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Billet de blog 13 septembre 2023

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En orbite solitaire

Tourner en orbite autour de son enfance. C’est la trajectoire de chaque individu. En orbite solitaire.On finit toujours par y revenir. Dans quel but ?Pour replonger dans de bons moments. Feuilleter un album de joyeux instants. Ou au contraire, aimanté par une souffrance passée. En orbite blessée. Entailles ou blessures profondes.

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               Tourner en orbite autour de son enfance. C’est la trajectoire de chaque individu. En orbite solitaire. De tout temps et partout sur la planète. Que ce soit une enfance heureuse ou fracassée. On  finit toujours par y revenir. Dans quel but ?  Pour replonger dans de bons moments. Feuilleter un album de joyeux instants. Ou au contraire, aimanté par une souffrance pesant sur notre présent. En orbite blessée. Rares, voire inexistantes, les enfances entièrement lisses et sans la moindre plaie. Toutes les peaux humaines sont plus ou moins cabossées. Entailles ou blessures profondes. Certaines peaux cumulent.

           Comme ces deux gosses. Un garçon et une fille de sept-huit ans. Surement frère et sœur. À moins que l’extrême misère finisse par mêler les traits. Comme la richesse crée des gémellités visibles et invisibles. Leur visage est avalé par une tignasse bouclée châtains clair. L’un et l’autre immobile collée. Un corps avec deux têtes. Ils sont assis en tailleur dans un terrain vague; comme leur regard ? Terrain d'une ville ou proche d'une ville qui n'est pas construit ou planté d'arbres. C’est la définition de terrain vague. Tous les deux ne sont pas construits. À peine les fondations sous leurs pieds. Double enfance. Soudée et solitaire.

          Voleurs ou futurs voleurs. Une certitude à priori pour certains en voyant des gosses dans un bidonville. En l’occurrence quelques toiles et baraquements. Les hommes du campement sont tous des violeurs potentiels. Une autre certitude pour d’autres posant leur regard sur les Roms, les migrants, les réfugiés, les basanés en général, etc. Toute cette nouvelle misère en périphérie et au centre de nos villes. Parfois aussi dans des villages. Rarement bien vus des autochtones- même issus de l’immigration. Les plus bas de l’échelle en ce moment. Tous des gentils damnés de la terre ? Pas du tout. Parmi eux, bien sûr qu’il y a des voleurs et des voleuses. Nécessite faisant loi. Certains hommes sont aussi des violeurs. Indéniable. La misère ne rend pas parfait. Toutefois, elle n’a rien à envier d’autres milieux. Si ce n’est un toit, un rôle, de l’argent… Et des lendemains plus certains. Comme pour ceux autour de moi en ce moment. Face au terrain vague.

          Nous sommes attablés dans une brasserie. Pleine à craquer. Le verseur me tend la carte. Je vous laisse choisir. Les menus ne sont pas donnés. Brasserie de luxe ? Je promène le regard autour de mon guéridon. La clientèle est essentiellement composée de cadres, de commerçants, de professions libérales. Une table a été réservée à des officiels de la ville et de la région. Un photographe sirote un demi en attendant sûrement de shooter le déjeuner des huiles. Derrière moi, trois avocats en conversation. Sur ma droite, un couple propriétaire d’une agence immobilière avec leur fils. A-t-il abusé de son enfant ? A-t-elle détourné de l’argent public ? Et lui harcèle-t-il sa collègue de travail ? Ce couple très distingué en évasion fiscale ? Même proportion de voleurs, d’escrocs, de violeurs, qu’en face.

         Aucun milieu ne se trouve au-dessus de la boue humaine. Le pire de notre espèce est multi-carte et opère dans tous les quartiers du globe. Des violeurs issus de grandes école ou de la rue. Les exemples sont nombreux. Mais guère un scoop. La différence est que, de côté-ci, entre commensaux de « bonne compagnie » ; l’ignoble, l’horreur au quotidien, petits et grands délits, sont beaucoup mieux camouflés. Mais au fond la même saloperie. Avec toutefois, une pointe d’indulgence pour l’autre côté. La misère aide moins à combattre ses démons. Même si tous les gens dans la misère ne correspondent pas à l’image véhiculée par la rumeur, les médias, l’inconscient collectif. Comme d’autres – politiques, journalistes, artistes-bobos… - ne sont pas tous pourris et égoïstes. L’élégance humaine existe partout. Transposable d’un bidonville à un hôtel particulier en passant par un logement HLM. Rien de pire que les raccourcis. La plupart mènent dans des impasses. Et à la haine.

         Leurs yeux toujours dans le vague. Double absence sous un ciel du monde. Que deviendront-ils ? Impossible à dire. Excepté en les enfermant dans ce qu’ils sont aujourd’hui, les assujettir à une identité inamovible. Deux chantiers en construction. Quoi que ces deux gosses deviendront, leur histoire tournera en orbite autour de leur enfance. La rejetteront-ils ? Ne conserveront-ils que les meilleurs moments ? Tenteront-ils de s’en éloigner le plus possible ? Demain sera leur histoire à tenter de construire. Comme pour le gosse attablé à côté de moi. Les yeux ailleurs. Imperméable à la « conversation immobilière » de ses parents. Sur le papier, son existence future sera sans doute plus facile que celle de ses «  camarades de génération » de l’autre côté. Ne l’enfermons pas non plus. Laissons-le avancer à son rythme, trébucher, se relever, trébucher encore, se relever encore... Pas-à-pas. Tourner en orbite autour de son enfance.

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