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Le bonheur dans la vitrine est un leurre. Très facile à dire quand on y a accès. Suffit de dégainer une petite carte. Une poignée de secondes avant de mettre la main dessus. Repartir avec l'objet ( un recueil de poèmes, une fringue, une œuvre d'art, un Mac do...) de désir du moment. Consommé sur place ou à emporter. Un bonheur sans contact rêvé par la majorité des Terriens. À l’autre bout de globe ou à son coin de rue. Sous son toit. Tous et toutes à la course aux leurres dans le sillage des écrans. Combien d’habitants de la planète qui ne sont pas nourris aux biberons à images? De moins en moins. Si tu veux être ça, achète ci. Tu n’en veux pas ? C’est devenu impossible de nos jours. On ne peut plus faire autrement. Plus personne ne vit sans. Si tu ne l’as pas, c’est que tu n'es rien. Partout des clichés mobiles pour être avec avoir. Et l’ensemble des habitants de la terre tournés vers elles. Image, dis-moi combien vaut mon histoire. Des milliards de solitudes priant vers la même vitrine.
Le savoir sans apprendre est à portée de main. Nul besoin de chercher, de tâtonner, d’apprendre, pour pouvoir l’atteindre et se l’accaparer. Une question à table, un doute en suspens, tu es sûr de ce que tu dis, ton info vient d’où, ça me paraît bizarre, puisque je te dis, oui mais… Jamais longtemps sans réponse. Toujours un index flottant sur un smartphone pour interroger un moteur de recherche. Le gagnant ou la gagnante est… La joie et la fierté s’affichant sur le visage apporteur de la bonne réponse. À l’affût de la prochaine interrogation pour gagner la course au savoir. En réalité, un leurre. Le savoir n’est pas un index courant plus vite que les autres sur un clavier. Il a besoin de temps. Et de s’égarer. Pour ne jamais complètement arriver à destination. Toujours dans le doute. Remettant sa certitude nouvelle sur le métier à questions. Le meilleur allié du savoir serait-il ? x ?
Ignorer son ignorance. Sans doute le leurre le plus usage à l’heure actuelle. Touchant tous les milieux et catégories d’individus. Chacun, chacune, autre genre, confiné dans sa bulle de certitude – alimentée souvent par ses sources d’informations préférées. Poutine est une ordure qui a envahi un pays. On est en guerre. Faut envoyer des avions. Pour défendre un peuple envahi. D’accord avec toi, on est en guerre. Toute une population bombardée. Faut absolument aider ce peuple écrasé par un tyran. Envoyons des avions au Yémen. Une population détruite moins bancable qu’une autre ? Impossible dialogue, car personne n’a tort ni raison. Chacun chacune dans son couloir sincère. Coincé dans le pour et le contre. Comme à une époque la corrida. Le sujet casse-gueule à table. Finissant le plus souvent en engueulade. Voire même en fâcherie. Avec le temps, on avait fini par l’esquiver et passe moi le sel ou très bon ce pinard. Un évitement pour finir tranquillement un repas. Et conserver ses amis.
Beaucoup plus difficile d'éviter le sujet qui fâche de nos jours. Tellement de corridas s’invitant à table. Chaque mot prononcé peut se transformer en banderille dans la peau de la conversation. Israel-Palestine, Woke or not Woke, le voile, l’abaya, pro-vaccin, antivaccin, islamo-gauchiste, antifachos, réac, écriture inclusive, trop de noirs dans l’équipe de France, le croc top à l’école, facho, pour ou contre le barbecue… La liste ne peut être exhaustive car, à chaque jour, émerge une nouvelle cause - légitime ou non selon son point de vue -se positionnant comme prioritaire sur toutes les autres. Aujourd’hui, pour ou contre, si tu n’es pas avec nous-moi tu es contre moi-nous, ont envahi le débat ; ou plutôt son absence. Le subtil, la nuance, l’esprit critique du monde et de soi, la caricature, la fiction sans regard- sécateur à l’affût de la moindre mauvaise herbe, le second degré, le droit de se contredire, ont du plomb dans l’air. Faut être entièrement pour a explique ma radio préférée qui dit la vérité; non, faut être complètement contre a propagandé leur radio détestable et qui ment. Avec des arbitres des élégances à tous les coins de phrases. La nouvelle guerre froide se déroule sous nos crânes ?
Certes pas facile de distinguer son idée, sa conviction, de son ego-nombril. Aucun d’entre nous n’est à l’abri de la confusion. Mais à notre petit niveau, peu de dégât. Contrairement aux tenants de la parole publique. Dans la même confusion que nous à table entre copains. Suffit de regarder la télé, écouter, la radio, se promener sur la toile, pour se rendre compte du confusionnisme de soi-disant nos élites et représentants. Ne pas s’étonner qu’ à la vue du spectacle pathétique de l’agitation – en quête de pouces levés et vues- nombre de politiques que la majorité se détourne des urnes. Pareil pour tel et tel « ex-intello » phagocyté par les ombres de la caverne numérique. Très rares (à moins que je ne sois jamais présent au bon moment) les vrais moments de débat. Quand les individualités et intérêts de son entre-soi s’effacent derrière les idées. Pour les laisser se frotter. Que la meilleure réussisse à convaincre l’autre. Et de leur frottement, comme des silex, naissent petits et grands éclairages pour nous faire progresser. Des exceptions en notre époque plus encline à promouvoir les ambassadeurs de la confusion et de l’obscurité. Comment sortir de notre nuit mentale ? Je n’ai pas la réponse. Et l’index sur écran non plus. Sommes-nous devenus des leurres ?
Apprends de l’idiot en toi. Va interroger le plus grand ignorant sous ta peau. Je ne sais pas d’où me vient ce réflexe quand je n’arrive plus à comprendre. Ni le monde, ni son passager éphémère que je suis. Sans doute une façon de chercher hérité de mes lectures de gosse et plus tard. Sûrement aussi certaines voix de la radio (grand merci à France-Inter qui m’a décrassé les oreilles) m’ayant aidé à penser à rebrousse-moi et mon éducation. Sans oublier les rencontres avec des paumés, des pochetrons de comptoir, des fracassés porteurs d’une irrépressible lumière ; tous les êtres à côté, ni dedans, ni dehors : solitude funambule sur le fil de la fragile humanité. Toutes ces présences m’ont aidé parfois à ne plus chercher à comprendre. Se glisser dans ma propre bêtise. S’y lover comme dans un cocon. Et observer le monde. L’interroger jour après nuit. Avec mon regard d’idiot.
Au bord du poème. La poésie de notre putain d’humanité. Celle qui doit avoir honte de nous les humains. Sans doute qu’elle a dû souvent penser à nous abandonner. Plaquer la pire espèce de la planète. Se tirer loin du premier meurtre, des guerres de religion, de l’esclavage, des tranchées de 14-18, des camps de la mort, de Hiroshima, du Vietnam, de Sarajevo, du Rwanda, de l’Ukraine, du Yémen, des féminicides, des migrants aux yeux énucléés par les crabes, du Sdf clodo crevant de froid devant un immeuble de bureau chauffé, des millions de gosses crevant de faim... Que de raisons pour qu’elle puisse nous haïr, et même nous mépriser. Pourtant, elle reste. Fidèle à son poste. Pourquoi une telle fidélité à de tels ingrats depuis la nuit des temps ? Elle croit encore que les humains relèveront leur niveau-très bas. Pour se hisser à sa hauteur. Face à elle: notre humanité.
L’utopie est aussi un leurre dans la vitrine. C’est vrai. Peut-être qu’il faudrait changer de terme. Espoir ? C’est bon, on assez donné. Intelligence ? Plus du tout une valeur cotée à la bourse du siècle. Cœur ? Encore moins côté. Amitié ? Les amis ça se comptabilise en K. Quel terme alors employer pour sortir de la confusion ambiante ? Un mot, même le plus petit et anodin, pour tenter une percée lumineuse dans l’obscurité. Je dois avouer ne pas le trouver. Et vous ? La première personne qui trouvera le terme est priée de ne pas le divulguer. Au risque que, comme décroissance, résilience, déconstruction, il se transforme en un slogan publicitaire pour vendre des bagnoles ou des smartphones. Gardez ce mot en vous. Bien planqué du regard code-barres des accapareurs des beautés du monde. À chaque être de trouver le sien. Son mot ou son silence. Unique et irréductible. Une sorte de planète intime. Son abri et fenêtre sur le monde.
La vitrine de sa solitude passagère
Pour conclure ce billet , place à une très grande autrice. Elle écrit beaucoup mieux que moi ce que je pense des verrouillages de notre époque et des précédentes. Toutes nos soumissions volontaires ou non. Mais aussi en filigrane toute la beauté contradictoire de notre espèce. Et du monde. Elle a les bons mots. Autant lui laisser la parole.
« Je ne serai pas célèbre ou grande. Je continuerai à être aventureuse, à changer, à suivre mon esprit et mes yeux, refusant d'être étiquetée et stéréotypée. L'affaire est de se libérer soi-même : trouver ses vraies dimensions, ne pas se laisser gêner ».Virginia Woolf