Le nombre de gestes depuis la naissance de l’humanité. C’était le genre de questions que je me posais quand j'étais gosse. Comme d’essayer d’imaginer le premier salut de l’humanité. Quelles étaient les deux premières mains se saluant à distance ? Un geste devenu banal. Mais porteur de beaucoup de sens. Bien sûr, pas la moindre réponse à mes interrogations d’enfant. Même le meilleur moteur de recherche ne pourrait y répondre. Et tant mieux ; ça laisse place à la magie. Ne pas savoir est-il un luxe aujourd’hui ?
Guère un hasard si ma question d’enfance est remontée à la surface. Le sujet du travail et de la retraite occupant l’espace. Combien de gestes dans une carrière professionnelle ? Celle d’un ouvrier en usine, un plombier, un électricien, un boulanger, un serveur, un menuisier, une caissière, un magasinier, une postière, un médecin, un avocat, un juge, un prof, un chanteur, un routier, un ministre, un libraire, un égoutier, un agriculteur… La liste n’est pas exhaustive. Tous ces métiers ont un point commun : un nombre de gestes au quotidien. Impossible de pouvoir donner un chiffre exact pour chaque métier. Depuis quelque temps, on compte nos pas. Souvent pour des raisons de santé. Jamais où très rarement une compta de nos gestes.
Pourtant, ils sont d’une grande importance. Surtout pour les métiers les plus durs physiquement. L’accumulation de tous ces gestes se ressent dans la chair au fil du temps. Plus on vieillit, plus ça se ressent. La chair a une mémoire. Elle n’oublie rien. Tous les gestes d’une trajectoire humaine y sont inscrits. Pas la même inscription pour tous les corps de métier. Avoir plein le dos n’est pas qu’une expression. Toutes et toutes n’ont pas la même cassure. Mais un prof de collège en ZEP effectue un travail aussi pénible. La cassure n’est pas que sur le dos. Parfois sous la poitrine.
Qui sont ces hommes et femmes qui ont donné de leur corps ? Des indispensables. Même si les emplois moins pénibles, pas pénibles du tout sur le plan physique, ont aussi leur importance. Mais sans les dos cassés, le pays s’arrêterait de tourner. La planète entière non plus. Les indispensables sont sans frontières. La plupart du temps payés peu ou très peu. Pourtant, ce sont eux qui font tourner la machine du quotidien. De grands hommes et de grandes femmes. Même s’ils sont ignorés et souvent traités par le mépris et laissés sur le bas-côté. Dignes que de suer, voter, consommer ? Comme des millions d'autres invisibles. La patrie peut être reconnaissante envers ces hommes et ces femmes indispensables. De quelle manière ?
En leur donnant ce qui leur est dû. Quoi ? Une place au Panthéon ? Non. Pas leur souhait. De plus, il et elles se sont déjà illustrés durant de nombreuses années. Leur Panthéon, c’est le chantier d’une vie de travail. Ils et elles ont déjà beaucoup donné. Que veulent concrètement ces femmes et ces hommes ?
Respirer un peu avant leur dernier souffle.
