« Jamais n'a été infligé à un peuple , avec plus de brutalité, une paix aussi accablante et aussi ignominieuse(...)Une paix[...] dictée comme celle de Versailles. Von Bulow, Mémoires,Plon, 1931.
Terry a fini de lire cet extrait, je pose cette question: qu'en pensez-vous? Nous avions étudié ledit traité et vu que les vaincus n'avaient pas été invités à négocier les termes de la paix. Silence énorme... Je tente : qui pense qu'il était normal de ne pas inviter à la table de négociation l'Allemagne? Une forêt de bras s'élève et je suis verte, c'est la première fois, depuis des années que les élèves partagent largement cette opinion. Ma surprise se transforme en malaise lorsque je réalise que deux correspondants allemands sont assis au premier rang tapis dans leur tranchée.Les bras m'en tombent. Vite, il faut débroussailler avec eux. Allez-y, expliquez-moi pourquoi. Romain: « Normal, mdam, sui qui gagne , c'est lui qui commande! ». Marie: »Ben, oui, quoi! C'est le plus fort qui dicte sa loi. ».Même si tout le monde est responsable de la montée des tensions en Europe et que l'Allemagne ne pouvait être tenue pour seule responsable de la guerre, comme on l'a vu? »Rien à voir,Mdam, moi sjuis d'accord, avec Maxime, c'est le plus fort qui commande. » La loi du plus fort en quelque sorte, l'homme est un loup pour l'homme, et les Etats sont soumis aux mêmes pulsions que les individus comme l'affirmait Hobbes, mais qu'est-ce que ça donne dans la cour ou dans le quartier ce type de loi, on a la paix? « Non, mdam, on a la guerre, la vengeance!Moi, j' sors mon couteau si on m'agresse. « Oui, tu as raison Sullivan, c'est exactement ça, on a eu la guerre, vingt ans après.Wesh! N'avait-on pas plus de chances de l'éviter en discutant autour d'une table des conditions de la paix, en évitant ainsi l'humiliation? Un silence presque religieux. Je propose la lecture de Keynes, Les conséquences économiques de la paix, 1919: »Il est extraordinaire que le problème fondamental d'une Europe mourant de faim n'ait pas pu les intéresser. »Demain, on relira des lettres de poilus ,des extraits de La main coupée de B.Cendrars, et puis J.Rouaud, Les Champs d'honneur....
Je sors du cours troublée, un peu inquiète, reflètent -ils une culture de la guerre jamais enfouie et renaissante avec la disparition du dernier poilu?Certains de mes élèves ont mis une sorte de hargne revancharde à légitimer la loi du plus fort, détermination inversement proportionnelle à la réponse que j'attendais , sans doute à la mesure de leur âge.Pourtant,est-ce que j'allai réussir à leur prouver l'efficacité du pacte consenti, du contrat reconnu, la valeur de la responsablité partagée, de la paix institutionnelle, plutôt que le choix de la relégation, du bouc-émissaire, de la paix impériale? La vie rejoint l'actualité : la semaine prochaine, je leur proposerai un débat à partir des articles de journaux sur l'Afghanistan. Sans doute devrai-je encore sonder les silences qui nous parlent souvent bien plus que la logorrhée de nos sociétés.
Goran Brégovic:Ederlezi
J'aurais voulu coller la colombe d'Apollinaire, mais elle s'est envolée. Alors je vous offre ,"Dieu est absent des champs de bataille et les morts du début de la guerre, ces pauvres petits pioupious en pantalon rouge garance oubliés dans l'herbe, faisaient des tâches aussi nombreuses mais pas plus importantes que des bouses de vache dans un pré. " Blaise Cendrars, La main coupée.