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« Peu à peu : se redresser, partir avec l'oiseau, puis avec l'arbre, lui laisser nos gestes et le petit secret enterré à son pied. Voyage, ascension de chaque instant pour équilibrer ce qui ne peut s'élever. »
Thierry Metz
Une étoile qui ne veut plus briller dans un ciel carnassier. Votre décision est respectable. Un renoncement sans doute pas facile. Et qui est fort. Mais c’est un luxe. Quelle conductrice de bus, quelle ouvrière, quelle infirmière, quelle enseignante, quelle cadre, quelle caissière, pourraient dire à ses employeurs « je vous annule de mon monde » ? Certes toujours possible pour des femmes et des hommes de faire comme vous : refuser de cautionner et de supporter l'inacceptable. Dire stop. Mais pas du tout avec les mêmes conséquences au quotidien. Ni à leur disposition tous les outils réparateurs ( psychanalyse, amitiés, maison isolée au bord de la mer pour soigner ses blessures). Sans fortune personnelle, c’est aller droit dans le mur. Ou finir au RSA. Vous avez donc ce luxe de pouvoir plaquer un environnement professionnel qui vous révolte. Et tant mieux pour vous. Qui ne se servirait pas de ce privilège pour sauver sa peau ?
Votre décision a fait parler. Tout à fait normal puisque vous la rendez publique. Et que nous sommes dans le« siècle des avis ». Ce blog n'échappe pas à la commentarite aigüe et pas toujours intéressante de notre ère numérique. Revenons à votre décision de quitter le milieu du cinéma. Sûrement qu'elle est sincère. En tout cas, c’est mon intuition à la lecture de vos mots. Qu’on soit en accord ou désaccord ( des amis pensent sincèrement que c’est un caprice de petite bourge autocentrée) avec vos idées, force est de reconnaître que votre choix a du sens. Correspondant à nombre de vos positions et de discours que vous tenez publiquement. Un choix en total adéquation avec la ligne de vos idées et de vos prises de position dont la presse fait écho depuis plusieurs années. Comme beaucoup d’autres, je ne vous connais qu’à travers les médias. Et l’un de vos films que je n’ai pas du tout apprécié sur le plan artistique. Pour revenir à votre décision de larguer l’industrie du cinéma, j’ai l’impression que ce n’est pas un coup de buzz. Un acte porté par une profonde réflexion. Et révolte. La douleur d’une femme blessée. Qu'une plaie de l’ordre intime ? Non. Une citoyenne inquiète des blessures du monde.
Et souvent en première ligne sur le terrain. Des luttes vitales pour vous et les autres. Ce qui ne m’empêche pas d'être critique ( encore me faire des amis et amies ) sur certaines de vos actions publiques. Et ne partageant pas toutes vos réflexions sur la société. Contrairement aux mots de votre interview à Médiapart ; elle était tout simplement très forte. Une sorte de sincérité de combat. Rage mentale d’une femme refusant de baisser les bras. Guerrière. Dans le rôle très compliqué et risqué professionnellement de Adèle contre Goliath. Grâce à votre témoignage, je me suis approché par empathie de l’indicible d’une violence- sans doute plus difficile d’accès pour un homme- subie dans votre chair adolescente. Et qui, malgré le temps, la réussite, continue de vous miner au cœur de votre corps de femme. Un corps dont certains se moquent sur les réseaux sociaux. Sans se douter que leurs mots témoignent de la laideur de leur pensée. La plupart de ces internautes avancent planqués derrière leur pseudo. Et sans photo de leur visage. Analphabètes de l'empathie ? Incapables de pouvoir lire la blessure dans un regard ?
Votre témoignage m’a beaucoup appris et touché. Vous portiez aussi la parole d'autres femmes blessées. Et de celles mortes sous les coups. Malgré ma grande méfiance des souffrances- réelles ou non-qui « transitent par la presse ». Mise en scène pour capter encore plus engranger sur l'émotion et diviser en camp du bien ou du mal ? La tyrannie du souvent simpliste pour ou contre imposée par certains médias ? Et pas que la télé dite poubelle. Quand le présumé méchant ou méchante n’est pas présent en plateau, je m’interroge toujours sur son absence. Une curée médiatique ? Un jugement par « contumédias » ? On l’a invité, mais il n’est pas venu. Iriez-vous à un rendez-vous ou d’emblée, vous êtes désigné coupable ? Dans tous les cas, la presse devrait s'efforcer de ne pas se prendre pour le juge ou le procureur. Ni pour la police. Sans doute compliqué, voire impossible, d’informer sans juger plus ou moins. Le ou la journaliste n'est pas un robot à débiter froidement de l’info. Aux citoyens et citoyennes de prendre du recul. Toujours essayer de rester en état d’esprit critique. Encore plus avec sa presse préférée et ses certitudes ?
Revenons à vos propos. Une langue simple sans être simpliste, complexe sans être compliqué. S’adressant à toutes les catégories de population. Vos mots entendus et écoutés étaient de chair et en même temps étayés par une grande réflexion. Guère un hasard s’ils ont touché autant d’hommes et de femmes. Si vous aviez annulé ce monde que vous dénonciez à très juste titre » avant cette interview, nous n’aurions pas eu votre éclairage. Vraiment dommage. Pour nous, pour vous, et toutes les femmes blessées. Trop nombreuses, dans le cinéma et ailleurs. Sans oublier cette femme morte tous les deux jours sous les coups. Vos mots s’adressaient à elle, elle, elle… Et à nous les hommes. Aucun d’entre nous ne pourra dire qu’il ne savait pas.
Une décision sans appel ? Reviendrez-vous au cinéma ou non ? Seul votre miroir a la réponse. Pour rester raccord avec une des digressions de ce texte, vous avez tout à fait le droit de tirer la chasse sur tout un milieu que vous trouvez puant. Sûrement, que vous y avez trop souffert pour pouvoir continuer. Nombre de raisons d’ordre intime qui ne regardent que vous et vos proches. Dans tous les cas, comme Jeanne Moreau, Delphine Seyrig, d’autres actrices et acteurs, vous avez refusé de n’être qu’une plastique de chair à ciné. Non, pas que le nom écrit en gros, très gros, plus gros que les autres, sur le générique d’une industrie dévastatrice pour certains. Surtout certaines. Vous avec choisi un autre rôle. Celui d’une citoyenne répondant présent. Une présence au côté des douleurs du siècle. Combattive. Pour un meilleur monde pour tout le monde.
Même avec de nombreux désaccords avec vous, et beaucoup de vos amis politiques, je salue votre courage d’avoir pris la parole. Certes une voix avec ses réussites et échecs. S’approcher d’un micro ou d’une caméra, c’est aussi trop dire, pas assez, ou balancer des conneries. Mais vous avez eu le mérite de l'ouvrir et être allée au combat. Et pas uniquement pour faire entendre votre voix. Celle d’une actrice en promo. Vous avez détourné les micros et les caméras vers les ombres de France et d’ailleurs. Porter la parole des sans accès à la voix publique. Toutes celles et ceux loin de la machine à café où des gens de droite et gens de gauche -souvent sincères- parlent au nom des autres. Parce qu’ils sont plus intéressants que le reste de la population ? Non. Juste nés près de la machine à café des élites. Merci de votre parole pour les privés de parole. Même s’ils ont des ressources. Le verbe n’est pas né avec les caméras et les micros. Ni avec les réseaux sociaux. Les invisibles n’ont pas dit leur dernier mot. Avec ou sans gilet jaune. Les riens n'ont plus rien à perdre. Annulés depuis longtemps. Mais les sans dents ont des crocs sous la peau. Et leur colère à très faim de vraie égalité républicaine.
Vous aussi ne semblez pas prête à dire votre dernier mot. Pas une femme et actrice cherchant à se réduire au silence. Même si vous quittez la grande lumière du cinéma qui fait rêver tant d'individus. Sortir de la starisation pour les maigres lueurs d’un théâtre. Sans doute dans des créations peu populaires et loin de la machinerie à pouces levés et likes. Cesser d'être une proie dans la lumière pour créer à l'ombre ?
Que dire en conclusion de lettre-billet d'humeur ? Un enfonçage de porte dégondée: au monde du cinéma à changer. Pas à vous. Ni à d’autres actrices. Les choses changent. Grâce à vous et d’autres qui mettent leurs maux en lumière. Certes une évolution lente. Mais impossible à freiner. La famille du septième art commence balayer sur ses tapis rouges. Et faire le ménage en dessous. Beaucoup de poussière sous les tapis rouges. Pas que dans le cinéma. Sous beaucoup d’autres tapis du vieux monde poussiéreux. Et même dans son miroir.
Bonne continuation sur les planches
Dernière digression avant sortie:
Une petite interrogation née de la lecture d’un article paru il y a quelques années. Dans cette interview, vous disiez (je cite de mémoire et peut-être pas les mots exacts.) que les chiottes des bars de Montreuil, votre ville d’enfance, étaient sales. Humour noir ? Sincère souvenir sur un journal papier ? Sourire amusé ou méprisant du ou de la journaliste ? Référence au «Là ou ça sent la merde ça sent l'être. » du grand spécialiste de la fécalité nommé Antonin Artaud ? Je n'en saurais rien. Et en plus peut-être que ma mémoire me fait défaut et que vous n'avez jamais parlé des chiottes des bistrots de Montreuil. Dans ce cas, toutes mes excuses. Et ce qui suit devient en partie de la fiction.
En effet, vous avez raison- pour les bars que vous fréquentiez. Et sans aucun doute d'autres. Mais ce n'est pas pas pour tous les rades de cette ville.Un sujet que j’ai beaucoup étudié avec de longues années de travaux pratiques. Notamment avec des cours nocturnes à rideau de fer baissé. Certes pas toujours que du haut niveau et de la subtilité. Comme à la radio, la télé, l'Assemblée nationale, dans les troupes de théâtre, en fac de médecine, dans les grandes écoles... Longtemps, à toute heure, j’ai été un pilier de bistrot ( mes universités populaires depuis l’âge de 16 ans ) de Montreuil : ma ville natale. Et je continue de temps en temps d’y faire « Escale », à la Croix de Chavaux. Les chiottes de ce bistrot sont propres. Et les prix des consommations sont très abordables. Sans oublier les rires, la joie, les vannes, la solidarité, l'autodérision, la musique, les mots, le silence...
Et certains jours ou nuits, la poésie a rendez-vous au comptoir ou en terrasse. Pas l'officielle avec étoiles sur papier glacé ou écran. La poésie d’hommes et de femmes à l’âme grisée ou infusée de thé vert. Parmi eux, des êtres, qui sont comme vous, des étoiles blessées, loin, très loin des projecteurs du monde que vous avez décidé d’annuler. Des individus dans la lumière de l’instant, irréductibles papillons urbains. Vous y croiserez notamment l'un des « porte-poèmes » de Mahmoud Darwich. Vous, nous, tous, toutes, et les autres, aimons la vie. Même quand un certain monde cherche à vouloir annuler notre histoire. En vain. Nos histoires continuent à vivre et à se raconter. Ici et aujourd'hui. Des étoiles vivantes. Encore une autre année. Et plus longtemps.Jusqu'au prochain verre et poème.
Dans les années cinquante, un homme est arrivé en France. Au départ d’un village des montagnes de Kabylie. Et en direction d’une usine. Une arrivée avec peu d’argent et sans domicile. Embauché très vite. Il s’est installé dans la ville de Montreuil. Le quartier de la Croix de Chavaux. Dormant d’abord plusieurs mois sous un porche d’immeuble. Aux premières lueurs de l'aube, il gagnait le bistrot le plus proche. Avec un passage par les chiottes. Pour vider sa vessie et ses entrailles d’un repas pris souvent la veille dans ce même bar. Puis il se débarbouillait le visage à l’eau froide avant de se rendre au comptoir. Avaler son premier café de la journée. Avant de rejoindre en métro la chaîne de montage. Un homme est mort il y a une trentaine d'année. Dans cette ville. Cet homme, c’était… Non. C’est mon père.
Pour finir par une note d' humour. L’initiative de la patronne d’un bar du Sud de la France. Grâce à ce petit panneau, elle a appris l’hygiène et le respect du prochain « passager de cuvette ». Un raccourcissement de certains ego masculins par une petite pointe d’humour. Je ai croisé deux fois cette femme. Capable d’humour et de fortes colères. En tout cas, les chiottes sont propres. Et l'ambiance est bonne.

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