Notre président a l’art de la communication avec les Français. Il suffit pour s’en convaincre de dresser un petit florilège de ses piques, adressées ici et là à l’encan depuis quatre ans. Soyons justes : il n’était pas encore élu quand il a commencé à se faire remarquer pour son admirable respect des gens ordinaires, de ceux qui produisent la richesse de la France, les travailleurs et les travailleuses, quels qu’ils soient. En effet, c’est en tant que ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, poste auquel il est nommé le 26 août 2014, qu’il évoque ses ambitieux projets pour enrayer dès demain le chômage de masse qui a cours en France depuis des lustres. Nous sommes sur la chaîne de radio Europe 1, le 17 septembre 2014. Il donne alors au journaliste qui l’interroge, l’exemple d’une petite entreprise bretonne en difficulté, les abattoirs Gad, dont les ouvrières sont menacées de licenciement.
- Des ouvrières « illettrées », 17 septembre 2014
Il n’hésite pas à parler d’elles en ces termes : elles sont « pour beaucoup, illettrées ». Il aura beau s’excuser plus tard, la phrase est lâchée et ne s’effacera jamais. Qu’entend-il exactement, notre futur président, ancien élève de l’ENA, par « illettré » ? Sait-il que l’illettrisme, en France (et ailleurs) provient de l’écrasement du peuple, sur des générations, par sa caste de puissants qui n’a eu cure de l’éducation du peuple pendant des millénaires et maintenant moins que jamais quand on connaît les ravages de la télévision aux mains des milliardaires sur les « cerveaux disponibles »? Sait-il, notre futur président, que son éducation, le peuple l’a d’abord due à lui-même avant de la devoir à la bienveillance (intéressée) de l’Etat ? Sait-il aussi que l’illettrisme n’a jamais empêché les gens de penser, et de penser juste et bien ? Sait-il que ces ouvrières, après leur journée de travail, ont sûrement beaucoup à faire à la maison : les courses, le ménage, la cuisine, les enfants, et sûrement peu de temps pour s’instruire. Mais peut-être ces ouvrières savent-elles localiser la Guyane sur une carte du monde sans la confondre avec une île comme il le fera, le 27 mars 2017.
Mais, notre président n’a pas fini de nous livrer le fond de sa pensée (« complexe », autrement dit, loin d’être à la portée de tout le monde).
2.« Devenir milliardaire » 7 janvier 2015
Il nous en donne un nouvel exemple, le 7 janvier 2015 après qu’il est allé faire un tour au Consumer Electronics Show de Las Vegas, alors qu’il donne une interview au journal les Echos. Ne déclare-t-il pas en effet, ce qu’aucun professeur digne de ce nom n’aurait jamais osé dire à ses élèves ou recommander en conseil de classe (sauf à risquer une sanction de l’administration) qu’« il faut des jeunes qui aient envie de devenir milliardaires » ? Il s’expliquera d’ailleurs, sur Europe 1 encore une fois, en soulignant que pour lui, cela signifie « vouloir réussir, à tout prix, et réussir formidablement ». Là encore, on reste ébahi devant la puissance de la pensée complexe, et devant la profondeur du « à tout prix », ce qui veut bien dire ce que ça veut dire, et que l’on peut traduire par « en marchant sur la tête des autres ». De plus, réduire le but de la vie à l’enrichissement hors normes, ériger en modèle les quelques milliardaires de la planète dont on serait bien en peine d’attribuer la richesse à l’honnêteté de leurs efforts, représente une philosophie d’une profondeur et d’une éthique rares. Nos concitoyens, à la recherche d’une vie décente et, si possible, intéressante, doivent apprécier cette vision on ne peut plus ultra moderne du but de la vie humaine. De plus, l’argent gagné doit servir aux belles apparences, selon ce qui sera proféré à l’adresse de grévistes, à Lunel, le 27 mai 2016.
3. « Se payer un costard », 27 mai 2016
Apostrophé par deux grévistes lors d’un déplacement à Lunel, le ministre de l’Economie, E. Macron, lance aux deux hommes « vous n’allez pas me faire peur avec votre T-shirt ; la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler ». On soulignera la puérilité de l’argumentation. Même pas peur ! Se prenait-il pour Bayard, chevalier sans peur et sans reproche ? Nous n’étions pourtant pas dans une cour de récréation. Notre futur président serait-il pusillanime ? Est-ce que des hommes sont censés vouloir inspirer de la peur en portant un T-shirt ? Est-ce qu’un ministre est censé avoir peur de deux hommes inoffensifs vêtus d’un T-shirt ? Est-ce que ces deux hommes rêvent de porter un « costard » qui leur donnerait l’apparence de classe d’un ministre ? Rêvent-ils même de devenir ministres ? Est-ce pour se payer un « costard » que l’on est censé travailler ? Là encore, on constate avec effarement le sens du travail et du salaire pour M. Macron : donner les moyens de s’habiller, et de s’habiller en jeune bourgeois, en fils à papa. Il n’est vraiment pas sur la bonne longueur d’onde. D’ailleurs ces salariés ont sûrement déjà un costume dans leur garde-robe, peut-être pas signé Gucci, ou Arnys comme ceux de Fillon, mais celui de leur mariage qu’ils gardent pour leur enterrement. Seraient-ils à l’aise en costume pour travailler dans une usine ou sur une route ? Heureusement pour M. Macron qu’il y a encore des hommes prêts à travailler dans les usines et à construire des routes ! En portant un T-shirt. Peut-être M. Macron se croyait-il drôle et trouvait-il sa réponse pleine d’humour. Mais le peuple français n’en avait pas fini avec les reparties subtiles de son futur président.
4. Alcoolisme et tabagisme, 14 janvier 2017
En déplacement dans le Pas-de-Calais, le candidat à l’élection présidentielle ne s’est pas contenté de déplorer l’abandon économique du département et les conséquences sur la vie des gens. Il s’est cru obligé de se livrer à un diagnostic et de déclarer « dans ce bassin minier, les soins se sont moins bien faits, il y a beaucoup de tabagisme et d’alcoolisme ». Bien sûr, c’est le cas ! Mais toute vérité n’est pas bonne à dire, de façon aussi superficielle et blessante, de la part d’un homme politique. Et ces fléaux ont bel et bien une origine : notre système social qui développe la misère et réduit l’homme à n’être rien! Un système qui conduit les pauvres à tenter d’oublier leurs malheurs et les rend au contraire victimes de ce système qui, non content de les laisser sur le bord de la route, encourage les ventes d’alcool et de tabac, et enrichit les marchands de vin, les cigarettiers et, par le biais des taxes, l’Etat ! De plus, que fait l’Etat en matière de prévention ?
5. « Les gens qui ne sont rien », 29 juin 2017
Macron a été élu président de la République, le 7 mai 2017. Il a remporté 24,01 % des suffrages au premier tour et 66,10 % au deuxième tour, par défaut puisque face à Marine Le Pen. Le 29 juin 2017, à Paris, le président inaugure la Station F dédiée aux start-ups du milliardaire Xavier Niel, dans une ancienne halle ferroviaire, et prononce un discours. Quelle n’est pas la surprise des Français d’apprendre ce nouvel avatar de la pensée complexe : « dans une gare on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien» ! Des gens qui réussissent quoi ? On ne peut que le deviner, maintenant qu’on commence à s’habituer aux méandres de la pensée complexe : « qui réussissent à gagner beaucoup d’argent », ceux qui se sont payé une Rolex avant l’âge de 50 ans, comme le prônait Jacques Segala. Tandis que les autres ne sont rien (même s’ils ont voté pour lui). La parole du président les a déjà éliminés. De la gare, de la France, de la vie. La pensée complexe ressemble à s’y méprendre à un manichéisme qui ne dit pas son nom et qui se confond avec le plus pur malthusianisme. Ne sont rien ceux dont la presse people ou le magazine Forbes ne recense pas la fortune, les actifs, les revenus, l’évasion fiscale, les relations, les mariages, les divorces et les aventures. Autrement dit, ne sont rien plus de 99% des Français et de la population du monde, ceux qui travaillent honnêtement sans pouvoir rouler sur l’or, ceux qui sont éliminés du travail, ceux qui croient en la sincérité des hommes politiques et en un avenir meilleur. Vous avez compris, Français ordinaires, vous n’êtes RIEN ! Mais ce n’est pas tout.
6. Les Comoriens, 1er juin 2017
Il n’y a pas que les Français qui ne sont rien, il y a aussi des riens dans le reste du monde. En visite dans le Morbihan, M. Macron, qui ne sait pas se taire et s’imagine avoir le sens de l’humour, parle des frêles embarcations traditionnelles des Comores, utilisées par de malheureux migrants pour rejoindre Mayotte (101e département français depuis 2011) : « le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien ». Quelle finesse dans le sens de l’humour de notre président, resté potache ! On voit aussi quelle empathie anime notre président pour la misère du monde. Peut-être n’a-t-il pas eu le temps de lire le rapport publié par le Sénat en 2012, qui fait état de 7000 à 10 000 morts entre 1995 et 2012 à la suite du naufrage de ces bateaux. Il est vrai que 7000 (Como) Riens de plus ou de moins, puisqu’ils ne sont RIEN, de toute façon, cela n’a pas d’importance, aux yeux du chef de l’Etat. Non content de s’amuser aux dépens des pauvres, étrangers qui plus est, le président profite de ses visites à l’étranger pour dénigrer une partie de ses compatriotes.
7. Athènes, 8 septembre 2017
Ainsi, de passage à l’Ecole française d’Athènes, le 8 septembre 2017, et évoquant la réforme du Code du travail, notre président déclare : « Je ne céderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes ». Nous ne savions pas que le Code du travail avait été élaboré en premier lieu pour encourager les « fainéants ». Heureusement que notre président nous l’explique. Nous pensions qu’il avait été élaboré pour venir en aide aux travailleurs exploités afin de les rétablir dans leurs droits. Il est vrai que les tout premiers textes ne faisaient que reprendre, par exemple, une loi de 1892 qui limitait à 11 heures par jour le travail des femmes et des enfants de 16 à 18 ans. Déjà des fainéants à cette époque ! Comme on le voit, notre président n’y va pas de main morte. Il sait même châtier son vocabulaire.
8.« Foutre le bordel », 4 octobre 2017
Décidément, le président ne sait plus comment s’y prendre avec le peuple. Alors il essaie le parler peuple. Au cours d’un déplacement à Egletons (Corrèze) le 4 octobre 2017, on l’entend dire : « certains, au lieu de foutre le bordel, feraient mieux d’aller regarder s’ils ne peuvent pas avoir des postes là-bas». Le droit de grève devrait certainement disparaître de la Constitution, avec l’ancien monde fustigé par Macron, ce serait plus pratique.
9. Il s'adresse au Président du Burkina Faso, 28 novembre 2017
Par contre, Emmanuel Macron vient bel et bien foutre le bordel au Burkina Faso le 28 novembre 2017, alors qu’il s’adresse aux étudiants de l’Université de Ougadougou, devant le Président burkinabé. A la question d’une étudiante, il répond que ce n’est pas à lui, Président français, de s’occuper de l’électricité dans les locaux de l’université. « Mais vous m'avez parlé comme si j'étais le président du Burkina Faso», lance t-il à cette étudiante et, se croyant drôle (comme d’habitude, il ajoute : «Quelque part vous me parlez comme si j'étais une puissance coloniale. Mais moi je ne veux pas m'occuper de l'électricité dans les universités au Burkina Faso. C'est le travail du président !» Le président, Roch Marc Christian Kaboré, qui vient de s’en prendre plein la figure, se lève alors et quitte la salle. Décontenancé, Macron l’interpelle grossièrement, en le tutoyant : « du coup, il s’en va … Reste-là ! Il est parti réparer la climatisation ». Si on n’est pas là dans une séquence de type colonial, méprisante (comparer le président à un électricien), d’une familiarité empuantie par le racisme (le tutoiement), de quoi s’agit-il ? Mais le racisme de M. Macron ne s’arrête pas aux Africains, c’est aussi un racisme contre les pauvres, les "rien".
10. « Président des riches », 13 avril 2018
A l’accusation d’être le président des riches, M. Macron répond que « les riches n’ont pas besoin de président, ils se débrouillent très bien tout seuls ». Les pauvres seraient-ils donc les seuls à voter ? Et voter pour un président qui les protège, les éclaire, les aide à se débrouiller ? Paternalisme insupportable ! Il est vrai que les riches se mettent les lois où je pense et les contournent dans les paradis fiscaux.
Mais poursuivons notre périple à travers le florilège dans le registre populaire. Une vidéo est lancée par l’Elysée sur les réseaux sociaux, le 12 juin 2018.
11. « Un pognon de dingue », 12 juin 2018
Qu’y voit-on ? On y découvre le président en plein travail, en bras de chemise, une montagne de dossiers sur son bureau, s’exclamer « on met un pognon de dingue dans les minima sociaux !», comme si, Eureka ! il avait enfin trouvé la pierre philosophale et le moyen infaillible d’éradiquer la pauvreté sans avoir recours aux aides sociales ! Magnifique ! « Pognon de dingue » …et c’est le même président dont, deux jours plus tard, le 14 juin 2018, on annonce la commande, pour l’Elysée et pour les beaux yeux de Madame, d’un service de vaisselle dont le prix, 500 000 euros est d’abord donné pour 50 000 euros … Une telle bagatelle qu’on n’est pas à un zéro près! Dans quoi met-on un « pognon de dingue », les aides sociales ou la vaisselle de l’Elysée ? Notre président aime la vaisselle de luxe dont il va profiter chez la reine du Danemark, le 29 août 2018.
12. « Des Gaulois réfractaires au changement », 29 août 2018
Notre président a maintenant pris l’habitude de nous dénigrer à l’étranger. Admiratif de la modernité du peuple danois, le 29 août 2018, se croyant toujours drôle, il parle de nous, Français, devant la reine, comme des retardés. Nous sommes l’exemple du « Gaulois réfractaire au changement », piqûre de rappel de ce qu’il avait affirmé le 24 août 2017, en Roumanie, au cas où nous l’aurions oublié : « Les Français détestent les réformes ». En tout cas, il y a une réforme dont ils rêvent : réformer le président ! Mais pour faire bonne mesure, reconnaissons que ce président moderne qui se targue de parler anglais s’est aussi rendu bien ridicule en Australie en voulant porter aux nues la femme du premier ministre australien. Ce serait hilarant si ce n’était une autre façon de rendre les Français ridicules. Ils ont la réputation d’avoir du mal avec les langues étrangères ; désormais, notre président aussi.
13. « Your delicious wife » 1er mai 2018
Eh oui, voilà ce qui arrive quand on veut faire le malin ! « Delicious » ne s’applique pas aux personnes, à la façon dont « délicieuse » s’applique à une femme dans le monde raffiné (?) et bourgeois de M. Macron. Celui-ci n’a plus qu’à réviser ses cours d’anglais ou se payer les services d’un/une interprète, ce serait plus sûr ! Il finira par faire hurler de rire Donald Trump ! En attendant, il ne nous fait pas du tout, mais pas du tout, rire, encore moins quand il méprise la qualification des gens et leur conseille de faire n’importe quel métier, comme si n’importe quel métier n’exigeait pas ses propres qualifications, puisque lorsque l’on est Inspecteur des finances, on peut aussi bien devenir président de la République.
14.« Traverser la rue », 15 septembre 2018
Homme orchestre, ce président a solution à tout. Vous avez une formation d’horticulteur, et ne trouvez pas de travail ? Il vous en trouve un en traversant la rue, dans la restauration, dans le bâtiment. C’est du moins ce qu’il dit à un jeune venu visiter l’Elysée lors des journées du patrimoine, le 15 septembre 2018. Il ne lui promet pas qu’il deviendra milliardaire, il ne lui demande même pas s’il rêve de le devenir. Mais c’est un rien. Alors … Sûrement encore un exemple de fainéant, réfractaire au changement !
15. « Empapaouter », 9 novembre 2018
Vous ne connaissez pas le sens de ce mot ? Eh bien, faites comme moi, allez chercher dans un dictionnaire ou sur Internet ! Cœurs sensibles, prenez garde, c’est de l’argot, c’est même très vilain ! Pourtant ce mot fait partie du vocabulaire de notre président qui se rapproche de plus en plus du peuple, croit-il, grâce à son nouveau style carabin, ou troufion « itinérance mémorielle» oblige. Cela se passe à Péronne, au moment des commémorations de la fin de la Grande Guerre, lors d’un bain de foule. Un salarié explique sa détresse au président et résume ses démêlés avec l’administration. Et le président de lui asséner un « vous vous êtes fait empapaouter ! » magistral.
Et voilà ! Nous nous sommes donc, nous aussi, fait empapaouter par le jeune cadre dynamique (un « upstart », ce qui signifie un « prétentieux », en anglais) qui a décidé de faire de notre pays une « start-up nation » et de maintenir coûte que coûte le cap qui nous conduit au meilleur des mondes, revu et corrigé par le nouveau professeur Pangloss, c’est-à-dire dans le mur !