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Billet de blog 31 mai 2023

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Vol au-dessus d'un nid de coucou (Novillars) : - L'ambiance

Chroniques de l'hôpital psychiatrique de Novillars (Franche Comté). Je m'y suis retrouvé en observation, sans aucune médication psy. Les batisses sont des ortes de hangars qui datent de Mathsalem. Le personnel est en sous-effectif et donc en sur-tension. Et les conditions des "internés" sont en dessous de toute dignité hulmaine.

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Chapitre - 1 : survol

On se demande comment on peut soigner les gens dans un tel lieu et dans de telles conditions à vous rendre fou. Cela dit, moi je n'y ai été qu'en observation, sans aucun traitement psy. Et déjà ça me rendait fou.
Je vous raconte :

Avant de vous heurter au plus profond de vous-mêmes dans quelques semaines ou quelques mois, notamment en relatant l’une des expériences les plus limites qu’un homme puisse oser faire, je commence par cette petite introduction à une série de chroniques sur ce court séjour dans une sorte de vol au-dessus d'un nid de coucou, certes en plus douillet, mais qui a suffi à me mettre tant à mal. Chroniques qui sont déjà bien avancées, mais qui viendront en leur temps, quand j'aurais retrouvé suffisamment de calme et de sérénité, conditions nécessaires à l'art de l'écriture.
Mais d'abord, que mes très nombreux amis et amies se rassurent : je vais bien. Et qu’ils se rassurent encore plus : à part quelques incidents humiliants mais sans gravité, personnellement je n’ai subi aucune maltraitance, et tout le long de mon séjour, je n'ai pris aucun médicament "psy". Et aucun médecin ne m'en a proposé, pour la simple raison que je n’en n’avais pas besoin. Et pour la simple raison que je n'ai jamais eu besoin, de toute ma vie: l'écriture a toujours représenté pour moi toutes les thérapies possibles. Foin donc de psychiatres psychanalystes, thérapeutes. Et encore moins de ces médicaments qui vont font du bien... mais en vous transformant en légume...
Les seuls heurts que j’ai eus avec le personnel n’étaient dû qu’à mon propre comportement, notamment lorsque les scènes auxquelles j’assistais me devenaient insupportables, et qu’alors je quittais les lieux sur-le-champ, soit pour retourner colmater mes blessures dans ma chambre, soit pour marcher dans la petite cour autorisée. Et qu’alors parfois certains membres du personnel me réprimandaient vivement...

Je n'y ai été que pour quelques jours, de surcroît en pleine possession de mes capacités physiques et intellectuelles. Mais tout de même enfermé sans mon consentement, et donc surveillé. Et du coup je n'avais guère le choix que de laisser l’observateur-chroniqueur en moi faire son travail de fouineur, à l'affût de tout. Et nuit et jour, et sans rien négliger de ce qui à mes yeux représentait la plus haute des peines humaines. 
C’était parfois au-delà de mes ultimes capacités de résistance. Et pourtant, qu’on se le dise, j’ai l’habitude, pour diverses raisons, de m’immerger dans des lieux glauques et opaques, afin de voir ce qui s’y trame de mes propres yeux. Pour ensuite tout décrire, tout raconter, bref rendre en quelque sorte les faits « vivants » pour le lecteur. 
Un peu comme ces immersions que je fais avec régularité dans les jungles de migrants, à Calais, à Grande-Synthe ou ailleurs. 
Ou tout simplement pour une nécessité d'œuvre artistique, tel le film «Amin » du cinéaste Philippe faucon, où j’avais dû plonger - corps et âme - pendant deux semaines dans un foyer de travailleurs immigrés mauritaniens et sénégalais, dans la région parisienne. Ce qui avait fait dire par la suite aux comédiennes et comédiens, ainsi qu’à l’équipe technique, qu’on aurait juré que j’étais bel et bien un des leurs...
Et donc là, ça s’est passé pareil, à Novillars : j’étais dans les «meilleures» conditions pour tout observer. Et dès que j’avais emmagasiné suffisamment d’informations, où simplement dès que je craquais, je pouvais me retirer à ma guise de longues heures durant, dans ma chambre, pour noter tous les détails des scènes qui m’ont choqué, heurté, parfois blessé au plus profond de moi. Comme jamais de ma vie, je veux dire comme jamais je n’ai vécu ça pour de vrai. de ma longue vie. Si bien que, pendant une dizaine de jours, je n’ai fait que prendre des notes, comme le ferait un fonctionnaire chargé de faire un rapport administratif…
Et comme quand je vais dans les jungles où croupissent de jeunes migrants, ici aussi la réalité dépasse toute imagination.
Alors patientez, patientez… 
Patientez le temps que je colmate mes blessures afin de pouvoir travailler dans un minimum de sérénité et d’objectivité. Il y aura une petite dizaine de chroniques...
(A suivre)

Mustapha Kharmoudi

Photo prise de l'extérieur du sentier que mes pas ont fini par tracer en 10 jours d'enfermement et de marche dans cette cage à lion, à raison de 10 à 12km par jour (il faut le faire)

Illustration 1
Vue du parc de l'hôpital psychiatrique © Mustapha Kharmoudi

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