Mouloud Akkouche
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Billet de blog 21 déc. 2022

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Sauvé des flammes

Sauver une œuvre d'art des flammes.Je n’ai réussi à emporter qu’un tableau.Mais pas n’importe lequel. Le tableau préféré du couple ayant créée la Fondation. Ma mère l’aimait aussi beaucoup. «Tu as vu cette couleur. Et la matière.Comment dire? Presque à sentir les odeurs de l'instant et le souffle du vent.».Un geste qui a changé le cours de mon histoire. Devenu le " Sauveur du Voyage".

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Illustration 1
« L'incendie de la Chambre des Lords à Londres », 1835. © J.-M.-W. Turner

           Sauver un tableau des flammes. C'est un acte qui a changé le cours de mon histoire. Je n’ai réussi à emporter qu’un seul tableau. Mais pas n’importe lequel. Le.« Voyage de l'instant » est l’œuvre préférée du couple de collectionneurs qui avait monté la fondation dans leur propriété du village. Ma mère l’aimait aussi beaucoup. « Tu as vu cette couleur et cette matière. On a l’impression d’être dans l’espace. Presque à sentir les odeurs. Certains peintres sont comme des magiciens. Je ne m'en lasse pas. ». À la moindre occasion , elle m’emmenait le voir. Ma mère restait longtemps immobile devant le tableau imperméable au monde entier. Même son fils devenait invisible. J'avais l'impression qu'elle était parti ailleurs. Qu’est-ce qu’elle et les autres pouvaient lui trouver  à cette peinture ? J'y étais insensible. Pressé de son retour sur terre pour sortir de la salle d'expo.

Ça m’est venu plus tard. Très fortement. Un amour irrationnel de cette toile déclenchée par l’incendie ? Je pense que l’ombre de ma mère y a fortement contribué. Depuis toute jeune, elle peignait. Sans avoir pris le moindre cours. À part mon père et moi, personne n’a vu ses toiles. Ma mère peignait sur le peu de temps laissés par le bétail et les champs de la ferme. «Jetez tout ça à ma mort. Vous pourrez vous servir de l’espace pour autre chose. ». Mon père qui pourtant détestai toute «  cette énergie perdue à barbouiller », n’avait pu se résoudre à les détruire ou s’en débarrasser. Toutes ses peintures sont restées dans la grange-atelier. Visible que de mon père et moi. Il y passe des heures. Parfois assis en pleine nuit dans l'atelier.

La Fondation se trouve à cinq cents mètres de chez mon père où j’étais revenu vivre. Dans ma piaule de gosse restée en l'état. Un retour après plusieurs années en ville à traîner en fac, plus au bar, à essayé d’écrire, juste essayé. Sans fric, j’ai fini peu à peu par revenir à domicile. Pour végéter dans des petits boulots et accompagner la solitude de mon père de plus en plus mutique. Deux mois que j’étais installé au moment de l'incendie. Des flammes en pleine nuit. La partie salle d’expo était en flammes. «  Le parc risque de cramer, avait grommelé mon père avant d’appeler les pompiers. Je me suis habillé et j’ai couru. Grimpant par-dessus la grille d’entrée.

Le feu avait déjà bouffé les trois-quarts de la bâtisse abritant les expos. Une partie du toit s’était déjà effondrée. «  Cette peinture m’a donné envie de peindre. Je ne la voyais que dans des livres. Imagine ce que ça m’a fait quand ils l’ont achetée pour la Fondation. Si fière qu’elle se trouve dans le village. Et pour toujours. La patronne de la fondation a assuré que « notre Voyage » resterait au village. Elle a refusé toutes les demandes d’achat de très gros collectionneurs et musées. C’est important pour elle qu’il reste ici. Elle et moi, nous avons un point en commun : nos parents sont nés dans le village. On a de la chance de pouvoir  avoir toutes ces œuvres à portée de regards. Et que nos écoles puissent aussi venir visiter toutes les œuvres de la Fondation. Sûr que ça doit emmerder  certaines personnes des grandes villes qui savent mieux que les autres et pensent que leurs yeux sont plus sensibles et intelligents que les nôtres. Pour eux, toutes ces œuvres dans notre bled paumé c’est donner de la confiture à des bouseux. Mais on les...   Tu sais... Regarder « Le Voyage "me rend heureuse. ». Et elle concluait toujours avec un sourire : Avec cette toile, je voyage à domicile. Sa voix et son regard sûrement dans ma tête quand je suis rentré dans les flammes. Pour ne ressortir qu’avec une seule toile. Avant l’effondrement de tout le toit.

Des télés et des radios s'étaient empressés de m'interviewer. Et pas uniquement des médias du pays. La notoriété du tableau dépassait largement nos frontières. « Le sauveur du Voyage en absence » en Une du journal régional. Mon geste avait fait de moi une sorte de héros. Depuis, quelques-uns m’ont surnommé «Le Sauveur du Voyage ». Un geste m’avait fait passer de l’ombre à la lumière. Plus le « p’tit branleur » qui a jamais rien foutu et vit au crochets de son paysan de père déjà endetté jusqu’au cou.  Le sauvetage de la toile  qui m’avait fait soudain changer de statut dans le village ? Pas du tout. Juste le fait d’être passé à la télé. Un autre homme dans leurs yeux. Une sorte de notabilité du  «vu à la télé».

Que mon père à ne pas me féliciter : Au contraire.  « Vraiment n'importe quoi. Une grosse connerie ce que t’as fait. T’aurais pu en plus y laisser ta peau, tout ça pour une peinture. Crever comme l’autre pochtron.  ». Il faisait allusion à l’homme ayant été retrouvé mort dans les flammes. C’était un routard qui vivait dans un camion et travaillait dans une des scieries du coin. Un type jouant de la tête et du poing quand il avait un coup dans le nez. À côté de son cadavre, une bouteille de Vodka. Il avait réussi à rentrer par une fenêtre ouverte. Pour quelle raison ? Le vol ? Pour y passer la nuit ? Personne n’a su ses motivations. De lui, ne restent que les images de télé-surveillance.

Le couple de propriétaires de la fondation avait sauté dans un avion. « Jeune homme, c'est vraiment... Nous vous resterons éternellement reconnaissants. Vous ne pouvez pas imaginer ce que vous avez fait pour nous. Bien sûr que nous sommes très attristés pour les autres toiles qui nous étaient aussi très chères. Mais celle-ci est particulièrement... Le Voyage est pour nous le plus... ». Elle avait éclaté en sanglots devant la bâtisse encore fumante. « Je me joins à mon épouse pour les remerciements. Nous allons tout reconstruire. Remonter une galerie. Et notre Voyage retrouvera toute sa place. ». Ils se sont dirigés vers la maison où ils viennent chaque été et au moment des grandes expositions. Je les ai regardés s’éloigner. Deux vieillards mains dans la main. Une grande tristesse dans leur sillage. Ce qui ne les empêcha pas de rebâtir.

Trios mois après l'incendie, je recevais un coup de fil. « Nous savions l’attachement de votre mère pour cette toile. Même si ces mots étaient dans le livre d’or parti en fumée. Mais pas pour ça que je vous appelle. J’ai appris que vous cherchiez un emploi. ». Sept ans que je suis régisseur de la fondation et habite dans une dépendance. Je suis l’homme à tout faire : entretien des sculptures en extérieur, des bâtiments, du parc. « Vous m’autoriseriez à faire de temps des visites guidées ? C'était le rêve de ma mère de... transmettre sa passion. ». Le couple n’a pas hésité un instant. La guide qui est aussi conférencière ravie d’être délestée d’une partie de sa tâche. Je fais les visites avec les mots de ma mère. Passant un long moment devant «  son voyage ». Toujours une émotion particulière en recevant les gamins des écoles et du collège. J’ai été un ces gosses. Aujourd’hui a essayé de leur transmettre la beauté de cette peinture. Et de l’art en général.

Un samedi, je raccompagne les visiteurs à la grille. Tous montent dans leur voiture. Sauf une femme d’une quarantaine d’années. Elle allume une cigarette. «  Je… je peux vous parler ? » J’acquiesce d’un hochement de tête. Elle fume, le regard tourné vers la salle d’expo. Pas que ça foutre, me suis-je dit en pensant aux tâches qui m’attendaient. Elle se retourne. Je la fouille du regard. Elle baisse les yeux. « Vous savez… Pour moi, ici, ça représente… Comment vous dire ? ». Elle essore sa cigarette jusqu’au mégot et l’écrase sur le gravier. «Je suis la fille de l’homme mort dans l’incendie. ». Ses mots claquent sous le ciel d’été. À mon tour de baisser les yeux. Que faire ? « On ne va pas parler ici. Si vous voulez, on peut rentrer. ». Elle refuse d’un signe. « Non. Je ne préfère pas. Par contre, on peut aller au village. ». Je lui propose de la rejoindre. Dans le bar à trois rues de son hôtel.

Quatre années que nous sommes ensemble. notre histoire a débuté à l’hôtel du village. Elle est enseignante d’Histoire en lycée. Au début, chacun se déplaçait. Elle vivait et travaillait à six cents km du village. Jusqu’à cette rentrée où elle a réussi à se faire muter a une demi-heure en voiture. « On pourrait habiter chez moi. C’est grand et on a tout le parc pour nous et... ». Quel con, je me suis dit. Regrettant aussitôt ma proposition. Son visage s’était tendu. Nous n’en avons pas reparlé. Elle n’a mis qu’une seule fois les pieds à la fondation. Lors de son unique visite. C’est moi qui me rends chez elle. Un chacun chez soi qui risque d'être perturbé.

Avec une certitude: elle n’habitera jamais à la Fondation. Mais je sais que je serai plus souvent sous son toit. Habiter ensemble ? Nous y avons pensé. Trouver notre toit à tous les trois. Elle est enceinte de deux mois. Une grossesse très surveillée. « Tu as 27 ans et elle en a 44. ». Mon père pensait sans doute « elle pourrait avoir l’âge de ta mère. ». Ce qui est vrai, à deux ans près. Au début, il n’a pas du tout supporté notre relation. Lui pourrissant la vie dès qu’il la croisait. Mais persuadé que notre différence d’âge et l’éloignement finiraient par nous séparer. Puis, au fil du temps, il a fini par se résigner à notre relation. «Viens, je vais te montrer quelque chose. ». Ce jour-là, nous venions de lui annoncer la nouvelle. Ses yeux se posaient souvent sur son ventre qui n'affichait pas encore la présence d'un bébé. Elle et moi échangions des regards complices. Mon père n’est pas du genre à répéter «  super ! » et nous féliciter. Comme toujours, il s’était contenté des mots de première nécessité. Jusqu’au moment de lui demander de le suivre à l’atelier. Elle a levé le pouce en revenant. Le troisième regard sur les peintures de ma mère.

Tout avouer et libérer ma conscience ? Une belle histoire d’amour, bientôt un enfant, un homme et une femme qui adorent leur boulot ; en quelques mots, notre relation peut imploser. Pourquoi lui dévoiler maintenant ? Alors que dès notre rencontre, j’ai opté pour me taire. Ne pas risquer de tout détruire en lui déballant tout. En plus qu’elle l’ébruite.  Personne n’est au courant. Mais pas un jour sans y penser, même furtivement. Surtout en passant devant « le Voyage. ». Jamais ni elle, ni qui que ce soit d’autre, n’aurait imaginer ce que je garde au fond de moi. Qu’en aurait- pensé ma mère? De temps en temps, la nuit, elle vient me donner la réponse ; au réveil, j’ai oublié tous ses mots. Aurait-elle privilégier le Voyage ?

Dans quelques mois, un enfant allait naître. Se taire ou parler ? Mon silence aurait ou non des répercussions sur l’enfant ? Des questions en boucle depuis qu’elle m’ a annoncé être enceinte. Que faire ? Ne lui dis pas, me répétais-je. Sûr et certain que mettre cartes sur table serait la fin de leur histoire. Une perspective qui, je le savais, me détruirait à jamais. Préférant garder mon secret que de la perdre. Tu ne peux pas ne pas lui dire, insistait une petite voix en lui. Elle me harcelait au quotidien. Comment regarder notre enfant tous les jours ? La question me nouait le ventre.

Le soir de l’incendie, j’ai vu l’homme allongé au sol. Complètement ivre mort. Nos regards se sont croisés. Sauver « Le Voyage » ou l’homme au sol ? Pas d’autre alternative au milieu des flammes et le toit menaçant de s’effondrer. Fallait agir vite. Un homme plus important qu’une œuvre d’Art ? Je ne me suis pas posé la question. Elle est venue après. Quand je me suis rendu compte de mon choix. L’horreur de mon choix. Mon geste héroïque aux yeux des autres avait coûté la vie à un homme. Malgré le fait d’y penser chaque jour, ça ne m’empêchait pas de vivre. Comme une douleur quotidienne qui pique un instant avant de disparaître dans le flot des gestes du jour. Comme on dit: faire avec. Une culpabilité apprivoisée.

Avant les opérations des écologistes maculant de sang ou de noir des toiles dans des musées. Chaque fois que je vois un reportage ou lit un article sur le sujet, je replonge dans l’incendie. Les yeux de l’homme me réveillant en sueur au milieu de la nuit. Une fois, j'ai sorti l’homme des flamme, avant que le toit ne s’effondre. Un rêve qui aurait pu être la réalité; suffisait de me pencher et l'aider à se relever pour sortir avant l'effondrement du toit.« Un être humain, l’avenir de la planètes, la faune, la flore, ont-ils moins d’importance qu’une œuvre d’Art. ». Leurs questions au monde entier et à notre siècle fait plus que me troubler. Elles me remettent tout entier dans mon terrible choix. Non assistance à personne en danger de mort. Un homme a eu moins d’importance qu'un tableau.

Le père de ma compagne. Et dans quelques mois le grand-père mort de notre enfant à naître. Aujourd’hui, le flot de gestes n’arrive plus noyer la douleur. Ni la culpabilité ancrée profond en moi. Qu’est-ce j’ai fait ? Quelle ordure je suis pour avoir pu laisser un homme se faire bouffer par des flammes ? Peut-être que c’est une hallucination et que tu n’as pas croisé son regard. Ce que je me faisais croire parfois pour tenter de calmer la culpabilité. En vain. Rien, ni mon cerveau qui tentent des contournements, ni les vidéos et coupures de presse encensant mon acte, ne réussiront à tromper mon miroir. Lui, il sait très bien que j’ai laissé crever un homme. Un acte criminel qui, en plus, m'a profité. Ma notoriété acquise sur sa mort.

Un étudiant des Beaux-Arts est même venu m’interroger. Le Voyage était une des œuvres qu'il traitait pour un exposé. « Quel rapport entretenez avec ce tableau que vous avez sauvé des flammes ? ». Que lui répondre ? J’ai eu envie de chialer et tout déballer.  Pourquoi à lui et pas aux nombreux autres venus m’interroger ? Je n’en sais rien. «  Mon rapport est… Chaque mois, un salaire sur cette toile.». Il m’a fouillé des yeux. Dans ma tête, une autre réponse en écho. La vraie. Chaque mois, un salaire sur un cadavre. Sans me douter que nous allons devenir si proches.

Lui avouer que j’ai laissé crever son père ?


NB : Une fiction inspirée des  « attaques écolo » contre des œuvres d’art dans plusieurs musées. Mais aussi d'un jeu planétaire.. Les questions  de ces activistes entrent en résonance avec une récente Coupe du monde. Un jeu de ballon plus important que la vie humaine et la planète ? Nous sommes des milliards à avoir regardé un jeu de ballon sur des pelouses rouge sang d'ouvriers. Certes, trop tard. Fallait agir avant. Quelle que soit notre position sur les «attaques d’œuvres d'art », ces activistes posent des questions vitales.

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