Déjà deux ans que Gérard Barry est mort. Au coeur d'un été corse, j'avais reçu un texto d'un numéro inconnu: les obsèques de Gérard auront lieu lundi prochain. S'ensuivaient une indication de rendez-vous, le nom et l'adresse d'un cimetière à Lyon, sa ville depuis toujours. J'ai rappelé. C'était une de ses amies que je connaissais peu. Le retour d'un cancer au foie l'avait terrassé très vite. Épuisé en juillet, il avait tenu comme depuis quarante ans à se rendre en Avignon pour le festival. Il y avait vu tout ce qu'il avait prévu d'y voir, était rentré chez lui quelques jours, puis à l'hôpital où l'on avait essayé de le "prolonger". Et à sa demande (il avait "trop mal partout") on n'avait plus vraiment essayé. J'avais connu Gérard en juillet 1990, la seule fois où je suis allé au festival d'Avignon pour y accompagner la danseuse Marie-Ève Edelstein (billet du 9 avril). Nous avions cohabité pendant une semaine dans une vieille maison provençale. Celle qu'il louait pour deux semaines hors des remparts (et qu'il adorait) depuis vingt ans chez Madame Camboulive était en travaux. En seconde semaine, il avait trouvé à se loger à l'Isle-sur-la-Sorgue, non pour y contempler les beaux décors baroques de l'église du 17è, mais pour le plaisir de séjourner dans le village de son poète préféré, René Char.
Depuis cette année-là, chaque fois que je veux parler de quelqu'un qui vit admirablement, je parle de Gérard. Enseignant, puis retraité de l'enseignement, il vivait dans un beau et grand appartement de la Croix-Rousse dont il connaissait parfaitement l'histoire ouvrière de par ses très nombreuses années au Parti Communiste et par son insatiable curiosité. Sa maison était tout le temps ouverte à tous. Chaque fois que j'étais dans le coin, un coup de fil et hop, il débouchait une bonne bouteille, me présentait celles et ceux que je ne connaissais pas encore et un coin de canapé, un matelas ou un tapis devenaient des lits de rois où l'on dormait comme des bébés après des repas simples et somptueux qu'il préparait pendant des heures. Chaque soirée chez Gérard était un enchantement. Avec son regard malicieux et d'une voix qui semblait toujours sortir d'une longue sieste pleine de beaux rêves, le simple récit d'une de ses virées dans le sud s'apparentait aux voyages interminables de ces princes anciens aux confins de l'Orient. Là où Gérard se trouvait, c'était beau. Même dans les quartiers les plus tristes, dans les bars les plus glauques ou lors de promenades un peu ratées. Quand il en avait envie, il écrivait des poèmes qui lui ressemblent. Stricts, sensuels, un rien négligés. Je ne l'ai peut-être vu qu'une ou deux fois par an pendant toutes ces années. Mais je le retrouvais toujours comme un très vieil ami et je crois que ce que j'essaie de dire de lui pourrait tenir dans un vers de Rimbaud.
Un jour, je devins un opéra fabuleux.