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Nasr Lakhsassi

Enseignant, syndicaliste FSU, professeur de l’enseignement professionnel (PLP).

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Billet de blog 18 mars 2023

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Les mensonges de l’apprentissage

Mensonges, omissions, approximations ! Une fois encore, Christian Sauce démonte la propagande effrénée en faveur de la formation patronale par apprentissage au détriment d’une réelle insertion professionnelle des jeunes.

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Vous n’avez pas pu y échapper. En plein conflit sur les retraites, le gouvernement a avancé de 6 mois la publication des chiffres de l’apprentissage. Elisabeth Borne a été la première à s’en féliciter : « Pour l’année 2022, 837.000 contrats d’apprentissage ont été conclus, soit une hausse de 14 % par rapport à 2021. C’est trois fois plus qu’en 2017. » C’était le 3 mars 2023. Immédiatement, ce fut un déluge de cocoricos dans les médias prompts à relayer la propagande du gouvernement : « Nouveau record pour l’apprentissage qui s’est diffusé dans toute l’économie. » Les Echos « Nouveau record pour l’apprentissage avec plus de 800.000 contrats signés » Bfmtv « La France frôle le cap du million d’apprentis : Les raisons d’une réussite » Ouest France

Les rabat-joie dont je fais partie feront remarquer que les dizaines d’articles ou reportages qui ont été consacrées ce jour-là à ce phénoménal succès se ressemblaient étrangement : les communiqués de presse gouvernementaux sont faits pour être reproduits in extenso comme des publireportages, non pas pour être analysés. Cela constituerait un crime de lèse-majesté !

Et pourtant…Les chiffres publiés de l’apprentissage pour 2022 ne sont qu’un tissu de mensonges, d’omissions et d’approximations !! Pour le vérifier, analysons le dossier de presse distribué par le gouvernement.

837.000 contrats en 2022

Pourquoi parler en nombre de contrats et non pas en nombre d’apprentis ? Parce que la réalité est bien moins étincelante. Etant donné le nombre de ruptures de contrats qui ont lieu sur une année, plus de 31 % selon France Compétences, l’organisme national de régulation de l’apprentissage, le nombre réel d’apprentis est inférieur d’un bon tiers au nombre de contrats ! Prenons les chiffres de 2021 : pour le ministère du Travail et le gouvernement, il y avait eu cette année-là, 733.200 nouveaux contrats ! Mais pour le ministère de l’Éducation, il n’y avait que 338.975 inscrits en première année d’apprentissage (!) et 629.635 apprentis (toutes années confondues) inscrits dans les CFA. Alors pourquoi cette différence ? Parce qu’un apprenti licencié ou démissionnaire peut signer un nouveau contrat la même année, ce qui est loin d’être marginal : UN apprenti peut alors correspondre à DEUX voire TROIS contrats recensés sur une même année ! Cela est tout à fait compréhensible puisque de nombreux employeurs ne sont pas trop regardants quand il s’agit de percevoir des primes : ils testent puis gardent ou éjectent ! Et ils recommencent. Il n’y a aucun contrôle. Vu ainsi, les records font psitt ! Comme on s’en doute, pas vu à la télé ni dans la plupart des médias !

65 % des apprentis ont un emploi dans les 6 mois

Voilà bien l’argument massue, moultes fois utilisé pour enfoncer l’enseignement professionnel sous statut scolaire. Et encore, avec 65 %, le publireportage du gouvernement n’atteint pas les sommets affichés par d’autres thuriféraires : c’est 94 % pour l’Uimm, filiale du Medef, 84 % pour les Chambres des Métiers, 70% pour la ministre Carole Grandjean ! N’en jetez plus ! On se demande alors où passent ces centaines de milliers d’apprentis « formés » chaque année puisque le chômage des jeunes repart à la hausse ???

Je vais vous le dire : 40 % des sortants repartent en formation, c’est-à-dire en apprentissage !!! Ce qui fait que les 65 % d’apprentis en emploi ne sont pas calculés sur les 100 % de jeunes qui arrivent à la fin du cursus (1/4 d’entre-eux abandonnent définitivement l’apprentissage en cours de formation) mais sur les 61 % qui sortent du système ! Et ça change tout : 65 % de 61%, cela fait 40 % des sortants d’apprentissage en emploi type intérim, CDD, CDI. Et c’est le site education.gouv qui en fait état ! Mais là, personne ne le reprend car il ne faut pas gâcher le million. Les Lycées Professionnels n’ont donc absolument pas à rougir du taux d’insertion de leurs élèves, d’autant plus qu’ils ne les sélectionnent pas à l’entrée. Quand le vernis craque, on est très loin de l’eldorado, de l’excellence et de la voie royale pour la formation par apprentissage.

Le chômage des jeunes a baissé de 6 points depuis 2017

Exprimée en taux, la baisse est conséquente. Exprimée en chiffres, elle est beaucoup moins ronflante : moins 113.500 demandeurs d’emploi âgés de 15 à 24 ans entre janvier 2018 et janvier 2023. C’est important mais c’est une goutte d’eau quand on fait le rapprochement avec les centaines de milliers de recrutement d’apprentis : plus 500.000 entre 2017 et 2022 ! Le magazine Challenges est encore plus clair à ce sujet en comparant 2019 et 2022 : « Entre 2019 et 2022, le nombre d'apprentis a doublé en France pour atteindre près d'un million. Mais, selon Eurostat, le chômage des jeunes de moins de 25 ans est resté au même niveau entre décembre 2019 et décembre 2022 » ! Et ce, malgré les dizaines de milliards de dépenses publiques depuis 2020 afin de rendre cette main d’œuvre gratuite ou quasi gratuite pour le patronat, sans contrôle ni contrepartie !

On a bien compris que le but de cette opération de propagande n’est pas de s’intéresser à la qualité de la formation reçue par les jeunes Français, on a bien compris que le but de cette propagande est d’affaiblir les Lycées Professionnels pour donner le marché de la formation au patronat, on a bien compris que le quoi qu’il en coûte est surtout favorable aux employeurs, on a bien compris qu’il faut en finir avec la formation de l’homme du travailleur et du citoyen !

Mais de là à ce que ce soit nos enfant et adolescents qui en subissent les conséquences, on n’avait pas osé l’imaginer ! Ils l’ont pourtant fait ! Cependant, promis, juré, le gouvernement avec l’ANAF et les directeurs de CFA va se pencher sur la qualité de l’apprentissage. Mais en attendant, 1264 jeunes sont éjectés ou démissionnent chaque jour ouvrable de ce système de formation ! Dans l’indifférence générale !!

Christian Sauce

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