Seule avec les ombres
Seule avec les ombres de nos disparus tant aimés, avec l’ombre obsédante de celui que tu fus, le beau dieu que j’adorais depuis si longtemps, toi qui cessas pourtant de m’aimer et m’abandonnas soudain aux hasards du destin pour aller vivre au loin, il ne me reste que les souvenirs de jours que je croyais heureux ; ils hantent encore le silence de mon Carmel champêtre, de mes heures vides de toute joie, de tout espoir, de mes aubes grises et de mes sombres soirs. Notre jeunesse a passé si vite, et ton absence était toujours si douloureuse ! Sans cesse s’en lamente mon ange gardien.
Tu as aggravé le chaos du monde dont le vacarme au loin parfois parvient jusqu’à moi ainsi que les ombres opaques de ces malheureux, ces inconnus qui souffrent, qui implorent et qui meurent, ces anonymes seulement dénombrés par les journaux, avant d’être à tout jamais oubliés, engloutis au néant de l’indifférence humaine et de la négligence des Dieux. Sans cesse s’en lamente mon ange gardien.
Bientôt tu seras seul, toi aussi, avec les ombres de ceux et de celles que tu as aimés, qui s’évanouiront comme au petit matin s’éteignent les étoiles, sans laisser de traces. Et n’étaient mes poèmes si puissamment marqués au sceau de ton être éblouissant des temps jadis, au sceau de mon amour resté incandescent au fil des ans, tu serais toi aussi ombre négligée parmi les âmes mortes et malfaisantes dont nul ne se souvient. Qui sait si s’en réjouit mon ange gardien. 5 août 2022 Aimée Saint-Laurent ©