Je suis morte
C'est fait
Ça ne vous suffit pas
Me tuer encore
Encore me tuer
Me tuer encore
Nouvelle mort en direct
Arracher tous les mots
Les empêcher de germer
Mots en fleurs
Dans ma dépouille
Grenades de signes
Parole de chair
Chair à parole
Mon cadavre dégoupillé
Urgence
Vite
Ne pas laisser ouvert
Le moindre regard
Sur vos actes
Que l'horreur de l'autre au journal TV
Elle existe
L'autre n'est pas un saint
Nul peuple sans haine
Ni folie humaine
Et votre haine à vous ?
Votre barbarie ?
Vous la cachez
Pire encore; certains l'ignorent
Persuadés d'avoir raison
Propriétaires de la vérité
La seule indiscutable
Jamais de doute
Incritiquable
L'autre
Toujours l'autre
Barbare
Criminel
Jamais vous
Vous avez peur du cadavre d'une femme ?
Aucune inquiétude
Ma bouche close
Plus de son.
Mes yeux clos.
Fin des images
Mon reflet sur l’écran
Ne blessera plus vos consciences
Ni votre regard
Ecran noir
Ma langue figée
Dans ma bouche
Mes yeux rivés
Sur un horizon de bois
Mon cercueil qui tangue
Sous la houle haineuse
Incapable de respecter
Le dernier voyage d'une femme
Vous voulez quoi de plus ?
Essorer mon cadavre
Jusqu'à la dernière goutte
Pas de sang
Inoffensif dans mes veines
Mon sang ne vous intéresse plus
Que cherchez-vous encore ?
Vider ma dépouille de son sens
Avant qu'elle repose en terre
Ici-bas
Sous le ciel
La nuit des impasses
Dans cette terre
Je vais rentrer
Ne plus en sortir
Là où vous m'avez fait taire
Femme tue d'une balle
Plus que l'éternité du silence
Le silence de l'éternité
Vous avez réussi
Ma voix est perdue
Langue inutile
Mais l'éternité a de la mémoire
Elle sait la vérité
Celle que personne ne peut travestir
L' éternité vous regarde
Avec mes yeux
L'éternité a ma bouche
Mes mots sont les siens
Elle continuera de parler
D'autres mots
Les mots de toutes les langues
Refusant de mourir
Nouvelles bouches
Pour dire
Crier
Rire
Jouir
Nouveaux corps
Pour avancer
Courir
Danser
Continuer d'être
Ma parole à jamais ouverte
On ne peut tuer les mots
Ma parole d'éternité
.
.
NB: Ce texte a été écrit à chaud en voyant l'inhumation de Shireen Abu Akleh. Choqué et révolté comme nombre d'internautes. La mort d'une femme journaliste ne suffit pas ? Toujours une marche de plus dans l'horreur ? Des images qui ne peuvent que révolter n'importe quel humain digne de ce nom. Quel que soit son camp. L'horreur est inscrite dans le tissu de tous les drapeaux du monde. Même dans sa patrie tant aimée.
Je me suis permis de me glisser un instant dans la dépouille d'une femme. Un texte qui ne changera rien. Constat toujours impuissant face à la folie humaine. Sans doute aurait-elle eu d'autres mots. Meilleurs et plus forts que les miens car c'était une femme de terrain. Mais on lui a arraché ses mots. Sa voix continuera. Les mots ne meurent jamais. Ils reviennent dans d'autres bouches.