Nadav m’a traîné à un débat : refuser pour ou contre ? Je dis qu’il m’a traînée. Après une longue journée de travail, j’étais fatiguée et le fait est que l’Hébreu ne me vient pas encore tout à fait facilement, alors écouter deux heures de débat sur un sujet difficile…
On est allés à la Maison des Sionistes d’Amérique, un lieu étrange, rempli de petites salles dispersées sur plusieurs étages… on s’est trompés, on est entré dans une exposition de « huppas » des dais pour de mariage. Tout le monde a pensé qu’on était un jeune couple à la recherche de la huppa idéale… et ils ne savaient pas quoi nous dire quand on a demandé où était la salle où se tenait la conférence du mouvement « Courage de Refuser ».
Une fois arrivée, plaisir de voir que la salle était comble.
Autour de la table de discussion, le journaliste Ari Shavit, Mossi Raz, membre du parti Meretz, un docteur en économie fondateur de Shalom Archav, Ariel Rubinstein et un docteur en philosophie, Yossi Yona, et… deux soldats, un officier du commando golani, très présent à Gaza dans les dernières trois semaines, et Noam… ex-officier d’une unité de combat qui part en prison demain à deux heures de l’après-midi après avoir refusé de partir à la guerre.
Chacun, l’un après l’autre, a répondu à quelques questions pour clarifier sa position par rapport au refus.
Le discours de Noam, le Refuznik, était limpide : mathématicien, il parle chiffres, nous explique comment c’est en lisant les nombres de morts qu’il s’est rendu compte, comment ce sont ses comptes à lui qui lui ont démontré qu’il fallait dire NON une bonne fois pour toute, après avoir lutté dans l’armée durant des années et des années. Il n’irait pas faire ses réserves à Gaza et il dirait haut et fort qu’il refuse de servir cette guerre.
Derrière nous, trois hommes l’insultent.
Noam parle de ce « courage » du refus. Les trois hommes raillent de plus belle, avec des mots plus ou moins moches.
Assaf, le soldat de Golani prend la parole pour nous dire qu’il est de gauche, « comme vous », il précise, regardant la salle. Il raconte comment pour lui, le refus n’est pas une option. Il dit que pour lui l’armée garde toute son importance et qu’il faut pouvoir parler le langage de l’armée pour pouvoir changer les choses de l’intérieur.
Il est interpellé par d’autres dans le public : et que fais-tu des morts civils ? qu’est ce que tu penses de tirer sur des maisons ?
Ari Shavit raconte comment lui aussi, par deux fois il a été sur le point de refuser, une fois au Liban et une autre fois à Gaza. Shavit précise que, dans ces deux cas, le fait qu’il n’ait pas refusé et qu’il ait décidé de raconter les crimes dont il a été témoin a pu aider à faire avancer (un peu, il précise, mais c’est déjà ça) des procédures judiciaires.
Ariel Rubinstein nous lit sept manières dont le contrat social entre l’Etat d’Israël et ses citoyens à été rompu, qu’il présente comme sept raisons pour lesquelles il n’en voudrait pas à son fils de seize ans si, dans deux ans, ce dernier décide de refuser d’entrer à l’armée.
Mossi Raz nous raconte son service, ses doutes… et pourquoi il pense que refuser n’est pas une solution. Soulignant aussi qu’il pense que le refus de gauche (il est d’un parti de gauche) est la porte ouverte au refus de droite, celui que nous avons tous craint lors du désengagement de Gaza...
Yossi Yona rappelle la loi du Drapeau Noir, qui OBLIGE certains soldats à refuser de suivre certains ordres. En 56, au village de Kfar Kassem, des soldats ont suivi des ordres de leurs supérieurs de tirer sur des civils… ils ont été condamnés pour avoir aveuglement obéi, et tué 45 civils dont des femmes et des enfants alors qu’il y avait sur ces ordres un « drapeau noir » qui les interdisaient de suivre les commandements.
Derrière nous, les trois hommes continuent de s’agiter, de beugler des invectives en direction de la gauche des discutants. Certains leur répondent, pour la plupart avec tout autant de virulence.
Le niveau sonore devient insupportable.
Les intervenants appellent au calme. Et c’est là où je me rends compte que, à quelques rares exceptions près çà et là dans la salle, je suis entourée d’hommes.
Des hommes qui se parlent entre eux, entre soldats qui ont fait la guerre, entre « mecs » combatifs et courageux.
Avec un niveau de violence qui me semble inouï.
Violence dans les gestes, dans le ton, dans les mots.
Et qui m’est insoutenable.
Peut-être est-ce aussi la langue, que je maîtrise d’autant plus mal dans un tel chaos.
J’ai la tête qui tourne et envie de pleurer.
Ou de mordre.
Un vieil homme aux cheveux blancs, juste devant moi, se lève et prend la parole qu’on refusait de lui donner. Il a une petite feuille bristol à la main, il parle très fort, il tremble un peu. Il me fait penser à mon grand-père.
Il raconte comment lui aussi il a fait la guerre, puisque cela semble la clef pour avoir le droit à la parole en ces lieux. Il dit qu’il admire le courage que Noam a de refuser.
Le type derrière moi lui dit de fermer sa gueule.
Il répond que non, sa gueule il ne la fermera pas. Il nous raconte comment il a fait la guerre en 56, quant il avait trente ans et qu’il y a vu des soldats assassiner des otages de guerre Egyptiens. Il dit à Assaf qu’il ne doit pas se faire d’illusion, qu’on ne peut rien changer de l’intérieur.
Et puis il dit : J’ai honte d’être Israélien…
Le type derrière moi : T’as cas prendre un avion et te casser d’ici si t’es pas content !
Je ne partirais pas d’ici, les os de mon fils sont dans cette terre, je ne la quitterais pas. Mon fils est mort à la guerre. Et tout tremblant, le vieux monsieur se rassied parce qu’il n’y a rien à dire après ça.
Et le type derrière moi se lève, se penche par-dessus mon siège en disant des choses que je ne comprends pas, le monsieur aux cheveux blanc dit que NON, et se lève, toujours tremblant, les deux crient, le type derrière moi se penche, je pense qu’il va frapper le vieux monsieur, alors je le pousse avec force. Il se rassied, tombe un peu sur son siège.
Je suis contente de moi, j’ai aidé le monsieur aux cheveux blancs.
Mais là, Nadav m’explique, gêné : l’idiot derrière moi a voulu serrer la main du vieux monsieur et lui présenter ses excuses. Le vieux monsieur refusait… d’où l’agitation. Personne ne voulait taper sur personne.
Par contre, moi, je suis la dingue violente qui, au milieu d’une discussion sur le bien fondé du pacifisme en temps de guerre, vient de mettre un coup dans le bide de quelqu’un. Un emmerdeur, certes, mais au final, plein de bonnes intentions.
Je me fais minus.
Et, juré, je retourne à mes cours d’Hébreu la semaine prochaine.