Mouloud Akkouche
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Billet de blog 13 mars 2023

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Boulevard de la nuit

Tendre la main à la poésie. Des voix affirment qu’elle serait en grand danger. Surtout depuis l'arrivée d'une nouvelle application tueuse de poésie. Réalité ou enterrement récurrent de la poésie ? Une chose reste sûre: la poésie nous relève souvent. Elle nous tient debout. De l’enfance au seuil de la mort. Jamais très loin de soi. La poésie sous toutes ses formes.

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                Tendre la main à la poésie. Des voix affirment qu’elle serait en  grand danger. Surtout depuis l'arrivée d'une nouvelle application tueuse de poésie. En plus d'être de moins en moins visible en librairie et ailleurs. Même dans les radios publiques lui accordant une bonne place au cœur de leurs ondes. Réalité ou enterrement récurrent de la poésie ? Une chose reste sûre:  la poésie nous relève souvent. Individuellement ou en groupe. Elle a même relevé l’humanité vautrée dans la boue et le sang. La poésie revient toujours. Même après certaines nuits… Elle nous tient debout. De l’enfance au seuil de la mort. Jamais très loin de soi. Sous toutes ses formes.

À quand remonte ma première rencontre avec elle ? Les poèmes entendus tout d’abord à l’école maternelle. Des gosses assis en cercle et pendus à des lèvres avec des mots pas comme les autres. Puis les poèmes appris et récités en primaire. La majorité d’entre nous a rencontré la poésie via l’école. Avec la superstar Jacques Prévert. Un jour, j’ai voulu l’imiter. Ouvrir la cage du dictionnaire et libérer les mots de leur définition. Leur faire prendre l’air. Pour qu’ils rencontrent d’autres mots ne se trouvant à la même page qu’eux. Un chantier dont je n’imaginais pas les difficultés.

En CM2, j’ai tenté quelques vers. Mes premiers. Une poignée de mots sur un bout de papier volant. Comme d’autres avaient le nez à la fenêtre. Pour un voyage hors les murs de l’école. Décoller de son histoire au quotidien. Perçant les couches de l’espace et du temps. Partir, partir, partir… De l’autre côté invisible. Sans doute le même désir d’ailleurs sur feuille quadrillée qu’ à la fenêtre. Un voyage vertical ou horizontal. Et le même désir de plus que soi.

Récidive poétique deux ou trois ans après. Des poèmes plus longs au collège. Quelques-uns d’amour, rédigés pour des copains de classe, finissant dans la trousse ou poche d’une collégienne. Une écriture toujours à la manière de la poésie entendue ou étudiée en cours. Avec la recherche de ce que je considérais comme de la «  belle langue ». Je n’étais pas le seul élève à le penser. Se contraindre à écrire avec la langue classe. Comme on disait Grande musique pour le Classique. Hors d'atteinte de nos petites oreilles  ?

La belle langue des livres. Le contraire de la nôtre ne pouvant qu’être moche puisque sortant de nos bouches sans classe. Une honte liée uniquement à la condition sociale ? Non. Plus tard, des copains et des copines venant de milieux aisés, m’ont raconté avoir eu le même genre de réaction. Persuadé de ne pas être à la hauteur de la langue de papier. Plus exactement des auteurs morts.

Aujourd’hui, de plus en plus d’élèves rencontrent des autrices et auteurs vivants. Sans doute qu’ils ont une autre perception de la poésie. Et du reste de la littérature. Et tant mieux qu’elle soit désacralisée. Sans pour autant niveler par le bas en la vidant de complexité. Vous écrivez de la poésie ou un journal intime ? En général des hochements de tête négatif et quelques «  non » plus ou moins timides. Souvent, les unes et les autres échangent des regards entre eux avant de répondre. Les nons les plus tonitruants émanant surtout de la part des garçons. Je n’insiste pas. Tout en me doutant que certains et certaines écrivent. Peut-être plus sur papier. Mais quand même de l’écriture. Une part de leur histoire en mots.

Comme cette lycéenne croisée lors d’une rencontre scolaire. Une jeune fille très jolie qui ne laissait pas indifférents certains de ses camarades. Dont quelques filles. Mais elle semblait les refroidir. Comme venue d’une autre planète. Danse avec les loups est bourrée d’erreurs. J’interromps mon laïus habituel et sans doute parfois pathétique à force d’être répété. Pourquoi ? À un moment, l’auteur écrit, le loup lape. C’est faux. Un loup aspire l’eau. Grand silence après sa révélation. Merci de m’avoir appris quelque chose que je ne savais pas. Puis j’ai repris le cours de l’intervention. Avant la sonnerie annonçant l’interclasse. Une volée d’élèves déjà dehors. Sauf elle.

L’enseignante me proposa d’aller boire un café. Monsieur, j’écris. Et je veux devenir écrivain. Est-ce que je peux vous envoyer une nouvelle pour que vous me donniez un avis ? Votre avis d’écrivain. Je reste sans mot. Pas la première fois que j’ai ce genre de demande. D’élève ou non. Mais jamais avec une telle certitude. Rien à voir avec de la prétention et du « moi, je suis la meilleure ». Dans son regard, j’ai lu que l’écriture était essentielle. Pas un passe-temps de lycéenne livrovore et brillante. Exagération de ma part ? Mauvaise interprétation ? Peut-être. En tout cas, mon impression. Écoute, c’est… Comment dire ? Elle attendait ma réponse. Déterminée. D’accord. Elle afficha un large sourire. Vous me donnez votre adresse mail ? Non. Son sourire a fondu d’un coup. Tu enverras ta nouvelle à ta prof qui me la fera parvenir. Et je repasserai par elle pour te donner mon avis. Elle me fixa. Vous me le promettez, parce qu’une fois… À mon tour de sourire. Je tiendrai ma promesse. Elle remercia d’un hochement de tête. Avant de rejoindre les autres dans la cour.

Café dans la salle des profs. C’est une très bonne élève en français. Et aussi dans d’autres matières. Je sais qu’elle écrit. De temps en temps, elle me demande un avis sur tel ou tel texte. Je le  lui donne. Mais pour elle, ça ne reste qu’un avis de son prof. J’ai bu une gorgée de café. L’élève m’a demandé de lire une de ces nouvelles. Je ne le fais pas habituellement. Cette fois, j’ai vraiment senti que c’est très important pour elle. Pourriez-vous me transférer sa nouvelle ? L’enseignante acquiesça. Je vous la ferai parvenir dès que je l’aurais réceptionnée. Vous allez être surpris. De la force et de la maturité de son écriture. Cette élève ira loin. La sonnerie interrompt notre conversation. Ne me souvenant pas des dialogues dans le détail, ils sont en partie frictionnée.  J’ai balancé le gobelet dans la poubelle et repris mon sac. En route pour rencontrer une autre classe.

Jamais je n'ai reçu la nouvelle. Négligence de l’enseignante ? D’autres priorités ? L’élève ne lui a pas envoyé son texte ? Des questions restées sans réponse. Parfois, je pense à cette élève. Me reste en mémoire l’image d’un regard puissant. Très troublant. Presque inquiétant. Comme si à force de fréquenter les loups, à travers la littérature et le cinéma ; elle avait fini par hériter de leur regard. Devenir une des leurs dans un corps humain. Des yeux froids et profonds. Devenu écrivain - son terme- comme elle en rêvait ? Une spécialiste des loups. Quel était le contenu de sa nouvelle ?

Dans toutes les écoles du monde, des gosses voyagent immobiles. Une fugue du regard. Mais uniquement dans les écoles. Récemment, j’ai croisé le regard d’un Rom d’une dizaine d’années. Autour de lui, le brouhaha de la ville. Les autres membres de sa famille très volubile et gigotant sans cesse. Tandis que lui, assis sur le trottoir, ne bougeait pas. Le regard dans le vide. Ce qu’on dit toujours dans ce cas. Peut-être un voyage... Hors de la réalité subie. Dans un ailleurs n’appartenant qu’à lui. Détaché du réel avec sa gueule sombre ne le lâchant pas d'une semelle. Vide son regard ? Plein, de plus en plein. Il se remplit de l’intérieur. Un poème, son poème unique, s’écrivant dans son regard. Sa famille s’était arrêtée au pied d’un immeuble de sept ou huit étages. Au-dessus de ses épaules, des appartements. Avec sans doute des familles. D’autres jeunes voyages à domicile ?

Pas le monopole de l’enfance. Des êtres de tout âge continuent de partir sans bouger. De quelle façon ? Sur une feuille de papier, un clavier, une toile, devant une fenêtre… Que cherchent-ils et elles ? Sûrement aussi un ailleurs inaccessible à l’autre. Qu’il soit proche ou lointain. Disparaître de la surface de son quotidien. Ce genre de voyage est un trait commun à la majorité des êtres vivants. Même les animaux. Où est parti ce regard de chat ou de chien ? Là où le temps n’a plus la moindre prise. Ni tout le reste. Un voyage sans tapis de sol ni enseignement d’une quelconque discipline pour son bien-être. Personne pour guide. Le regard ancré sur le souffle du vent.

Retombons dans la réalité. Même si elle est loin des fugues de ces gosses. Pour se rapproche des bords du dernier voyage. Et donc de sa retraite. À écouter les unes et les autres à la radio, autour de soi, on sent que le fric n’est pas la revendication essentielle. Même si ça peut changer la face d’une fin de vie. Si cette réforme passe en force, c’est un boulevard pour l’extrême-droite, s’inquiètent en boucle des voix sur les médias. Et même parmi les partisans des dirigeants actuels. Pourquoi une telle inquiétude ? Parce qu’ils se rendent soudain compte que la colère est très profonde. Refusant que la chair de leur histoire soit dépossédée d’un bien unique : le temps de souffler. Ne serait ce que s’asseoir et regarder le silence. Ou courir le monde. Dernier tour de son histoire avant la piste aux poussière d’étoiles.

Les diverses voix s’inquiétant de l’avenir me semblent avoir raison. Si cette loi passe, la très grande majorité de la population se sentira flouée. Spoliée dans son intime. Et cette fois, malgré les éléments de langage, ne passera pas. Que fait un peuple touché au plus profond de sa chair ? Certes difficile de le prévoir. En effet, fort probable qu’une très grande partie peut basculer dans les bras de la sirène blonde aux dents brunes rayant le plancher de la démocratie. Pourquoi lui offriraient-ils leur voix ? Ne serait-ce que pour se venger de leur spolieurs de temps. Espérons que les têtes pensantes dans les hautes sphères penseront avec un autre outil que la calculette. Surtout que des économistes de tout bord rappellent qu’il a de l’argent pour les retraites – suffit d’aller le chercher là où il se trouve. Des éclairages chiffrés alimentant la colère des potentiels spoliés. La toile offre la possibilité de creuser un sujet. Et pas que des fake news sur le Net. Prendre des dizaines de millions d’individus pour des décérébrés risque de s’avérer dangereux - extrêmement. Misons sur l'intelligence et la capacité à accepter de se tromper. Certes pas facile de renoncer. Mais pas plus grande puissance L’hôte du 55 rue du Faubourg-Saint-Honoré ouvrira-t-il ou non un boulevard à la nuit ?

Pas la nuit des poètes. Ni celles étoilées d’un beau ciel au bord de congés payés. La nuit de la trouille au ventre de Marianne et les autres ?  La nuit de toutes les haines ?  La nuit des divisions ?  La nuit de l’extinction du pays des lumières ? La nuit de la fin de la liberté d’expression ? La nuit des  impasses ? Des conneries tout ça ! Une manipe pour foutre encore la trouille à tout un peuple ! Et si ces autres sons de cloche avaient raison ? Exagération ? Qu’est-ce que ce serait bien. Juste une poussée de paranoïa et fausse alerte.

Ce qui n’est pas le cas ; ici ou là, on sent que le temps n’est pas à l’ouverture aux autres et au monde. Même sous le crâne et la poitrine d’êtres très cultivés et habitués à prendre du recul. Rajoutez à ça une confusion ambiante et une course aux égos et places. Avec de plus en plus de tentations communautaristes (pas que religieuses). Et de moins en moins d’individus échappant  à la voix de sa radio, les mots de son quotidien, les propos de telle ou telle personnalité publique suivie, ses obsessions, ses certitudes, sa vérité vraie… Complexe de penser contre soi. Surtout quand on sûr de soi.

En ce moment, certains commentateurs sur écran semblent très fébriles. Très inquiets de l’avenir sous le ciel de la République. Sans céder à la panique, soyons vigilant pour ne pas reproduire d’autres nuits. Comme celle dont des penseurs et poètes se demandaient si la poésie renaîtrait des cendres de cette nuit. Condamné à reproduire des nuits passées ? Une question récurrente de nos jours. Générant des inquiétudes légitimes. Lesquelles ? Elles sont nombreuses. Dont une. Se réveiller sans aube.

Ni poésie pour la réinventer.

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