes.
Son doute à lui habite la peau d'un créateur. C’est son chantier de travail. Son doute est reconnu et applaudi. D’autres, comme lui, œuvrent dans des chantiers plus ou moins visibles. Mais avec la même quête de creuser dans la mine du temps, fouiller le sens de l’être, le sien et celui des autres mortels passagers de la planète. À très juste titre la grande reconnaissance de son travail; c’est un très bon auteur jamais déconnecté du monde réel. Mais à cet instant précis, on se fout de la reconnaissance de l’un et l’invisibilité de l’autre. Deux regards à même hauteur de tabouret de bar et de doute. Un échange entre gens du doute. Avant l'une et l'autre le retour à sa route. Celles de tous les individus. Qu’ils doutent ou soient truffés de certitudes. Quelle est cette route universelle ?
Sa solitude passagère.