Nicolas Émilien (avatar)

Nicolas Émilien

Abonné·e de Mediapart

36 Billets

0 Édition

Billet de blog 26 janvier 2023

Nicolas Émilien (avatar)

Nicolas Émilien

Abonné·e de Mediapart

Mon chien, moi et mon chien

Nicolas Émilien (avatar)

Nicolas Émilien

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Bouille de playdog, poils rasés de frais, queue courte et droite, dents blanches d’acteur hollywoodien. Très doggygénique. Mon chien adore jouer au football. Il est beau, il a de la personnalité. Il grogne, tire la langue, fait son cinéma. Il écoute et obéit quand il veut. Il est malin comme un singe (Attention, avec la variole, le singe n’est plus en odeur de sainteté !). Dès qu’il voit un ballon, il est comme possédé. Tout en légèreté et en agilité. Il drible, feinte, pousse, saute, mordille, amortit… c’est à peine croyable. La réincarnation même d’un célèbre joueur. Il est inarrêtable. Il court après, derrière, devant, dessus… Des millions de vues, je vous dis, des millions ! Il pourrait mourir pour le ballon rond. Qui pourrait encore mourir pour le feu sacré qui l’anime au plus profond de lui ?

Ce matin, mon chien a abandonné son ballon. Tel un éclair, le long de la haie, un chat est passé. Jaillissements de pop-up et autres textos dans son univers footballistique bien huilé. L’un a été surpris, l’autre a joué la carte du déni. Insaisissables, identiques, mais différents, fuyants, mais curieux, un piège félin parfait pour capturer l’attention du roi du gazon. C’est ainsi que les félins sont devenus sa drogue. Même le ballon rond a perdu de sa superbe. Je ne sais pas pourquoi, il affectionne particulièrement leurs excréments. C’est affreusement dégoûtant, mais à chacun ses plaisirs. Mon chien est comme ces hordes de tiktokeurs, programmé : ballons chats, chats ballons. Par automatisme, lui ne regarde pas ses messages dès les premiers rayons du soleil, il m’apporte son os couineur. C’est étrange : je pense, mais je ne suis plus. Car il faut montrer, tout montrer parce que la pensée est une échographie extérieure de nos élucubrations mentales. Les clichés se succèdent à la vitesse de la lumière. Ils ont remplacé le Verbe. S’afficher sous toutes les coutures, partout, toujours, tout le temps. En temps de guerre, comme en temps de paix. Être, c’est être vu. S’exhiber, c’est prêcher la bonne parole. Seuls nos écrans réfléchissent encore un peu de lumière. Raisonner est devenu une anomalie. Suivre le troupeau, c’est vibrer à l’unisson de la toile. Mon chien me rapporte la balle. Il remue la queue. Il est content. Il est fier de lui. Lui non plus ne pense pas. Il obéit. Il prend la pose. Tout comme nous, l’animal répond à des stimuli, à des caresses, à des sanctions et à une programmation ancrée dans ses neurones à force de répétitions.

Bref, après cet aparté canin, revenons à nos moutons (herbivore qui pâtit, comme le cochon et la vache, de l’élevage intensif et de l’empoisonnement de notre écosystème). Je dois l’avouer, mon chien est un mini-cerbère. Réveil à l’aurore. Trois à cinq sorties par jour et balades. Si je refuse de lui céder, il joue et abuse de ses charmes. À chacun ses armes et ses outils de communication. Aujourd’hui, ce sont des agences de relations publiques (souvent anglo-saxonnes) qui commandent aux chefs d’État quoi dire, que faire, comment et quand. Non, mais c’est le monde à l’envers. Je ne suis donc pas libre. Je ne suis donc pas non plus le maître de ma destinée puisqu’il semblerait que d’autres l’écrivent à mon insu. Tout comme l’adage dit que le chien ressemble à son maître, notre monde ressemble aux structures qui l’ont façonné (acier, charbon, finance et armement). Ceux qui connaissent l’histoire et le sens de l’histoire sont les derniers gardiens muets d’une parenthèse enchantée européenne. Ici ou ailleurs, la doxa médiatico-politique est toute-puissante, aller à son encontre c’est encourir l’opprobre, la mise au ban de la société, pire le bannissement numérique. Malgré les quantiques et autres louanges mièvres du vivre ensemble, notre récit ressemble davantage à un obscurantisme soft qu’à un échange citoyen bienveillant. Plus que jamais l’information et son contrôle sont le nerf d’une lutte sans merci.

Face à tant d’anxiétés et de mensonges, voilà mon toutou adoré devenu réceptacle affectif de ma cité déshumanisée. Le compagnon à quatre pattes remplace l’humain là où celui-ci est devenu absent et défaillant. Dans le meilleur des mondes, celui de l’hyperconsommation, nous devrions tous nager dans le bonheur. Il n’en est rien. Les chiffres du mal-être explosent. L’industrie de la chimie bricole des potions magiques pour nous rendre la vie plus douce. Le réel ne nous suffit plus pour respirer. Pour preuve, l’angoisse, les troubles mentaux, la peur nous submergent. Nous étouffons. Nous suffoquons. Les dents de mon chien bruissent frénétiquement sur son os de cerf, il réduit ses tensions intérieures. Nous scrollons avec frénésie des Shorts à la pelle pour nous évader et atténuer notre souffrance. Pour parachever l’édifice, la politisation des plaisirs, des loisirs, du sport, de l’école et du monde du travail est une manière insidieuse et pernicieuse de pousser l’individu dans la boîte de la bien-pensance. L’Occident se meurt de bien-pensance. Ces maux sont les effets collatéraux d’une société hors-sol. En nous coupant de la nature et du vivant, nous nous sommes coupés de nous-mêmes. Dans sa simplicité, sa spontanéité et son authenticité, l’animal domestique me ramène et me rattache à l’instant présent.

Il est tard. L’heure de manger s’approche. J’agrippe la gamelle sur l’étagère du cellier. Mon chien sautille sur ses pattes arrière. Il est réglé comme une horloge. Nous le sommes également. Métro, boulot, dodo, congés, obligations familiales, factures… la vie d’un être humain est la même que celle d’une civilisation. Il naît et meurt. L’animal a peur de ne pas avoir. Il a peur de manquer. Il est comme nous autres. L’Europe consomme moins. La paupérisation gagne du terrain. L’Europe n’est plus bancable. Elle est rassasiée. Elle est sur le déclin. Des populations repues et apeurées se figent et dépensent autrement. Chaque année, des millions de tonnes de produits de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche remplissent les gamelles de nos animaux de compagnie. Les industriels ont bien identifié cette niche. Le business est juteux, le marché mondial en plein essor. D’autres personnes ont flairé des opportunités. Toute une panoplie de métiers s’ajoute au classique vétérinaire : toiletteurs, psys, comportementalistes, dresseurs, dog-sitters, masseurs et physiothérapeutes. Mais il y a un hic ! Oui, il y a un mais… Des gens qui ressentent la vie, la respectent et l’aiment gaspillent moins. Des gens heureux et comblés vivent de sobriété et de cohérence.

C’est effrayant ! Oui, je vous ne le fais pas dire. Car il faut comprendre que la matrice est en prédation permanente. Elle veut de la rentabilité. Elle a besoin de croissance pour survivre. L’ogre chinois, l’usine de l’Occident, ne peut plus s’arrêter de dévorer avec appétence la planète. S’il s’arrête, c’est la grève, la révolte, le massacre. Le rêve américain quant à lui s’évapore. Tous les moyens sont donc bons pour la maintenir artificiellement (guerre par procuration, énergétique, préventive, idéologique, culturelle, bactériologique, économique, financière, humanitaire, militaire, cybernétique, hybride, asymétrique). Toutes les combinaisons sont possibles et tous les coups sont permis. Chaque pays, à des degrés différents, est dans une quête, posture et dépendance vis-à-vis des autres. Chacun joue sa partition selon ses besoins, ses intérêts et sa puissance. Surtout éviter les frondes populaires et la guerre civile à domicile. Notre monde est régi par des algorithmes et des statistiques qui ne tolèrent aucune baisse de régime. Alléluia, il y a mon chien. Matin et soir, il est heureux. Et je le suis. Il y a mon chien, moi, la poésie de l’existence et le reste du monde. Nous ne sommes qu’un. Nous sommes reliés à l’invisible. Ce que je donne à l’un me revient d’une manière ou d’une autre, dans mon terrain de jeux. Croire le contraire, ce serait nier le mystère de l’univers.

Nicolas Émilien

Illustration 2

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.