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Billet de blog 16 mai 2023

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La crémaillère

Pas comme tout le monde. C’était presque son deuxième nom. Des autres ; il entendait dire, c’est un beau garçon, une belle fille, moche, intelligent, intelligente, chiant, chiante, stupide, bon à rien, médiocre, peut mieux faire… Il aurait aimé être étiqueté par l’un de ces adjectifs. Même le plus négatif. Surtout ne pas être mis de côté d’une formule sans appel

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Illustration 1
© Marianne A

  « J'ai toujours été asocial, et jamais je ne me suis adapté. Dès l'école, j'ai découvert ma marginalité. (… ).J'avais tout du fou. Sauf que, même lorsque j'offrais les apparences de la déraison, je savais que la réalité était plus complexe.Dans un recoin de mon être, j'avais réussi à dissimuler de quoi me protéger, un petit rien insaisissable. »
Charles Bukowsky

         Pas comme tout le monde. C’était presque son deuxième nom. Des autres, de ses frères et sœurs,  des copains et copines ; il entendait dire, c’est un beau garçon, une belle fille, moche, intelligent, intelligente, chiant, chiante, bon à rien, médiocre, peut mieux faire… Il aurait aimé être décrit par l'un de ces adjectifs. Même le plus négatif. Surtout ne plus être mis de côté d’une formule sans appel. Inadapté à jamais.  Une souffrance camouflé derrière un sourire permanent. Ne faisant jamais de vagues. Ses parents finissaient toujours par murmurer «  Notre fils  n’est pas comme tout le monde ». Avec un  haussement d’épaules désolé. Comme un échec de leur part. À force, toutes celles et ceux autour de lui ont fini par considérer qu’il n’était pas comme tout le monde. Sans agressivité ou moquerie ; juste un constat.  Lui aussi a fini par l’accepter.

        Sa réalité. Indéniable qu’il n’était pas comme tout le monde. En tout cas pas les mêmes réactions que la majorité. Déjà tout petit à ne pas prendre la parole des «  grands » pour argent comptant. Même celle de ses parents et frères et sœurs. Pareil pour les enseignants. Puis, plus tard, les journalistes, les politiques ; toutes les paroles. Encore plus quand elles étaient dites d’autorité. Pourquoi, il, elle, me dit ça ? Qu’est-ce qui se trouve entre les mots de cette phrase d’un journal ou d’un livre ? N’acceptant une parole qu’après l’avoir décortiqué. Paranoïa ? Hyper méfiance ? Sans doute en partie. Peut-être aussi tout simplement équipé d’un esprit critique dès ses premières années. Un individu très difficilement manipulable. Même en sortant la panoplie de l’émotion-incritiquable. Sans pour autant être insensible à la douleur des autres. Au contraire, très empathique. Mais se méfiant des larmes trop bruyantes et visibles. Comme des douleurs portées en bandoulière.

      Bien sûr, il a eu droit très tôt aux séances de psy. Sans jamais moufter. N’occultant pas la moindre question. Répondant très souvent avec précision. Pas d’agressivité, ni d’inquiétude. Sachant qu’il était là parce que pas comme tout le monde. Une inquiétude surtout pour son père. Aucun psy ne détecta le moindre trouble susceptible de nuire à son épanouissement. Avec toutefois une lucidité et une maturité très avancées pour son âge. L’un d’entre eux avait évoqué un «  enfant surdoué » à peut-être inscrire dans un établissement spécialisé. Le père, enfin satisfait d’avoir enfin une réponse, sauta sur l’occasion et contacta plusieurs établissements spécialisés. Si vous me mettez avec des élèves comme moi, je resterai comme je suis. Alors que si je fréquente des enfants différents de moi, je vais pouvoir changer. Sa remarque avait laissé ses parents sans voix. Finalement dans le collège du secteur. Pour une bonne scolarité.

       Jusqu’au lycée. Dès le milieu de la première, il bascula. Refusant des devoirs et de participer en classe. Un mur de mutisme. Pourtant auparavant le meilleur dans quasiment toutes les matières. Le père lui proposa de retourner voir un psy. Il refusa. Inutile, je sais ce que je veux. C’est quoi ? Je veux arrêter l’école. Mais tu n’as que seize ans. Justement, c’est l’âge où je peux aller bosser. Subvenir à mes besoins. Avec tes capacités, tu pourrais faire de très longues études. Je sais  tout ça. Pourquoi refuses-tu alors de continuer, te trouver une bonne place ? Il avait esquissé un sourire et regardé tour à tour sa mère et son père. Tous deux désemparés par leur seul enfant n’entrant pas dans le moule familial. Ni dans celui de la société. Que deviendrait leur fils ? Je ne cherche pas une bonne place. Tu cherches quoi alors ? Ma place.

        Environ deux décennies avant de réussir à la trouver. Sans demander de l'aide à qui que ce soit dans sa quête. Contrairement à ses frères et sœurs ayant recours aux parents pour des fins de mois difficiles,  l’obtention de prêts où d'être guidés dans leur choix d'existence. Alors que était totalement autonome sur le plan financier. Et du choix de sa trajectoire. À 18 ans, il avait emménagé dans un studio. Puis deux années plus tard avec une copine. Elle était étudiante aux beaux-arts. Ils sont restés trois ans ensemble avant qu’il ne rompe. Ne supportant pas du tout la vie de couple. Il eut d’autres histoires. Mais chacun chacune chez soi. Très soucieux de sa solitude. Et de longs silences.

       Surtout grâce à elle, sa solitude fenêtre sur le monde, qu’il trouva sa place. Laquelle ? Dans les seuls mots dont il ne se méfiait pas. Même en étant très exigeant d’eux. Son pas comme tout le monde avait trouvé le monde à sa pointure. Ni trop grand, ni trop petit. Un lieu loin de tous « les flics de la norme » rencontrés dès quasiment ses premiers pas, celles et ceux qui veulent te faire penser bien droit, bien propre : te faire ranger ton cœur, ton cerveau, ton cul, ta bite, ta folie, tes rêves, ta connerie, ta colère, tes joies, dans telle ou telle case. Refusant de se conformer à la pensée dominante du moment. Tu es un rebelle punk, toi. Non. Tu es quoi alors ? Ce que je cherche. Fuyant le plus possible les colleurs et colleuses d’étiquettes sur l’histoire des autres. Qu’il s’agisse de commerciaux de Dieu ou d’un quelconque isme avec ou sans carte. Très difficile de leur échapper.

    Toujours quelqu’un pour venir te chercher les poux sous ta tête, sous ta couette, vérifier la composition de ton assiette, les livres de ta bibliothèque, tes disques, tes films… Pourquoi tu penses ça ? Pourquoi tu ne penses pas ci ? Pourquoi ? Pourquoi ? Tu ne serais pas ceci ? Non. Alors cela ? Un flicage entre autres par des gens se réclamant du respect des différences ; à la condition qu’elles soient bien dans les clous de leur morale. Si tu ne penses pas comme moinous, tu es… Rien de nouveau sous le ciel des inquisiteurs et des inquisitrices. Une présence culpabilisante à toutes les époques. Mais avec des visages différents. En général, il réagissait aux inquisitions- de quelque bord qu’elles viennent- par un sourire blindé. Le blindage d’un individu refusant de se justifier d’être ce qu’il est. D’autant plus que son histoire ne polluait personne. Comment se protéger ? 

        D’abord par une barrière flottante de mots. Pour se détacher des donneurs de leçons et demandeurs de comptes. Tous ces gens, bienveillants ou non, amis ou inconnus, voulant qu’il pense comme eux, rêve comme eux, vote comme eux, baise comme eux, pour finir par crever comme eux. Chaque fois qu’il en croise un, une, plusieurs, il se contente d’écouter sans un mot. Donnant presque l’impression d’acquiescer. Puis, plus ou moins longtemps après, il purge cette rencontre sur un cahier et son clavier. En écrivant un poème. Transformant la plupart du temps les propos de l’inquisiteur ou inquisitrice en texte humoristique. Comme une espèce de caricature de mots. Parfois un portrait près de la réalité de la rencontre ou, au contraire, très elliptique. Les cataloguant à son tour dans la rubrique : Prisons mobiles. Tous les individus dont le regard est un verrou sur l’autre.

       Même si écrire a été au début une protection contre les enfermeurs, leur présence n’occupe que peu de place dans son travail. Ses centres d’intérêt se trouvent ailleurs. Où ? Partout. Dénichant un poème dans son boulot de magasinier, au coin de la rue, sur le bord d’un comptoir, un sourire, un rire, une engueulade, un beau cul, le vol d’un oiseau, un parfum… Alimenté au quotidien. Pas un jour, sans qu’un poème ne vienne se poser sur la table de cuisine. La plupart du temps, le matin très tôt avant de se rendre au boulot. Des mots mêlés aux vapeurs de la cafetière en inox sur le feu. La radio jamais allumée au réveil. Pas de télé. Se rendant sur la toile essentiellement  pour l'administratif. De temps en temps, un disque vient ponctuer le silence sous son toit. Parfois, quand le dos du jour n’est pas trop cassé, il ouvre son cahier. Pour laisser le poème du soir se poser sur la table basse du salon. Avant fermeture de ses paupières.

      Les envoyer à un éditeur ? Seul un copain du boulot sait qu’il écrit. Par hasard ; un soir, il l’avait raccompagné : un cahier de notes était tombé sur le siège passager. Tiens, je te le rends. Je te préviens, j’ai tout lu. Pas du tout ma came tes textes. Mais ça peut plaire à d’autres. Il lui a conseillé de les faire publier. Pourquoi faire ? Pour qu’ils soient lus. Mais je n’écris pas pour une éventuelle lecture ? Pourquoi alors tu les écris ? Pour qu’ils soient là, juste présent. Comme des roses sur un rosier. Ou du lilas. Des parfums offerts à des gens de passage dans un jardin. Ou toutes sortes de  fleurs sauvages dans la nature. Pourquoi  les couper pour en faire un bouquet et les emporter ailleurs ?  Sur leur petit carrz de terre, elles proposent leur parfum à des narines, nourrissent des insectes, et finissent leur saison en fanant. Je suis prêt à faire sentir mes poèmes aux gens de passage chez moi. Son collègue a éclaté de rire. Tu n'invites jamais personne chez toi. Moi, j’ai juste eu le droit une fois à un café express. Et encore parce que j’ai insisté. La réflexion de son collègue l’a fait réfléchir.

      Trois mois plus tard, il a décidé de faire une fête. Comment s’y prendre ? Il ne savait pas inviter. T’emmerdes pas, dis que c’est ta crémaillère. Mais ça fait neuf ans que je vis dans cette maison. On s’en fout, c’est juste un prétexte. Il a acquiescé à l’idée de son collègue. Excité comme un ado pour sa première fête. Lançant une invitation à ses collègues de boulot et ses quelques autres relations. Ses invités tous très étonnés. Une vingtaine de personnes étaient venus chez lui. Un repas autour d’un barbecue. T’es vraiment pas comme tout le monde, toi. Longtemps qu’il n’avait pas entendu l’expression de son enfance. C’était la réaction de son collègue dans le jardin. Stupéfait. Promenant son regard des rosiers aux quelques arbres.

        Des poèmes accrochés aux branches.


NB: Une fiction sauf pour les individus le vivant au quotidien. Une réalité difficile. Ne pas être dans la bonne norme - évoluant selon les époques- n'est pas un atout. Encore plus en notre ère d'étiquetage permanent de l'autre ?

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