Chemin du 19 février 2023
Aubrac

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Au coeur glacé de l’hiver, il existe dans la France du milieu, une terre haute, presque désertique, qui vous tire des larmes de froid et de saisissement. Cette altitude sauvage et insoupçonnée se gagne depuis les vallées encaissées du Lot, de la Truyère et de la Colagne. Au terme de longues routes en lacets, vous débarquez sans prévenir sur un cosmos, une lune, un monde de cratères et de clarté, authentique univers sidéral, immuable, ancestral.
C’est l’Aubrac.

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Sous la froidure et dans la griffure des bourrasques, ce plateau enneigé touche aux nuages. Les tourbières et les lacs gelés se confondent avec le ciel. Les vieux petits ponts bossus mènent à un purgatoire de prairies blanchies. Quelques résineux lointains se dressent comme des pénitents transis. Des fermes rares et larges sont posées sur ce monopoly de landes et de clôtures.

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L’Aubrac est un autel immense et lisse, couronné de croix, parsemé de rochers ronds, strié de murets ras. Ce vaste pays âpre, ingrat, mais solennel et grandiose, s’impose comme une apparition, comme un éblouissement. Il réveille en nous des terreurs et des sérénités enfouies, suggère la peur et le bonheur, crie au loup, à la bête du Gévaudan, et dans le même temps caresse l’agneau, charme la bergère, attire le pèlerin.

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Pour qui, depuis l’enfance, aime remplir la page blanche, un aller-retour sur cette planète engourdie est une aubaine saisonnière. Un encouragement à la prose. Une exhortation au lyrisme. Chaque hiver une montée vers Laguiole ou Nasbinals fouette les mots, renforce le caractère, alimente la chronique.

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L’espace frigorifié de l’Aubrac s’offre comme un cahier d'écolier grand format et grands carreaux, ceux des champs enclos, que l’on ouvre en décembre, que l’on ferme en mars : une envie d’écriture infinie, une madeleine hivernale trempée au lait chaud des bêtes invisibles, un besoin d’histoires anciennes à extraire des marais verglacés, un voeu annuel de contemplation, de béatitude, une fringale de l’esprit mais aussi, oui, je l’avoue, le soir tombant, un formidable appétit d’aligot saucisse, de gâteau-soleil et de rigolades franches au fort vin rouge de Marcillac-Vallon, tout cela dégusté, apprécié, devant la flamme, sous les lauzes d’un buron perdu.
La vie quoi !
Vous avez mieux ? Dites-le moi !

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Parce que là-haut, non seulement il est question de vérité, de beauté, de majesté, de religiosité, mais pareillement de gastronomie, de charcuterie, de sucrerie, d’oenologie. En somme, un mouvement de l’âme doublé d’une ferveur stomacale, ce qui pourrait nous ramener aux heures poétiques et pantagruéliques de Pierre et François, de Ronsard et Rabelais.
D’ailleurs, si vous échouez en pleine semaine, un jour de burle et de congélateur, au pied du roc de Marchastel, ou dans les rues étranglées de Saint-Urcize, sans y voir la trogne d’un quidam ou la queue d’un bestiau, vous serez sans peine plongé dans les siècles passés, entre murs de pierres et clochers à peigne, granit et basalte, gargouilles et anges pétrifiés.

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Il vous restera le soin de dénicher à l’heure du chien et du loup un troquet cachottier, un hôtel un peu planqué, une auberge isolée, pour retrouver chaleur rustique et pitance roborative.
L’Aubrac ? Un ouvrage de vie à tenir, roman de solitude et de plénitude à écrire, feuillets de cristal, chapitres d’oxygène, paragraphes d’ivresse, et légendes à perpétuer.
Comme un immense soupir dans les suffocations du moment.

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