La lecture d'un roman, c'est tout une histoire. Il y en a qui s'imposent immédiatement comme une fulgurance et qui me transportent, m' ouvrent au monde, et puis il y en a d'autres qui se laissent lire et qui vous rattrapent parfois longtemps après.Il en fut ainsi avec Ouest de F.Vallejo.Son titre prometteur m'avait accrochée et je me sentais déjà partir vers la béance du Nouveau monde en compagnie de héros hirsutes et fangeux au teint brûlé par le soleil et les embruns,en chevauchant l'océan un peu comme je l'avais fait un an avant avec Pierre Pélot et L'ombre des voyageuses.J'ai été surprise par le genre, entre polar et roman historique de terroir. L'écriture était belle et la psychologie des personnages remarquable de finesse et d'intuition.Mais je n'avais pas été emportée, le moment ne s'y prêtait sans doute pas, je n'avais pas envie de forêts sombres et vertes jusqu'à la nausée, je voulais de la sécheresse, de la chaleur et de l'ocre, du léger, et non pas de ces bottes qui collent à la glaise. Et puis, trois mois après, comme une pelote de régurgitation, il m'est revenu avec douceur . Bien plus, comme une hulotte, il m'est apparu un soir, qu'il m'éclairait sur l'histoire comme un petit rongeur fluorescent.Car c'est le récit de la rencontre de deux hommes liés par un rapport de servitude dont ils ne parviennent pas à se défaire et qui traversent le 19ème siècle sans jamais pouvoir vivre l'Histoire qui s'écrit à Paris. Ils sont confits dans leur terre , dans leur temps, dans leur province, dans leurs réflexes, dans leur rang et n'en réchappent pas, entravés par l'ignorance, la folie, le secret ou l'incompréhension.Des hommes ordinaires, des délaissés de l'Histoire qu'ils ne rencontreront jamais, en quelque sorte. Il y avait-là,une iédée insupportable, quelque chose qui laissait penser que la Révolution française était déjà finie avant de s'achever comme s' il n'avait pas fallu attendre F. Furet en 1989 pour l'annoncer. Une histoire d'hommes, de femmes, de sang et de bêtes, d'animalité comme pour nier l'Histoire. P.Ricoeur l'affirmait: »Nous faisons l'histoire et faisons de l'histoire, parce que nous sommes historiques » et c'est cette singularité du rapport au temps qui nous constitue en tant qu'hommes. Voilà sans doute pourquoi F.Vallejo avait tant tenu à nier l'humanité de ses personnages. Non, décidément, je préférais croire comme V.Peillon, que la révolution n'était pas terminée et que l'Histoire rencontrait forcément les hommes. Heureusement, c'était un roman, un cauchemar sensuel, angoissant et terriblement envoûtant, comme un bon vin qui sentirait la tourbe. Remarquez, ça m'arrangerait de ne pas fréquenter l'histoire par les temps qui courent, en ces années de crise annoncée qui rappellent un certain jeudi noir si funeste.
Michael Nyman, Drowning by numbers, autre histoire de meurtre filmée dans un jardin anglais ...