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Billet de blog 17 mars 2023

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Solitude du lampadaire

Rien à faire. Il se sent pas assez. Pourtant très brillant. Mais lucide sur sa position sous le ciel. Un lampadaire ne brille pas très loin. Juste un carré de rue, d’avenue, de square... Il a d’autres ambitions que de briller. Même s’il en a rêvé. Quelle est sa plus grande ambition ? D’éclairer tout un pays.Impossible pour un lampadaire. C’est là où le bât blesse. Surtout son amour-propre.

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         Rien à faire. Il se sent pas assez. Pourtant très brillant. Mais lucide sur sa position sous le ciel. Un lampadaire ne brille pas très loin. Juste un carré de rue, d’avenue, de square… Mais nul mépris pour les lampadaires. Grâce entre autres à leurs ancêtres nommées gazogène que la délinquance a énormément baissé sur la voie publique. Les marcheurs urbains de nuit très heureux de leur présence. Mais lui ne veut pas être un lampadaire. Il a d’autres ambitions que de briller. Même s’il en a rêvé. Quelle est sa plus grande ambition ? D’éclairer tout un pays. Et même au-delà des frontières. Impossible pour un lampadaire. C’est là où le bât blesse. Surtout son amour-propre.

Elle l'observe en coin. Pensive. Plus facile d’être un lampadaire qu’un phare, se dit-elle. Sachant qu'il n’est pas le seul dans ce cas. À ne pas être plus qu'une enveloppe brillante. Suffirait de changer le nom dessus. En quelque sorte des lampadaires dorés interchangeables. Parmi les puissants de ce monde, ceux d’aujourd’hui et du passé, rares ont finalement été des phares. Certains et certaines l’ont été et le sont. Capables d’incarner cette lumière qui guide son peuple, même dans les pires nuits de l’histoire avec le h de haine. En fait, il y a peu de grands hommes et de grandes femmes dans les hautes sphères de France et de la planète. Certes, ils et elles ont su briller et attraper les lumières des projecteurs. Leur nombre de vues sur leur nom est impressionnant. Comme celui de leurs suiveurs numériques. indéniablement très connus. Si on creuse, que reste-t-il ? Surtout leur image brillante. Qu’ont-ils apporté de vraiment concret à leurs contemporains et à l’humanité ?

À mon avis beaucoup moins que Pierre et Marie Curie. Ou cette silhouette en blouse blanche courant de chambre en chambre, cette prof face à ses élèves de collège, ce chirurgien au bloc, cette éducatrice, ce boulanger, cette bibliothécaire, ce chauffeur de bus, cette postière, ce comédien sur scène, ce pompier, cette serveuse, ce poète sur son clavier solitaire, cet éboueur... Partout, ils œuvrent partout. Dans les villes et les villages. De jour, de nuit. Sans ces femmes et ces hommes, que serait-ce notre existence à toutes et tous ? Sans doute plus rude et sûrement moins intéressante. La plupart d’entre eux éclairent le quotidien des autres. Sans tapis rouge ni caméras. Même s’il s’agit d’un éclairage en apparence banale. Une banalité qui, mise bout à bout, porte un nom. Lequel ? La civilisation.

Revenons au lampadaire se rêvant phare. À sa décharge, sa place n’est guère enviable. Tout ça pour ça, soupire-t-il. En pleine déception. Il n’a que le pouvoir. Pas plus. D’autres l’ont eu avant et de nouveaux l’auront après son passage sur les cimes. Les livres d’histoire regorgent de lumière passagère comme lui. Une saison du pouvoir chasse l’autre. Tout compte fait, un pouvoir banal. Même si une foule d’insectes tourne autour du lampadaire pour hériter de quelques miettes de sa lumière. Des femmes et des hommes aussi très brillants. À quoi rêvent-ils et elles ? Devenir lampadaire à la place du lampadaire. Son pouvoir l’a sûrement grisé les premiers temps. Tous ces regards tournés vers lui. Le soleil de tout un pays.

Puis, au fil du temps et des cirages de pompes, on finit par se lasser. Peu à peu, il s’est enfermé dans une sorte de solitude dorée. La nuit tombée, il écarte le rideau de son château. L’un des mieux protégés du monde. Il lève les yeux. Des étoiles brillent dans le ciel. Un geste machinal comme quand il traverse une forêt d’invisibles. Les premiers temps, des applaudissements. Désormais des huées. Que font-elles ? Impossible de ne pas savoir qui il est. Un nuage traverse son regard. Pas une étoile ne répond à son salut ni se précipite sur lui pour un selfie. Une larme roule sur sa joue.

Comment l’atteindre ? La question le taraude depuis quelque temps. Une obsession qui occulte le reste. Personne dans son entourage n’est au courant de ce qui le mine. Très fort pour camoufler son absence. Une machine à sourires, compter, et balancer la répartie qu’il faut au moment bien face caméra. Un très grand  pro de la façade. Quand tout a commencé ? Ça s’est fait progressivement. Augmentant à l’intérieur de son être en même temps que sa lassitude. Jusqu’à l’envahir entièrement. Pas un jour sans y penser. En réalité, la question le ronge surtout la nuit. Quand les lumières ont déserté son corps-costume sourire. Plus le centre que de lui. Immobile devant la fenêtre. Comme quand, gosse, il rêvait de toute sorte de conquêtes. Mission accomplie. Il a coché toutes les cases de ses ambitions. Que lui reste-t-il à atteindre pour le rajouter à ses trophées de chasse ? Cette ultime étape qui l’obsède. Comment acquérir la puissance ?

Paumé. Il se sent paumé. Pourtant pas du tout son habitude, les deux pieds bien ancrés dans le réel. Toutes ses machines à réponses, ses assistants, sa tablette, ne pourraient lui rédiger un quelconque topo. Il se sent vie. Alors que c’est tout de même un lampadaire très brillant. Sans doute le plus de sa promotion et bien au-delà. Guère un hasard s’il est parvenu à un tel niveau de pouvoir. Et en si peu de temps. Une sorte de Google et Chap GPT à lui tout seul. Mais sa mécanique à gagner bute contre la puissance. La séduire ? L’acheter ? Il sait que ça ne sert même pas à essayer. Elle ne se nourrit pas de verroteries, de fric, ou de telle ou telle place prestigieuse. Il ne pourra pas l’obtenir comme tout ce qu’il a réussi à posséder auparavant. Ses diplômes de grandes écoles et son carnet d’adresses ne peuvent lui être d’aucune utilité. La puissance joue dans une autre catégorie. Sans besoin de verroterie en vitrine. Bien sûr que je vais l’obtenir ! Je reste le meilleur !  C'est pour moi. Point, barre. Une colère d’adolescent gâté.

La puissance hausse les épaules. Elle fait demi-tour dans le parc du château. D’une démarche sûre. Elle a eu une grosse journée. Aller visiter tous les puissants et puissantes qui apportent ou tente d’être utiles à l’édifice commun. Certains sont certaines sont invisibles. D’autres plus visibles. Mais tous et toutes ont un point en commun : leurs actes, professionnels ou non, ont du sens. Pas uniquement pour ramasser du fric, comptabiliser ses pouces levés, s’afficher devant les caméras en se gargarisant de son engagement humaniste (n’importe quel animateur de télé ou youtubeur-tubeuse est engagé pour celles et ceux qu’ils aiment tellement mes chéris, mes merveilles...), se prendre pour Einstein grâce à son Smartphone dernier cri… De l’enfumage classique. Et encore que du banal pouvoir. Pourquoi les juger ? Ils font sans doute comme ils peuvent. Peut-être pas d'autre façon d'être que de briller et manipuler l'autre pour son profit personnel. En tout cas aux antipodes des centres d'intérêt de  la puissance.

Des bruits de pas derrière elle. La puissance se retourne. Il arrive essoufflé. En chemise blanche et jean. Ses pieds nus sur la pelouse. Comment vous êtes entré ? Elle pointe le doigt. Par l'entrée. Il lui jette un regard méprisant. Vous mentez. Elle soupire et repart. Il lui court après. Vous êtes qui ? La puissance. Il ouvre des yeux ronds. Justement, je voulais… Elle l’arrête d’un geste de la main. Ne perdez pas votre temps, ni le mien. Vous n’êtes pas fait pour la puissance. Vous êtes trop centré sur vous. Méprisant et supérieur. Certes, les bonnes qualités requises pour le pouvoir. La puissance n’a pas besoin de se sentir au-dessus des autres. Elle se situe ailleurs. Ce n’est pas une attaque ad hominem. Tous les hommes et femmes de pouvoir sont plus ou de votre genre. Fabriqués souvent dans les mêmes écoles. La puissance ne s’apprend pas dans une école. Ni sur un écran. Il fronce les sourcils. Pourquoi êtes-vous venu m’épier alors ? Se rendant soudain compte qu'il est sorti pieds nus. Que faire ? Il tente de les camoufler dans le gazon. Stupide, se dit-il. L'air honteux.

Elle toussote. On m’a demandé de venir vous visiter. Pensant que vous vous étiez débarrassé des breloques pathétiques du pouvoir. On m’a dit que vous pouviez accéder à la puissance. Pour ça que je me suis déplacé. Sait-on jamais… Mais pas du tout le cas. Je me suis déplacé pour rien. La puissance ne vous manquera pas. Parce que, au fond, elle ne vous intéresse pas. Il serre la mâchoire. Et pourquoi ? La puissance hausse les épaules. Pourquoi elle ne vous intéresse pas ? Parce que pas assez brillante. Toutefois, je ne me fais pas de souci pour vous. Aujourd’hui, vous avez ce que vous vouliez avoir depuis tout gosse : le pouvoir. Pas de souci ; vous avez déjà le pouvoir. Et beaucoup aimeraient être à votre place. D’ailleurs… Il l’interrompt d’un geste agacé. Pourquoi vous me jugez alors que vous ne me connaissez pas. Elle esquisse un sourire. D’abord, je ne vous juge pas. Nulle honte de ne pas accéder à la puissance. Chacune et chacun fait comme il peut. De plus, je vous connais. Il la toise. Impossible. Je ne vous ai jamais rencontrée. Elle pousse un soupir. Je vous ai côtoyé quasiment une dizaine de jours. Et je peux vous affirmer que… Il secoue la tête. Impossible. Je ne vous ai jamais vue. Elle fait un pas.

S’il vous plaît. Ne partez pas tout de suite. Elle se retourne et le dévisage. Pourquoi vous souhaitez que je reste ? Il affiche un large sourire. On pourrait dîner ensemble. Suffit que je fasse un geste et on peut avoir un grand repas. Notre chef est formidable. Nous avons une des meilleures tables de France. Elle secoue la tête. Merci, mais j’ai déjà mangé. Il danse d’un pied sur l’autre. On peut boire quelque chose quand même. Notre cave est aussi très réputée. Elle secoue à nouveau la tête. J’ai ma tournée à terminer. Une liste de gens à visiter pour leur offrir la puissance. En réalité, je ne leur offre rien du tout. Ils et elles n’ont pas besoin de moi. Tous les jours puissants et puissants. Pourquoi les visiter alors, me direz-vous. Pour me rassurer. Avoir la preuve que des individus ne pensent pas qu’à leur nombril, leur ego, leurs avoirs et actions… Mais à leur action au quotidien. Pour les autres et pour eux. Puissance et empathie sont indissociables. Des femmes et des hommes beaucoup plus nombreux que celles et ceux ayant le pouvoir. Mais moins bruyant et brillant en façade.Il se gratte la joue. Pourquoi vous ne restez pas un peu ici ? Je peux vous trouver une chambre avec vue sur le parc. Vous avez vu ce silence, au cœur d’une grande capitale. Et même vous trouvez un bureau. Vous serez bien ici. Elle pousse un soupir. Merci. Comme je vous disais, ne perdez pas votre temps. Désole, mais vous ne pouvez pas accéder à la puissance. Assez perdu de temps. Retournez à votre pouvoir. Elle reprend son chemin.

Une main se pose sur son épaule droite. La puissance s’arrête sans se retourner. Vous pouvez ôter votre main de mon épaule. Il obtempère. Désolé d’insister, mais… Il cherche ses mots. Que voulez-vous au juste ? Je vous ai dit que vous ne pouvez prétendre au cercle de la puissance. C’est comme ça. Contentez-vous de ce que vous avez. Il cherche ses mots. Comment peut-on accéder à la puissance ? Elle esquisse un sourire. C’est extrêmement compliqué. Et en même temps simple. Une simplicité très difficile à acquérir. En réalité, beaucoup y parviennent. Des millions de puissants dans ce pays. Une présence partout dans nos villages et villes. Imaginez le nombre de puissants sur la planète. Il lui secoue le bras. Si eux y arrivent, moi aussi, je peux sans problème. La puissance pousse un soupir. Déjà cesser de moi… Je… peux. Il acquiesce d’un hochement de tête. Moi, je peux arrêter de le dire. Désolé, je… La puissance est rouge de colère.

Si eux y arrivent, moi aussi, je peux sans problème. Ça veut dire quoi ? Il a l’air désolé. C’est sorti comme ça. Ce type ne changera jamais, se dit la Puissance. Donnez-moi au moins un tuyau pour accéder à la puissance. Laissez-moi essayer. Une sorte d’école de la deuxième chance. La puissance suit des yeux un oiseau de nuit. Commencer déjà à vous servir déjà de deux de vos organes. Bien longtemps que vous les négligez. Il affiche un air étonné. Je… Je ne comprends pas. La puissance se retourne. Vous êtes sur la bonne voie. Ne pas comprendre, ne pas savoir, c’est une étape. Toutefois, il reste une chose à apprendre. Très importante. Il bombe le torse avec un air méprisant. Je vais y arriver ! La puissance le fusille du regard.

Il baisse les yeux. Désolé, c’est un réflexe. J’arrive pas à faire autrement. La puissance tapote son poignet. J’ai rendez-vous avec des puissants. Il triture le col de sa chemise. Comme quand il était ado au moment des examens. Qu’est-ce je dois apprendre ? La puissance le regarde des pieds à la tête. Qu’est-ce que je n'aimerais pas être à sa place, se dit-elle. Le pouvoir acquis est devenu comme un jouet sans intérêt pour lui. Il en veut un autre. Avoir toujours plus et mieux. Un grand gosse ne rêvant pas de devenir un lampadaire. Il écarte les bras. Impuissant. Qu’est-ce que je dois faire ? Une question  en forme de supplique. Il a bredouillé. Pas la même voix que depuis le début de leur conversation. Sans aucun mépris ni assurance condescendante. Peut-être que je vais changer d’avis sur lui, se dit la puissance. Tout en restant méfiante. Elle sait que les gens de pouvoir sont de très bons comédiens. Elle s’éloigne sans répondre à sa question. Il reste immobile. Incapable du moindre geste. quelques pas plus loin, elle lui répond. Sans interrompre sa marche vers la sortie.

Apprendre à écouter.

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