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Billet de blog 3 août 2018

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Handicap et emploi: quand l'escalier se transforme en plafond de verre

Le handicap est une crasse qui colle au yeux de nos concitoyens, qui dans leur grande majorité, ne nous voient qu'à travers notre particularité. La seule solution est l'inclusion, partout, toujours.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je suis une femme supra diplômée, expérimentée, mais handicapée. Je n'ai connu, professionnellement que la précarité. Mon CDD arrivait à échéance le 31 juillet 2018.

 Fin mai, je découvre une offre d'emploi en CDI correspondant à mes compétences, mon expérience et mes aspirations. Je postule. 4 personnes du milieu avec qui j'ai collaboré pendant 9 ans me recommandent auprès des recruteurs . Je suis parmi les 6 retenus. Je réponds à un questionnaire complémentaire. Je fais partie des 3. Je vais donc à Paris le 4 juillet (à plusieurs centaines de km de mon domicile) accompagnée de mon époux dans notre véhicule personnel.

 Et là le drame.

 Des escaliers dans le hall, pas d'ascenseur, alors que l'immeuble est accessible, qu'il y a un stationnement handicapé à proximité et que le quartier est facilement praticable en fauteuil roulant.

 Les 4 personnes qui m'ont gentiment recommandée ont parlé de mon handicap aux recruteurs et personne n'a pensé à me prévenir de l'escalier et de l'absence d'ascenseur !

 Là, une secrétaire descend me rencontrer après que deux amis lui aient téléphoné. Elle est accompagnée d'un de ses collègues. Nous avons discuté un quart d'heure sur le trottoir.

 Résultat: rencontre des 2 recruteurs 5 h plus tard dans un bar diffusant de la musique techno assourdissante, alors que les concurrents pour le CDI ont été reçus préalablement au siège de l'entreprise... en haut des escaliers.

 Le chef des recruteurs m'a dit " on a eu l'info selon laquelle vous montiez les escaliers". Ça signifie sûrement que s'ils avaient su qu’en réalité je ne les monte pas je n'aurais pas été sélectionnée.

 Je lui ai répondu que l'offre d'emploi ne comportait pas le pré requis suivant: savoir monter les escaliers.

 Entre mon recrutement qui aurait nécessité préalablement un aménagement de l'escalier et celui d'un candidat conforme, je me doutais que la seconde option serait choisie.

 Effectivement, j'ai reçu un appel téléphonique le 10 juillet vers 17h : je ne suis pas la candidate retenue.

 L'entreprise a dû trouver des arguments pour démontrer que je ne suis pas la meilleure. C'est répugnant mais c'est obligé puisque le recruteur n'a ni le droit de me refuser uniquement à cause de ces fameux escaliers, ni celui de ne pas rendre les locaux accessibles à tous.

 Bien sûr le vainqueur du CDI ne saura jamais qu'il l'a gagné parce que les dés étaient pipés. Il se croira vainqueur en tant que le meilleur professionnel postulant et non parce qu'il sait avant tout grimper un escalier.

 Le match était "grimpé" d'avance, et je n'ai pas pu le jouer.

 L'entreprise, forte de son salarié conforme et de l'alerte à l'accessibilité de ses locaux que je viens de lancer, saura, non sans cynisme, faire savoir dans quelques temps qu'elle s'est mise aux normes.

 Posera-t-elle alors une plaque commémorative à mon nom en hommage à ma vie gâchée? A suivre...

 Une autre entreprise a osé, après mon départ, m'adresser une photo du pan incliné dont j'avais vainement rêvé pendant plusieurs années.

 Je suis détruite, mon époux aussi. J'ai postulé confiante, je suis compétente pour ce poste. Pourtant, mes chances d'embauche étaient proches du néant.

 La consécration par le Conseil constitutionnel, le 6 juillet 2018, dans sa décision n° 2018-717/718 QPC de la valeur constitutionnelle du principe de fraternité n'a pas provoqué chez les recruteurs un électrochoc tel que celui que mon époux et moi-même avons subi ce 4 juillet, en découvrant l'escalier et l’absence d'ascenseur au siège de l'entreprise.

 La fraternité nouvellement consacrée ne leur a pas enlevé leurs œillères pour qu'ils me voient telle que je suis en tant que postulante à un CDI? Compétente, expérimentée, déterminée.

 Est-ce qu'un jour quelqu'un va dire Stop?

 Est ce que quelqu'un va comprendre comment on traite les handicapés dans notre pays?

 A-t'on idée de l'ampleur de ce gâchis?

 Coût humain indéniable pour moi et mon époux et quelques soutiens.

 Coût financier: une heure de travail de deux salariés chargés du recrutement et se retrouvant dans un bar, 800 € au minimum de voyage pour moi. Plus d'une semaine de travail à temps plein pour répondre à l'offre et me rendre au bar, plus toutes mes compétences gâchées qui ne seront pas exploitées alors qu'elles ont pourtant une valeur économique indéniable. Additionnez les aides sociales que je vais devoir réclamer pour survivre et vous aurez une sacrée ardoise: "un pognon de dingue".

 L'Etat a investi pour que je poursuive des études supérieures et que j’acquière des compétences. Je n'ai même pas la possibilité de rendre cette richesse à mon pays et de jouer le match consistant à faire tourner ma patrie. Mes compétences, mes connaissances, mon savoir, mes qualités d'endurance, de persévérance, d'enthousiasme ne valent rien. Elles sont niées.

 Profitez bien de votre validité, c'est la seule chose qui a une valeur en ce monde. Le reste, non conforme est bon à jeter.

 Il n'y a qu'à regarder comment les personnes âgées sont traitées en France...

 L'Etat n'ose pas organiser notre mort physique, mais planifie notre mort sociale pour faire de la place à ceux, conformes, qui rentrent dans le moule.

 Pour masquer ce système, qui vient encore de nous broyer, notamment en réduisant quasiment à néant l'accessibilité des logements neufs et en supprimant la prime d'activité, il y a bien quelques handicapés triés sur le volet que le système met dans la vitrine pour faire croire que tout va bien pour tous.

Je ne suis ni sportive handisport, ni atteinte d'une maladie génétique admise au Téléthon, ma voix ne porte pas, je n'existe pas, pourtant je veux simplement vivre.

 Albert Jacquard dit "on ne sélectionne pas les plus compétents, on sélectionne les plus conformes et ça c'est dangereux".

Comme l'a dit une victime d'un attentat parisien " vous n'aurez pas ma haine ".

Vous ne porterez pas atteinte à ma lucidité.

 Je suis supra diplômée, expérimentée, mais handicapée.

 Tant pis pour moi.

 Tant mieux pour les autres bien calés en haut de l'Escalier.

Chui Notbodi

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