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Billet de blog 23 mars 2023

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Le printemps dans mon lit

Quarante-quatre ans aujourd’hui. Un 23 mars du siècle dernier. Les silences de l'ombre au cœur de la Ville Lumière. Des mots gravés à jamais dans les regards et les fumigènes. Manifestante dans les rues de Paris? Qu’est-elle devenue? Et son compagnon? Encore vivants? Toujours ensemble? Séparés? Morts ? Veuve ? Veuf ? Leur histoire submergée à distance. Des corps noyés sous des chiffres.

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Lecture de L'homme qui est dans mon lit n'a plus vingt ans © Aurelien Benoist

Pour mon ami Rémy G qui en vient...

« À peine es-tu né qu'ils te rapetissent.
En ne te laissant le temps de rien du tout.
Jusqu'à ce que ta douleur soit si grande que tu ne ressentes plus rien.»
Working Class Hero
(Héros De La Classe Ouvrière)
John Lennon

                 Quarante-quatre ans aujourd’hui. Un 23 mars du siècle dernier. Un jour qui ne pouvait être comme les autres. Il avait beaucoup de choses à dire. Les silences de l'ombre au cœur de la Ville Lumière. Des années et des siècles d'humiliations implosant en ce jour de printemps. Des mots gravés à jamais dans les regards et les fumigènes. Quand les sidérurgistes sont venus hurler leur colère sur le pavé parisien. Dégraissés et gros sur la patate. Ils l’ont dit à coups de mots et de boulons. Femme de la même colère dans les rues de Paris ? Qu’est-elle devenue ? Et son compagnon ? Tous les deux encore vivants ? Toujours ensemble ? Séparés ? Morts ? Veuve ? Veuf ? Parfois, je pense à ce couple. Que des chiffres sur un écran comptable pour d’autres. Courbe ascendante ou descendante. D’un clic de souris, des vagues destructrices d’hommes, de femmes, et d’enfants. Leur histoire submergée à distance. Des corps noyés sous des chiffres.

   Autre temps, même mépris. Mais avec de nouveaux visages. Un mépris de toutes les couleurs politiques. Quelle différence avec le 23 mars 1979 ? Beaucoup de changement de visages du mépris. Toutefois toujours les mêmes discours et méthodes. Une très grande différence de nos jours. Le mépris nouveau est arrivé. Il est nettement mieux armé que les précédents. Une grosse force de frappe d'un point de vue technologique. Il utilise une langue efficace. Dans le sillage de ce mépris nouveau un brouillard de mots et de chiffres. Des commerciaux capables de tout vendre en un temps record. Quel est leur but ?

   Le même que les méprisants anciens ; beaucoup pour peu, moins ou rien pour tous les autres. Guère un scoop. Des voleurs de temps. Ils en veulent toujours plus. Sucer le temps des autres jusqu'il ne reste que le dernier souffle. Des revanchards voulant se rembourser de la perte d'argent des congés payés, de la Carte de Sécu Vitale, etc ? Toutefois, quelque chose a changé. Et peut-être ça qui risque de mettre le feu aux poudres. Quel est ce changement ? L’arrogance et le cynisme affichés ? Le pays, la planète, devenus leur cour de récré ? Déjà trop parlé d’eux. Quittons la brillance pour la lumière.

   Le soleil des riens. Comme celui qu’une femme porte en bandoulière. Plus élégante que nombre d’algorithmes bien élevés en batterie dans les mêmes écoles. Une classe bien au-dessus. Comme preuve sa très belle déclaration d’amour. Dans ses mots, une irréductible beauté. Malgré les douleurs, le mépris, elle résiste. Le verbe d’une femme refusant de n’être qu’un objet de la machine. Dire je.

   Cœur cabossé, mais sachant toujours aimer. Et l’écrire. Déclaration d'amour d'une main sans nom. Mais avec une histoire forte. Puis elle est sortie de chez elle. L'enveloppe à la main. Pour la glisser dans une boîte aux lettres. Une poignée de mots destinés à une radio de combat. Comme cette femme refusant d'être effacée. Femme poids plume sur la balance de l'histoire. 

   Ses mots tels des boulons. Ceux d'hommes et de femmes déboulonnés de leur histoire. Pourquoi ? Pour que d'autres hommes et femmes puissent consolider leur histoire. Écraseurs et écrasés dans le même vaisseau en orbite autour de sa catastrophe. Mettre sur un piédestal tous les déboulonnés de la terre ? Non. Ce serait un raccourci. Elle, lui, d’autres parmi les « poussières du siècle », ne sont pas parfaits. La misère ne rend pas meilleure. Plutôt pire ? Plus dur de résister à la tentation du vide de la haine quand on est rien ? Une femme sûrement  parfaite. Seuls ses proches peuvent le savoir. Pourquoi seuls les écraseurs seraient doués d’imperfection ?

   Elle ne fait pas le poids contre les chiffres. Face à tous ces guerriers de la calculette. Leur hymne international est, « C’est la loi du marché final... ». Ont-ils gagné ? L’un des leurs, Warren Buffet, a proclamé la victoire des siens. Comment ont-ils gagné ? Notamment en divisant les écrasés par couleur, sexe, genre, etc. Mais ils ont perdu contre elle. Plus forte. 

   Beaucoup plus forte en réalité que leurs chiffres. Imperméable à leur péréquation; mot camouflage d’injustice mis à toutes les sauces ? Elle est inatteignable. En fait, une femme puissante. Elle a du poids. Son histoire d'amour pèse lourd. Plus encore à chaque souffle. Sa mémoire aussi est irréductible. Inscrite à jamais sur une feuille blanche. Et sous sa poitrine. Deux seins qui ont peut-être nourri des enfants.  Une poitrine nourrissant des regards d'hommes et de femmes ?  S’y plongeait-il pour jouir ensemble ? Chut…

   Sans doute trop décente pour s’étaler en public. Raconter l’intime de deux solitudes solidaires. La lumière éteinte pour chialer. Orgueil mal placé ? Non. Une élégante pudeur. Ses larmes ne sont pas destinées à n’importe qui.  Des regards triés sur le volet. Les voleurs de temps seraient capables de lui voler ses larmes si elles peuvent rapporter… de la péréquation. Ils sont très forts pour tout récupérer avec le sourire. Elle le sait. Méfiante.

   La mer de ses paupières transporte de l’or. Pas le banal dans les coffres dans des coffres. Des joyaux coulant le long de ses joues. Quand elle a mal ou ivre de bonheur. Jamais elle ne bradera ses larmes. Comme son histoire d'amour pour un homme au dos cassé. Un rien dans certains regards. Pas le sien. Elle continue de le regarder. Même s’il n’a plus vingt ans. Elle a su le redresser. Travail solitaire d'une femme . Pas n'importe laquelle. Une femme amoureuse.

Son corps traversé par toutes les saisons. Des hivers les plus rudes aux étés les plus secs. La peau de l’homme qui est dans son lit n’a plus la douceur des premières rencontres. Usée par le temps et le labeur. Les poumons obscurcis par les cheminées de papier crachant de la fumée. On se fait un café-clope ? Une respiration entre deux vissages et serrages. Des volutes d’un paradis instantané. Malgré l’usure de la chair, elle voit encore les promesses de son corps. Même s’il ne les nomme plus. Toujours présente aux commissures d’un sourire, la lumière persistante dans ses yeux bleus poussière. Les cadeaux sont toujours sur sa liste. 

Dont une aube meilleure. Pour leurs enfants. Leur offrir le meilleur. Aller plus loin qu'elle et lui. Des cadeaux aussi pour la planète.  L'aider à mieux tourner. Dans sa liste, il y a elle, encore elle, toujours elle. Des cadeaux pour son plus beau cadeau de vie. Un couple de vieux gosses qui espèrent pour ne pas mourir au quotidien. Il restera toujours sa plus belle saison. Celle aux branches tendues vers demain. Le voir lui donne envie. Continuer d’aimer leur histoire unique. Rester dignes et joyeux. Leur histoire est le plus belle saison d'un calendrier. Elle a su lui offert  une  mémoire. Pas l'histoire officielle de ceux qui savent. Sa mémoire de femme. Couchant leur histoire sur une feuille de papier. Le printemps qui est dans son lit.

  Une silhouette écrit dans la pénombre d’une cuisine. Pour un homme. Des mots aussi pour elle. Les femmes d'hier, d'aujourd'hui, et de demain. Toutes celles qui aiment. Même écrasées. Femme perdante mais pas perdue. Elle sait où elle est. Assise entre la beauté et la poésie. Là où personne ne peut l’atteindre. Près de l’homme qui est dans son lit. Et de ce qu’elle a décidé d’être. Sans se soucier des voleurs de rêves et d’enfance. Qu’a-t-elle décidé d’être ?

   La réponse dans ses mots.

NB : Merci à Aurélien Benoist de m'avoir autorisé à mettre une première fois sa vidéo en ligne sur ce blog. Récidive. En écho au 23 mars 1979, je me permets de la remettre. Une seconde vision revisitée. Un très grand merci à l’inconnue autrice du texte.

Marianne Faithfull - Working Class Hero - live © ΜΟΥΣΟΥΡΑ ΜΕΣΟΛΟΓΓΙΟΥ ΑΙΤΩΛΟΑΚΑΡΝΑΝΙΑΣ

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