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Billet de blog 22 mars 2023

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Chercheuse d'eau

École un jour sur deux. Son frère a ouvert des yeux ronds.  Stupéfait de sa proposition. Impossible que ça marche, a-t-il répondu. Comment tu le sais puisqu'on a pas essayé ? L’enseignant a été surpris. Après une hésitation, il a accepté. Mais à la seule condition que le nom de son frère n’apparaisse pas. Peu mieux faire mon écolier clandestin, sourit l’enseignant. Toute une classe complice.

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                  École un jour sur deux. Son frère a ouvert des yeux ronds.  Stupéfait de sa proposition. Impossible que ça marche, lui a-t-il répondu. Elle l'a fusillé du regard. Comment tu le sais puisqu'on a pas essayé ? L’enseignant a été surpris. Après une hésitation, il a accepté. Mais à la seule condition que le nom de son frère n’apparaisse pas. Peu mieux faire mon écolier clandestin, sourit parfois l’enseignant. Les autres élèves ont aussi joué le jeu et gardé le secret. Toute une classe complice. Personne hors de l’école n’est au courant. Pourquoi lui a-t-elle proposé de se partager l’école ?

  La nuit restait dans ses yeux. Elle voyait bien que son regard n’avait plus de lumière. Depuis leur division. Alors qu’ils étaient toujours collés l’un à l’autre. C’est lui qui lui a donné un cadeau. Petit objet toujours avec elle. Toi, tu iras à l’école. Et ton frère aidera à la maison. Leurs parents avaient tranché. Les seuls de toute la région à avoir pris cette décision. D’habitude, les garçons avaient priorité sur l’école. Ce sera toi et ça se discute, avait décidé le père. Avec l’assentiment muet de leur mère. Si heureuse pour sa fille.

  Pourquoi pas tous les deux ? En plus, ils pourraient y aller et revenir ensemble. Le chemin peut-être dangereux. Avec un bâton et tes jeunes jambes, il peut rien t’arriver, ma fille. Les parents s’étaient entêtés. Chaque matin, il la regardait partir. Elle se retournait et lui adressait un signe. Puis chacun à sa tâche. Elle se remplir la tête. Tout ce que tu mets dans ta tête, va aussi dans la mienne, souriait sa mère. Pendant ce temps, lui partait en quête. Des heures et des kilomètres dans quel but ? Remplir d’eau potable ses jerricans plastiques. Tu es le meilleur chercheur d’eau du monde, mon fils. Chaque jour, son père le félicitait. Sans se douter de la tristesse de leur fils. Rêvant de se rendre à l'école.

  Dès qu’elle rentrait de l’école, ses parents se précipitaient sur elle. La bombardant de questions. Surtout sa mère qui voulait des détails ; se retrouver elle aussi sur le banc de l’école. Lui regardait de loin. Pourtant, il l’attendait tous les soirs à l’abri des regards. Chaque fois impatient et inquiet. Dès que les parents s’endormaient, le frère et la sœur sortaient de la maison. Ils s’éloignaient sous la nuit et s’asseyaient. Le frère silencieux. Le regard et les oreilles admiratives. La sœur empruntant le rôle de son enseignant. Il avalait ses mots. Douée d’une grande mémoire, elle lui transmettait l'enseignement du jour. Elle lui donnait aussi des feuilles. Il les cachait du regard des parents. Très rapide, elle écrivait tout en double. Contrairement à lui.

  Pas aussi doué que sa sœur. Mais il s’acharnait à apprendre. Lui retransmettant ce qu’il pouvait. Quand c’était son tour d’école, elle récupérait tout ce qu’il ne lui avait pas transmis. Les jours où c’était lui qui allait à l’école, le frère et la sœur avaient mis un stratagème au point. Un point de rendez-vous à deux km de la maison. Elle tendait son sac d’écolière. Et lui le jerrican à remplir. Le soir, il se retrouvait au même endroit. Lui, la tête remplie. Et elle, les jerricans plus ou moins vides. Moins douée que son frère.

  Les jours de «  belle récolte d’eau », il laissait une partie dans un troisième jerrican. Planqué sur leur lieu de rendez-vous. Pour en rajouter dans les jerricans de sa sœur. Plus de deux années que ça dure. Le frère et la sœur toujours inquiets d’être découverts par les parents. Sans se douter que leur père savait. Il était allongé à quelques mètres de leur planque. Pour se reposer du labeur. En colère contre ses enfants. Avant d’esquisser un sourire. Tant que les têtes et le jerrican ne revenaient jamais vide chaque jour.

    Meilleure chercheuse d’eau. Ce n’était pas son but. Au contraire. Mais elle vivait  chaque fois son petit plaisir au pluriel. Une des raisons de ses jerricans peu remplis ? Elle passait des heures assise avec son jouet. Celui que son frère avait trouvé dans le sable. Sans doute appartenant à un des rares touristes de passage en voiture. Objet utile ailleurs devenu un jouet entre ses mains. Uniquement un jeu ? Pas pour elle. Une autre façon de se remplir la tête. Sans les mots de son enseignant ou de n’importe quel adulte. Sa parole unique.

    Elle pianotait sur le clavier du portable. Le front plissé. Des images apparaissaient sur l’écran. Chaque jour, elles étaient différentes. Son index en vagues maladroite sur le mobile. Imitant le geste des militaires postés devant son école. Solitaire chercheuse d'eau aimantée par le carré au creux de sa paume. Un large sourire sur le visage d'une petite fille du siècle. Avec son monde au bout des doigts.

    Ses images sur écran noir.

NB : Une fiction inspirée des ondes matinales de France Inter.

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