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Billet de blog 23 avril 2020

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Nous n'oublierons pas, nous ne pardonnerons pas

La crise sanitaire actuelle montre, une fois de plus, les « failles » des politiques néolibérales. Avec le slogan « Plus jamais ça » nous souhaitons que cette crise sonne le glas de ces politiques mortifères. Rien n’est acquis. Politiques et chiens de garde multiplient les stratégies pour dédouaner leur système de ses fautes. Rien n’y fera, nous n’oublierons pas, nous ne pardonnerons pas.

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Illustration 1
Image d'illustration de la pétition collective « plus jamais ça ».

Donner le change

La première stratégie mise en place par Emmanuel Macron consiste à donner le change. Dans son discours du 12 mars, le Président souligne à plusieurs reprises les failles de notre « modèle de développement » et nous promet du changement :

« Mes chers compatriotes, il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s'est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour. »

Dans son discours, la personnification du monde permet d'évoquer des failles sans jamais en assumer la responsabilité. Comme nous le dit Clément Viktorovitch dans sa chronique de 13 avril « Emmanuel Macron se place en commentateur de la situation. Il fait comme si les difficultés n'étaient pas de sa responsabilité ». Le président incarne la quintessence des politiques néolibérales mis en place depuis des décennies. Pourtant, cela ne l’empêche pas de se proposer comme solution aux maux qu’il a contribué à créer. Pour se faire il multiplie les promesses d’un tournant à gauche :

« Beaucoup des décisions que nous sommes en train de prendre, beaucoup des changements auxquels nous sommes en train de procéder, nous les garderons parce que nous apprenons aussi de cette crise ».

Cette distanciation et ces promesses sont finalement des lieux communs du discours en temps de crises. En 2008, alors que la crise financière s’était transformée en crise économique le président Sarkozy nous jouait déjà la même partition dans ce discours du 25 septembre qu’il donne à Toulon :

« On a caché les risques toujours plus grands […]  On a fait semblant de croire qu'en mutualisant les risques on les faisait disparaître. […] On a laissé les banques spéculer sur les marchés […] On a financé le spéculateur plutôt que l'entrepreneur. […] On a laissé sans aucun contrôle les agences de notation et les fonds spéculatifs. ».

C’est l’anaphore du pronom indéfini « on » qui permettait à Sarkozy de mettre à distance ses politiques des erreurs qu’il énumère. Dans la seconde partie de son discours il se proposait lui aussi comme solution avec des promesses fortes :

« L'autorégulation pour régler tous les problèmes, c'est fini. Le laissez-faire, c'est fini. Le marché qui a toujours raison, c'est fini. Il faut tirer les leçons de la crise pour qu'elle ne se reproduise pas. […] Je n'hésite pas à dire que les modes de rémunération des dirigeants et des opérateurs doivent être encadrés. Il y a eu trop d'abus, trop de scandales. ».

On voit comme le pronom « on » fait place au « je » dès qu'il n'est plus question de souligner les failles du systèmes mais de trouver des solutions. Ce beau discours et ces belles promesses, n’auront pas été suivi d’actes et la financiarisation a repris de plus belle sous son gouvernement. Sans surprise, les dernières semaines donnent à penser que les promesses de Macron ne valent pas plus que celles de Sarkozy.

On nous explique qu’il va falloir « faire des efforts », « travailler plus ». Le MEDEF s'active déjà pour infléchir les normes environnementales. C’est toujours la même rengaine, à chaque fois que leur système d’accumulation connait des contrariétés c’est aux plus pauvres de payer pour compenser les pertes des plus riches. C'était déjà le cas en 2008 où les efforts demandés suite à la crise économique ont surtout contribué à faire exploser les inégalités. 

Illustration 2
Evolution des revenus en France sur la période 2008-2011 (en euros) © Observatoire des inégalités

Nous ne sommes pas dupes, des années que la casse du code du travail est en marche, des années que, de leur tour d'ivoire, ils appellent à travailler plus. La crise du COVID-19 sera surtout un prétexte à accélérer ce mouvement, une occasion de nous rejouer le « There is no alternative » (il n’y a pas d’alternatives). Ce sont ces politiques qui nous ont menés dans la catastrophe que nous vivons aujourd’hui, nous n’oublierons pas.

Des mensonges d'Etat

Deuxième stratégie, le mensonge. Il faut le dire, pour couvrir ses fautes, le gouvernement a menti. L’exemple le plus probant concerne la gestion des masques. Courant mars, les membres du gouvernement ont multiplié les interventions médiatiques pour nous expliquer que le port du masque était inutile. Sibeth Ndiaye,  Agnes Buzyn, ou encore Edouard Phillipe, tous et toutes n’ont cessé de marteler l’inutilité du port du masque pour les personnes non malades. Un bon nombre de contaminé·es sont asymptomatiques et nous ne pouvions pas non plus accéder aux tests. Dès lors, comment savoir qui est malade ? Bien que ridicules ces recommandation sanitaires étaient accommodantes dans la mesure où, comme le révèle Médipart, « mi-janvier, au début de l’épidémie en Chine, les stocks de masques sont quasi inexistants en France ».

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Emmanuel Macron lors de sa visite de l’hôpital de campagne Covid-19 de Mulhouse, le 25 mars 2020. © AFP

Le paroxysme du ridicule fut atteint le 25 mars lorsque Sibeth Ndiaye porte-parole du gouvernement explique que le Président n’est pas muni d’un masque dans la mesure où « la recommandation sanitaire qui est faite est que le port du masque en population générale, lorsque nous ne sommes pas malades ou pas soignants, n’est pas utile. Il n’y a pas de raisons que le Président de la République déroge aux prescriptions qui sont réalisées pour la population française. ». Quelques heures plus tard à peine nous pouvions admirer le masque FFP2 porté par Macron lors de son déplacement à Mulhouse… 

A l’aube du déconfinement progressif, le gouvernement promet à tous et à toutes des masques réutilisables en tissu. Ces mêmes masques qui étaient inutiles, les voici distribués massivement. Les recommandations sanitaires n’ont cessé d’évoluer pour s’adapter aux stocks disponibles.

C'est aussi le cas pour les masques FFP2. Pour rappel, à la différence du masque chirurgical qui ne protège que l’entourage de son porteur, le FFP2 protège à la fois le porteur et son entourage. Habituellement, les soignant·es qui rentrent en contact avec des patient·es en isolement doivent suivre une procédure stricte : surblouse étanche, gants, charlotte et masque FFP2. Tout cet équipement doit être jeté à la sortie de la chambre pour éviter les risques de propagation.

C’est en ce sens que vont les premières consignes du ministère au commencement de la pandémie. Comme le révèle Médiapart « Le 20 février, dans une note adressée aux établissements de santé, le ministère exigeait que tout soignant au contact d’un cas « possible » de Covid-19 porte un FFP2. ». Néanmoins face au manque de masques, l’exécutif décide de faire varier les recommandations sanitaires. Désormais, seul « les personnels soignants qui réalisent des gestes médicaux invasifs ou des manœuvres au niveau de la sphère respiratoire » sur les patient·es COVID-19 sont autorisés à utiliser un masque FFP2. De plus, le personnel est encouragé à conserver leur masque le temps de leur validité plutôt que de les jeter en sortie de chambre.

Bien qu’existant, le gouvernement refuse de communiquer le chiffre des contaminé·es au sein des soigant·es… Certains établissements ont toutefois décidé de publier ces chiffres de manière isolée. C’est le cas de l’assistance publique des hôpitaux de Paris qui comptait 3 8000 de ses employé·es atteint·es par le COVID-19, dont trois décès. Sur Twitter le compte @DuAccident tient une cartographie des soignant·es mort·es victimes du virus, à ce jour on peut donc compter à minima 30 décès en France. 

S’il est difficile de se faire une idée plus précise sur la situation en France, les statistiques des pays dans la même situation peuvent nous éclairer. Aux Etats-Unis on estime que 20% de la population des infirmier·es est contaminée, en Espagne le personnel soignant représente 16% des personnes contaminées, l’OMS quant à elle présume qu’une personne sur 13 contaminée est un·e soigant·e.

Si les recommandations sanitaires évoluent en fonction des stocks disponibles, cela se fait au détriment de la santé voir de la vie de nos soignant·es. Le gouvernement a menti pour cacher ses fautes, rien de surprenant : la porte-parole du gouvernement l’avait déjà annoncé, elle « assume parfaitement de mentir pour protéger le Président ». Nous n’oublierons pas.

L’imprévisibilité de la crise

La troisième stratégie repose sur la supposée imprévisibilité de la crise. « Personne ne pouvait prévoir l’ampleur de cette crise » nous martèlent le gouvernement et leurs chiens de garde. Certes, l’épisode du H1N1 et avant lui l’épisode du SRAS ont montré qu’en matière de pandémie, le pire n’est jamais certain. Néanmoins, cela fait des années que le personnel soignant tire la sonnette d’alarme sur l’état de l’hôpital en France. Alors que la population augmente les financements ne suivent pas : la France comptait 11 lits d’hôpitaux pour 1 000 habitant·es en 1980, en 2017 on n'en comptait plus que 6. Ces économies et les nouvelles techniques de management mises en place pour compenser le manque de moyens pèsent sur les patient·es comme sur le personnel.

En 2018, 35 % des professionnels de santé disent avoir été affectés par un problème de santé (hors maladie chronique) dans les deux derniers mois, contre seulement 21 % des Français. Si l’on s’attarde sur la santé mentale le constat est encore plus alarmant. Faute de statistique officielle (une fois de plus), il est difficile de trouver des données précises sur ce phénomène. Néanmoins une étude de 2019 estime qu’en France, un personnel soignant sur deux présentent des symptômes de burn-out.  Le taux de suicide est 2,5 fois plus élevé chez le personnel soignant que dans le reste de la population.

Evidemment ce mal-être du personnel soignant pèse sur la qualité des soins : 9% des professionnels de santé indiquent que le burn-out a conduit à un incident médical de sécurité, pour 66% le risque existe. Il n’est plus rare que ces défaillances provoquent la mort. On se rappelle avec effroi de cette femme morte en salle d’attente 12h après son admission aux urgences, de Naomi Musenga morte à 22 ans, 5 heures après son appel au SAMU qui n’a pas été pris au sérieux, de Lou 11 ans morte d’une péritonite parce que prise en charge trop tardivement. Ces drames ne sont pas des cas isolés mais sont révélateurs de l’état de notre hôpital. A chaque reprise les syndicats ne manquent pas de dénoncer « un manque de lits et de moyens », en vain, les chiens de garde comme Yves Calvi préférait alors dénoncer « la pleurniche permanente hospitalière ».

Les politiques de Macron n’ont fait que prolonger cette destruction de l’hôpital public, pire, elles ont accéléré le mouvement. En 2017 41% des soignant·es jugeaient leur condition de travail insatisfaisantes. Un an après ce chiffre est de 68%.

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17 décembre 2019 Paris. Le personnel hospitalier dans la rue. © Inconnu

Alors certes, nous ne pouvions pas prévoir l’ampleur de cette pandémie là, mais le manque de moyens, tant matériels qu’humains, est dénoncé depuis des années. Le risque de pandémie a toujours existé, devoir l’affronter avec un hôpital asphyxié depuis tant de temps explique en partie la catastrophe que nous subissons. Ca, nous pouvions tous et toutes le prévoir.

Que la promesse de Macron d’un « plan massif »  d’investissements pour l’hôpital soit tenue ou pas, il est trop tard. Pendant des années ils n’ont fait que compter les économies, nous comptons les morts. Nous n’oublierons pas.

Aux mort·es du travail le néolibéralisme reconnaissant

Dernière stratégie, sans doute la plus usitée : l’héroïsation du personnel médical. Cette stratégie s’est mise en place dès le discours du 12 mars. Emmanuel Macron nous explique alors que les soignant·es sont « des héros en blouse blanche [...] des femmes et des hommes capables de placer l’intérêt collectif au-dessus de tout ».

Cette stratégie prend une tournure tout à fait particulière quatre jours plus tard avec le discours du 16 mars dans laquelle le président répète à 6 reprises que « nous sommes en guerre ». Cette métaphore est filée systématiquement à chaque prise de parole des membres du gouvernement.

Le personnel soignant a besoin de moyens matériels et humains pour accomplir leur travail sans mettre leur vie en péril. Un·e héro·ine n’a pas besoin de ça, il ou elle a besoin de reconnaissance et de gloire. A défaut de pouvoir donner ce matériel le gouvernement a décidé de transformer en héros nos soignant·es.

A ce jeu là l'exécutif met le paquet : le symbolique ça ne coûte rien. Il faut applaudir les soignant·es à 20h, des propositions émergent pour donner la Légion d’honneur au personnel soignant mort du COVID-19, on parle de faire défiler des soignant·es le 14 Juillet… Le personnel se retrouve piégé dans cette position, toute réclamation devient inaudible, ils et elles ont déjà tout ce dont aurait besoin un héros·ïne. Comme le dit le médecin généraliste Baptiste Beaulieu « l'héroïsation des soignants est un moyen de dépolitiser les revendications ».

Alors il va falloir le rappeler, les soignant·es ne sont pas des héro·ïnes, ce sont des hommes et des femmes qui ne demandent qu'à pouvoir exercer leur métier dans des conditions sanitaires décentes. Les mort·es parmi les soignant·es ne sont pas des morts de guerres, ils et elles ne sont pas mort·es en héros·ïnes, ils et elles sont mort·es au travail parce que leur employeur, l’Etat, a failli à ses missions. Alors non la nation n’est pas « reconnaissante » comme nous le dit Président, la nation a honte, nous avons honte, nous n’oublierons pas, nous ne pardonnerons pas.

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