Bal masqué
Je m’étais assoupie, au long des années, dans la torpeur de l’attente et du retour assuré de l’époux adoré, dans la douceur enchantée de ses paroles, dans la tendresse bienfaisante de ses gestes du soir, dans la splendeur de nos souvenirs partagés, de nos anciens élans l’un vers l’autre, dans la consolation feutrée d’un refuge idéal où ne pénétrât pas la croissante cruauté du monde. Je m’étais assoupie dans un rêve, le rêve qu’il m’avait annoncé en ces aubes épanouies de nos jeunes noces, rêve que j’avais cru inaltérable comme pur diamant. Mon regard s’y arrêtait souvent. Derrière le miroir, depuis longtemps pourtant, le danger me guettait de son œil jaloux, féroce et narquois. Se tramaient l’intrigue et la trahison. Je ne le voyais pas.
Déjà, déguisé, celui qui m’avait entre toutes choisie pourtant, regardait ailleurs. Déjà, il ne portait plus au doigt la bague échangée de la foi entre la reine et le roi. Déjà, à mon insu, le mensonge rongeait mes illusions. Déjà, l’époux-amant tant attendu vivait d’autres moments en secret. Je restai prisonnière des lacs d’or d’un songe. Ma robe de mariée surannée réduite en lambeaux au fil du temps, s’est alors achevé le bal masqué, transmué en danse macabre.
Le réveil fut brutal, le voile se déchira et le cauchemar se révéla dans toute son horreur.
12 avril 2022 Aimée Saint-Laurent ©