Si je veux être puissante, je prends le risque d’être impuissante
Il y a le récit de la puissance, selon lequel l’être humain serait capable de devenir invulnérable et capable de tout. Il est intéressant d’observer que ce récit (abondamment délivré aux enfants) est celui des grands mythes et que cette puissance, réservée essentiellement aux dieux, a souvent des conséquences fâcheuses. La puissance est une illusion (très certainement pour se donner de la sécurité, sécurité qui elle-même est un concept illusoire…) dont le coût est souvent exorbitant. Que ce soit sur l’autre ou sur mon environnement, cette notion de puissance m’invite essentiellement à tordre ce qui est à l’extérieur de moi pour le conformer à ce qui est « bon pour moi ». Cela ne peut pas fonctionner à moyen terme. Toutes les stratégies mises en place pour exercer ma puissance ont des conséquences effroyables sur celles et ceux qui en sont les cibles.
Comme tout est histoire de pièce à double face, la puissance est l’autre face de l’impuissance. L’illusion de la puissance est le germe de celle de l’impuissance, celle qui m’abat lorsque tout semble compliqué, celle qui me fait baisser les bras comme si je ne pouvais rien faire, celle qui me fait croire que je n’ai pas le choix, que c’est « comme ça », etc.
Car pour agir, il ne s’agit pas d’être puissant mais de pouvoir.
Agir à l’endroit où j’ai les moyens de le faire
Pouvoir, au premier sens du terme : avoir la possibilité de faire. La toute première question qui permet de me connecter à mes ressources et de me mettre dans l’action, c’est : où est ce que je peux agir (faire quelque chose, avoir une activité qui transforme plus ou moins ce qui est) et avec qui ? Il peut ainsi être soutenant de diviser en trois zones les endroits où je peux agir et contribuer.
D’abord, le niveau personnel. Qu’est-ce que je peux faire, apprendre, transformer, changer, moi avec moi-même ? Que ce soit dans ma façon de travailler, de consommer, de communiquer, de collaborer, d’œuvrer, en un mot d’être au monde. Le chantier est colossal et enthousiasmant. Je ne peux pas donner ce que je n’ai pas. Si mes poches sont vides, je ne peux donner que le vide de mes poches. Les remplir de ce que j’ai envie d’offrir au monde est indispensable avant tout. Comment pourrais-je croire que si je ne fais pas ce que je demande à l’autre, aux autres, cela peut fonctionner ?
Ensuite, le niveau interpersonnel. Une fois mes poches à peu près rangées, remplies et nettoyées, je partage, je donne, je montre. Dans toutes les sphères proches et accessibles, j’agis, je communique, je transforme, je propose des actions ou des changements en lien avec ce qui est important pour moi.
Enfin, le niveau systémique, celui des institutions, des grandes logiques, des récits partagés et propagés. Si mon travail et mon engagement me permettent d’agir à ce niveau-là, c’est aussi, au mieux de mes capacités, le lieu où je peux être force de transformation. J’ai souvent observé un immense sentiment de frustration qui soit coupe l’élan, soit nourrit des énergies violentes de tabula rasa lorsque celles et ceux qui veulent œuvrer pour le changement social veulent immédiatement agir au niveau systémique. Cette frustration est légitime (elle se nourrit de l’illusion de la puissance), car effectivement aller directement au cœur du récit principal sans passer par les étapes de transformation personnelle et interpersonnelle est quasi impossible (si ce n’est avec l’intention de « tout casser »).
Nous pouvons, bien entendu, choisir collectivement d’aller directement au niveau systémique chargés de ces énergies de colère et de violence. C’est l’essence même de notre histoire, cette danse macabre de renversement par la force et dans le sang d’un système par un autre système qui s’autoproclame plus juste, plus digne, plus [à compléter comme vous le souhaitez] et qui, à ce titre, se donne le droit de détruire et de soumettre l’autre. Un système destiné ainsi, à son tour, à être détruit, la violence étant par essence ce qui se transmet.
Effet domino garanti
Même si cet intertitre ressemble à une promesse commerciale racoleuse, il s’agit bien de cela. Le changement personnel que j’ai enclenché aura un impact direct sur l’interpersonnel. Que ce soit dans le cercle intime, familial, amical, professionnel, associatif, etc. La nature même de ce que je mets en route aura une influence sur les autres cercles de ma vie. Par exemple, être en cohérence avec mes valeurs et mes visions est un état qui a beaucoup de pouvoir. Cependant, il y a un écueil à observer de près. Si je fais quelque chose ou si je me comporte d’une certaine façon pour que les autres fassent de même (c’est-à-dire si j’ai une exigence vis-à-vis de l’extérieur), je prends le risque de me couper d’eux (et de leur réalité). J’augmente alors la probabilité d’entrer dans le paradigme classique de vouloir changer l’autre à tout prix.
Une fois que la zone interpersonnelle se transformera, la zone systémique commencera à son tour à se transformer. Les décisions institutionnelles qui seront prises le seront à l’aune des comportements et des postures interpersonnels. Les décisions politiques, économiques, juridiques, etc. seront nourries des changements qui auront eu lieu dans les deux zones précédentes et irrigueront à leur tour les niveaux interpersonnel et personnel.
Très souvent, lorsque je partage ce point de vue, j’entends : « Mais on n’a pas le temps, il y a urgence ! » Il est vrai que ce chemin semble plus long que l’habituelle voie rapide de l’attaque frontale qui a pour objectif de faire changer les choses par la contrainte. Cependant, j’aime à me rappeler que non seulement avec les outils du maître, je ne peux que construire la maison du maître et que ces méthodes habituelles issues du paradigme dominant de la confrontation directe ne permettent pas de trouver des solutions rapidement. Alors plus lentement et plus sûrement
Référence et gratitude : pour aller plus loin sur ces sujets, je vous invite à découvrir tout le travail de Miki Kashtan et ses collaboratrices et collaborateurs de la BayNVC.