
L'hôte me perturba au collège. Quand une prof de français nous lut la définition du mot. Échange de regards stupéfaits entre collégiens. Comment pouvoir être l’un et l’autre ? À mon retour chez moi, je me suis précipité sur le dictionnaire. En effet, l’hôte peut être l’individu qui accueille ou être l'accueilli. Cette possibilité d’être deux en soi me troublait. Et elle me fascinait. La capacité d’ouvrir une porte et de pouvoir aussi être l’autre en attente sur le seuil. Tout ça avec le même corps, la même identité… Chaque individu de la planète pouvait donc être double. Et beaucoup plus encore. Une solitude capable de plonger dans des milliards de solitudes. Et inversement. Que de questions en boucle après les explications de la prof. J’ai fini par franchir le seuil du sommeil et m’endormir. Avec une définition de plus au compteur. Proche d’une autre apprise plus tard. Avec un autre enseignant. Quelle est la définition de l’empathie ?
Puis le temps est passé. Sous et sur la peau. Partir loin de l’école, de la famille, du quartier de ses premiers pas. En voyage dans une salle de classe sans les murs et à ciel ouvert. Avec les ombres et lumières, les siennes et celles du monde. Entre temps, les temps ont changé. C’était mieux avant ? Les guerres de religion, le massacre des amérindiens, l’esclavage, les camps de la mort, le Rwanda, la famine, les féminicides… La liste n’est pas exhaustive et dressée sans volonté – en tout cas consciente – d’y induire une quelconque hiérarchie. À chacune chacun de rajouter la souffrance qui le touche de plus près ou inverser l’ordre de cette déclinaison de « ce qui était mieux avant ». Cela dit, une chose indéniable de nos jours : l’hospitalité et l’empathie semblent des valeurs beaucoup moins cotées.
Pour d’aucuns, elles sont naïves, Bisounours, irréalistes, hors-sol, et même dangereuse en ouvrant le Boulevard du « Grand remplacement ». Pourquoi de telles réactions ? D'abord le refus affirmé d’accueillir « toute la misère du monde », avec cependant un bémol quand elle leur ressemble sur de nombreux points. Toutefois il est plus facile d’accueillir quand on dispose d'un grand appart, du fric, et du temps à consacrer à son hôte en souffrance. Nettement plus compliqué quand cet accueil se fait dans des quartiers populaires déjà gavés de misère. Pourtant, malgré les difficultés, les démunis ne perdent pas leurs bras et cœur ouverts. Tout n’est pas que noirceur et égoïsme. Remarquons que parmi tous « ces chacun chez soi », un grand nombre d’entre eux aime, en toute saison, endosser la moitié du rôle d’hôte. Se faire accueillir par des hôtes d’ailleurs. Un déplacement volontaire pour découvrir un univers différent de celui à domicile. Un aller vers l’autre uniquement avec CB et guide touristique sur IPhone ?
L’empathie est aussi une valeur qui a du plomb dans l’aile. En ce moment, ça semble plus compliqué d’être un hôte accueillant l’hôte d'ailleurs. Surtout, s’il n’ a pas de quoi acheter une grande équipe de foot ou des armes pour détruire par exemple le peuple Yéménite. Tous les hôtes n’ont pas le même carnet de chèques. Quittons les palaces hospitaliers pour revenir à l’empathie. Se glisser sous la peau de l’autre. Pourquoi ?Tenter de se mettre à sa place pour comprendre - sans nécessairement excuser- ses réactions. Ce qui peut éclairer certaines zones de tension et parfois réduire ou éliminer certains conflits. L’empathie n’est pas une panacée, juste une des possibilité de mieux appréhender l’autre. Comme certains le font avec vous. L’empathie et le doute souvent en binôme. Visiter l’autre sans bien sûr vouloir parler en son nom. La fiction permet ça très bien en nous proposant un voyage à travers des histoires différentes de la sienne. Devenir le temps d'une lecture ou un film un autre. Mais on peut aussi l’expérimenter dans la réalité. Contrairement à celles et ceux qui affirment : Tu ne peux pas comprendre parce que tu n'es pas :
Pauvre. Femme. LGBT. Noir. Noire. Arabe. Juif. Juive. Musulman. Musulmane. Handicapé. Handicapée. Migrant. Migrante. Exilé. Exilée. Ukrainien. Yéménite. Palestinien. Kurde. Dépressif. Dépressive. Moche. Maigre. Gros. Grosse. SDF. ISF. Prof. Blanc pauvre. Ouvrier. Poète. Chômeur. Animateur télé. Député. Barman. Vigile. Paysan. Intérimaire. Routier. Morte. Mort.
Etc.
De qui parler alors ? Uniquement de soi et de son histoire ?. Ne jamais aborder l’autre. Ou avec un très grand nombre de précautions d’usage. Quelle tristesse de ne pas essayer de se glisser dans la peau de l’autre. Emprunter un instant ses émotions et son regard pour entrevoir sa vision du monde. Bien sûr que nous ne sommes pas lui, elle, un autre genre ; juste de passage dans sa peau. Mais un voyage qui peut aider à élargir sa vision de son contemporain. Et donc de soi. Un voyage qui forme l’empathie.
Quels outils nous permettant une plongée dans l’autre ? Nous en avons plusieurs à disposition. Plus ou moins facile d'accès. Comme l'éducation. Bien que décriée et perfectible, l’école publique reste encore une des grandes agences de voyages en altérite. Même si certains dont je suis ont déserté plus ou moins tôt les bancs de l’Éducation nationale. Pas tous fait pour rester assis des heures durant devant un enseignant ou une enseignante, même de qualité. Pour ma part, jusqu’ à 16 ans, j’y ai beaucoup puisé. Notamment dans l’apprentissage du doute. Le bon prof c'est celui qui te donne les outils pour critiquer son enseignement et ne pas tout prendre pour argent comptant, disait un prof d'histoire. Cause toujours, ricanaient plusieurs élèves. Avec le recul, je regrette d'avoir pas mal perturbé ses cours avant de les sécher. Un homme passionné par l'histoire et sa transmission. Mais fort heureusement pas que l’école pour s’élever.
Bibliothèques, librairies, théâtres, toutes sortes de salles de spectacle d’art vivant, cinéma, galeries d’art… Nombre de lieux, partout dans le pays, pour apprendre entre autres le double rôle de l’hôte. Tour à tour soi et l'autre. Un voyage au gré de sa curiosité et des rencontres. Avec le passeport de l’empathie. Une bonne manière de ne jamais être isolé. Et comprendre ce que vit l'autre. Se poser ses questions pour tenter de comprendre sa trajectoire. Et en même temps d'éclairer ses propres émotions, aussi universelles et uniques que celles de l'autre. Opter pour le « je peux comprendre même si je ne suis pas… Troquons nos histoires. Le temps d’essayer de comprendre l’autre. Avant de redevenir soi. Hôte et autre ?
Pour ma part, le bistrot a été un bon centre de formation. J’y ai beaucoup appris. Sur l’autre, le monde, et moi. Chaque fois que mon coude traîne sur un comptoir, je repars avec un supplément d'histoire humaine. En fait, ce ne sont pas les lieux d’apprentissage qui manquent en France et sur la planète. Les rues, les squares, sous les couettes, sur une plage, sur des pages, au détour d’un silence, dans un éclat de rire… Finalement, dans ce pays et d’autres, on apprend à chaque pas. Suffit de… Tu as oublié quelque chose. Un instant, s’il vous plaît. C’est vrai, j’allais oublier. En parler ou non ? Elle n’a pas le vent en poupe. Paraît que ça coûte trop cher au contribuable. Quel est cet autre lieu d’apprentissage et fenêtre sur le monde ?
La radio publique. Pour la citer : Radio-France. D’autres préfèrent la nommer Maison ronde. C’est vrai que ça lui va pas mal : ronde comme la Maison Terre ? Bien sûr, elle n’est pas la seule source d’information, culture, divertissement, du secteur public. Mais je ne vais pas évoquer la télé que je connais très peu. La radio, notamment France Inter, a permis à de millions d’oreilles de voyager sur toute la surface du globe. Et de rencontrer l’hôte. Ce territoire de chair et de pensée sans qui nous pouvons devenir peu à peu, de frustrations en désillusion, des êtres desséchés et recroquevillés derrière la porte d’un corps verrouillé de l’intérieur, fermés sur le monde et son époque. Je suis d’un pays où l’on sait remercier, écrivait le poète.
Merci donc à France-Inter et toutes les autres radios publiques (auditeur aussi de Radio-Nostalgie, Rires et Chansons, etc ) de m’avoir rendu moins imparfait. Et le « chantier de perfection » continue au quotidien en démarrant sur France-Inter. Comme des dizaines de millions d’oreilles et de regards( pour les amateurs de télés qui élèvent et éclairent au lieu de rajouter de l’obscurité à l’obscurantisme) voyageant chaque jour dans la peau du monde et des autres. Certes un voyage jamais simple ; ça demande des efforts d’ouverture, parfois de mettre un bémol sur ses à priori, et surtout de ne pas hésiter à dépenser sans compter en faisant chauffer sa carte curiosité. Et empathie. Plus d’une carte en main dans le portefeuille de chaque histoire individuelle . Un voyage toujours enrichissant.
Honte de participer (environ 75 euros annuels par contribuable) au financement de la Radio et Télé publique ? Non. Comme de participer- chacun à son niveau d’impôt- au financement de l’hôpital, des écoles, des routes… Et de tout ce qui fait que ce pays est un de ceux où il fait le « mieux vivre » au quotidien. Important de ne pas céder à la tentative de culpabilisation de certains ne rêvant que d’une chaîne de télé unique : la leur. Ce qui n’empêche pas de critiquer la radio et la télé publique. Souvent, je suis agacé par France-Inter et ses « je sais tout » avec la même voix, issue des mêmes grandes écoles, mangeant dans les mêmes restos, écoutant la même musique, pensant la même pensée ; que des clones sur les ondes ?
Malgré ces reproches, merci encore aux ondes publiques de nous accompagner. Comment serait le pays sans Radio-France ? Plus qu'une seule radio basse du front et naviguant que sous la ceinture ? Ce serait un véritable cauchemar pour les oreilles qui doutent et cherchent du sens. Un pays et ses médias soumis uniquement à la loi de l'audimat et du fric. Contrairement aux radios publiques et certaines télés nous proposant encore de réfléchir, de rêver, de rire, d’aimer, de détester, de se contredire,de s’améliorer, de douter… de… En bref, de rester un être vivant et curieux.
Hôte du Monde.