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Mouloud Akkouche

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Billet de blog 29 octobre 2016

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« Pas un métier pour une femme ! »

Son texto reçu avant que je grimpe dans l’avion. « Pas un métier pour une femme. Soit tu arrêtes ce métier, soit je te quitte.». Que faire ? Tout plaquer ? Changer complètement d’orientation ? Céder ou pas à son chantage ?

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        Son texto reçu avant que je grimpe dans l’avion. «Soit tu arrêtes ce métier , soit je te quitte.». Que faire ? Tout plaquer ? Changer complètement d’orientation ? Céder ou pas à son chantage ? Tant que nous ne vivions pas ensemble, je pouvais lui cacher ma véritable activité professionnelle. Surtout qu’il passe une grande partie de son temps en déplacement. Pourquoi ne pas lui avoir dit la vérité dès notre rencontre? Au lieu de mentir. Sans doute par trouille que lui aussi finisse par me quitter. Seuls deux hommes n’avaient porté aucun jugement sur mon boulot. Il aurait fini par l'apprendre. Je voulais le lui dire mais reculais chaque fois le moment. Comment réagirait-il en l'apprenant ? Pas n'importe quel homme pour moi. Le futur père de notre enfant.

Je pose la main sur mon ventre. Surfera-t-il ce matin ? J’aime sentir comme une espèce de vague sous ma peau. Un passage tellement furtif que je me demande si je ne l’ai pas rêvé. En tout cas, il est de plus en plus présent. Et nous deux si heureux et impatients de voir ce bébé débarquer. Sa chambre est quasiment finie d’être installée. Un garçon ou une fille ? Ce sera la surprise. Nous avons établi deux listes de prénoms, sans cesse raturées et augmentées. Des polémiques uniquement sur le choix pour une petite fille. Je trouve qu’il propose des prénoms d’une autre époque. Pugnace, je ne lâche pas jusqu’à ce qu’il le raye lui-même de la liste. L'arrivée de notre enfant se prépare donc dans une grande joie. Avant la réception de ce texto matinal. Et de son ultimatum. 

Lâcher mon boulot pour un homme ? Rayer d’un trait des années d’études et de sacrifices pour en arriver où j’en suis maintenant. Une professionnelle très respectée. Pari loin d’être gagné d’avance. Usée par les embuches, plus humaines que techniques, j’ai failli jeter l’éponge plusieurs fois. Trouver un poste moins difficile à gérer. Certains mecs avaient décidé de me pourrir. Rare un jour sans une proposition sexuelle ou une remarque sexiste. Qu’un seul qui osa poser sa main sur mon cul dans un escalier. «On se voit ce soir la bombasse ? ». Il souriait, très fier de son geste et de  sa vanne. La trace de mes doigts sur sa joue en guise de réponse. Fort heureusement, la plupart des collègues avaient réagi différemment à mon arrivée. Me jugeant sur mes capacités professionnelles. Sans pour autant m'accorder un régime de faveur. «Besoin de sa tête et de sang froid dans notre taf. Avoir ou pas une queue ne fait pas la différence. ».Notre supérieur avait promené son regard sur l’équipe; ses yeux posés plus longuement sur ceux qui m’emmerdaient .Il n’eut pas à le répéter. Les mecs lourds calmèrent leurs ardeurs. Même si je sais que quelques-uns continuent de me considérer comme une intruse au sein de leur groupe. Des regards me déshabillent encore des pieds à la tête. On ne peut pas censurer des yeux, même les plus gras; tant que les mains de leurs propriétaires restent dans les poches. D’autant plus qu’il m’arrive aussi de mater un beau cul. Aujourd’hui, je suis une collègue à part entière. Pour le meilleur et le pire. Une pro dont la compétence n'est plus à prouver. Je suis dans le staff de direction et de formation. Et plus la seule femme de l'équipe.

Parmi les arrivantes, la même proportion de connes que de cons de n’importe quel groupe. Autant d’abrutis avec paires de couilles ou de seins. Même si la lourdeur me semble plus se conjuguer au masculin. L'une des dernières arrivées, dont je suis tutrice, est très imbue de sa personne. Je ne la supporte pas. C'est  plus fort que moi, je ne peux m’empêcher d'être salope avec elle et l’humilier en public; riant avec ceux m’ayant humiliée à mon arrivée. Jusqu'à tenter de ralentir sa progression, en espérant la voir partir. Mon antipathie accentuée sûrement du fait qu'elle me trouve« féministe préhistorique» ? Me considérant comme top intolérante à l’égard des collègues mâles, ne leur laissant rien passer. «On dirait que tu cherches systématiquement le dérapage pour leur rentrer dedans. Sûre que si tu cherches le machisme, tu vas le trouver. Faut pas confondre humour et sexisme.». Je lui aurais bien arraché les yeux quand elle m'avait fait la leçon. Pas cette je sais tout et j’ai tout vécu qui a essuyé les plâtres machistes. Facile pour elle de débarquer après la bataille et me traiter de ringarde, limite mal baisée. Après tout, c’est son problème; à elle de se faire sa propre expérience. Toutefois une jeune femme irréprochable sur le plan professionnel. Sa relation aux mecs la regarde. De plus, je n’ai pas la science infuse des rapports homme-femme. La preuve en est ce matin.

Préférant parler que le texto, je l’ai aussitôt rappelé. Il était sur boîte vocale. J’ai laissé un long message. Important qu’il sache ce que représente ce boulot pour moi. Même si ce n’est pas un emploi «classique».« Pas pour une femme ! Quand on est enceinte, on fait encore moins ce genre d’activité. Je crois que tu ne te rends pas compte de ce que tu es en train de faire. Pense un peu à notre bébé dans ton ventre. Inutile de chercher à me convaincre. Je ne changerai pas d’idée. Dommage pour notre histoire et le bébé, mais c’est comme ça. Tu changes de poste ou c’est fini entre nous.». Sa réponse texto à mes explications. Aussi buté que moi, il ne reviendra pas en arrière. Sûrement aussi blessé dans son amour propre à cause de mon mensonge. Entamer une relation importante en trichant n’est pas un bon départ. Il devait fulminer. Les lèvres verrouillées dans une moue de gosse, comme à la moindre contrariété. Je ne pas envie de le perdre. Ni de me faire un bébé toute seule. Mais, en même temps, je tiens beaucoup à mon boulot. Tellement eu de mal à gravir les échelons. Fière de ma réussite. Mon combat de femme dans un milieu occupé exclusivement par des hommes. Je ne me vois pas faire autre chose. En tout cas, tant que mes capacités physiques et mentales le permettront. Abandonner c’est donner raison à quelques connards aux cerveaux coincés entre les jambes. Hors de question de renoncer.

Je lui en veux de me coller une telle pression. M’aurait-il reprochée d'exercer ce métier si je n’étais pas une femme ? Mes collègues, même s’ils ne portent pas d’enfant, donnent aussi la vie. La plupart pères de famille. Personne ne va les emmerder sur ce sujet. Je suis sûre qu’il n’aurait pas porté ce genre de jugement sur un homme exerçant la même profession que moi. Jugée non compatible avec ce métier car femme et future mère. La mère de son enfant. J’ai du mal à digérer son ultimatum. Surtout en cette période très difficile sur le plan professionnel. Nous sommes tous plus ou moins tendus par le rythme très soutenu. Une période de gros boulot. Important de garder le mental. Un mental individuel et collectif. Pas le moment de lâcher mon équipe.

Sa réaction brutale m’a tout de même déstabilisé. Même si je joue la femme en colère, sûre d’elle, pas prête de céder au chantage. S’il avait raison ? Cette place est-elle vraiment celle d’une femme ? Qui plus est enceinte. Jamais, avant aujourd’hui, je ne m’étais posée ce genre de questions. Me contentant de bien mener les missions qu’on me confiait. « Nous ne sommes pas payés pour penser. Juste être le plus efficace possible.». La phrase revenant souvent en formation. L’efficacité comme première priorité. En plus, pourquoi s’interroger puisque la morale était sauve; nous travaillons pour la bonne cause. Les autres, nos ennemis, persuadés aussi être du bon côté. Chaque partie voyant midi à son drapeau. Le salaud c’est toujours l’autre ?

Je pose la main sur mon ventre. Elle ou lui bientôt en route pour ce monde. Bien au chaud dans mon corps. Un corps programmé pour tuer. «Ben, ma maman, elle voyage beaucoup et tue plein de gens qu’elle connaît pas.». Fille ou fils d’une pilote de chasseur bombardier Idiot de ma part mais je m’en veux à l’avance. Suis-je plus criminelle que les marchands d’armes ou les apprentis-sorciers mettant à feu et à sang toute la planète? Nos donneurs d’ordre, meurtriers par procuration, ne se posent pas ces problèmes. Cesse de te flageller à cause d’un mec qui a rien compris. Tout n’est pas tout blanc ou tout noir. Je tente de me raisonner. Ne pas perdre mon sang froid, envisager objectivement la situation. En vain. Me faire avorter ? Pas question. Je veux le garder. Faire un boulot qui convienne au papa ? Demander ma mute chez les rampants ? Sans doute la seule solution pour préserver notre couple. Sacrifier ma carrière pour cette famille dont je rêve ?

Je me sens tiraillée. Ce boulot n’est pas qu’alimentaire. L’adrénaline lors des opérations, la solitude dans le cockpit, une sensation en vol difficile à n’expliquer qu’avec des mots, la fraternité à chaque retour d’opération, travailler pour la liberté… J’aime tout ces moments. Mais en bas, si loin et si proche de mon engin de mort ultramoderne, pas d’adrénaline ou sentiment d’être en mission pour la démocratie. Ces inconnus, reliés par un fil invisible à moi, n’ont que la trouille au ventre, les larmes et la désolation pour quotidien. Des sacs de chair cavalant ou planqués comme des rats pour survivre. Avant ce jour, je ne pensais jamais à eux. Pas payée pour penser… Concentrée uniquement sur les cibles géo localisées par l’ordinateur de bord. Continuer de me mentir ? Ce sera plus compliqué. Mon ventre porteur d’une vie à venir, mes doigts sur un clavier donnant la mort. Comment me sortir de ces penses parasites ? J’ai la tête farcie de questions jamais posées. Comme sortant d’un seul coup d’année de fonctionnement mécanique. Son ultimatum m’a foutu le doute. «Tu rêves ou quoi ? Ton zinc a trois secondes de retard.». Je me redresse. Un coup d’œil à l’écran. Go ! Je décolle du porte-avions.

Future mère pilote de chasse.

NB) Cette fiction est née après la lecture de plusieurs articles sur les rares femmes pilotes de chasse. Certaines peut-être en action sur l’un des théâtres d’opération en Syrie ou ailleurs. Qui sont ces femmes pilotes de chasse ?

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