Quatre grandes options sont susceptibles d’être discutées dans le cadre du débat parlementaire sur la loi de bioéthique qui va reprendre en juillet : n°1, la solution très conservatrice choisie par le Sénat ; n°2, la filiation par "reconnaissance conjointe anticipée" (RCA) inscrite dans l'acte de naissance des enfants nés d'une assistance médicale à la procréation (AMP) avec don de gamète ou d'embryon demandée en France ; n°3, la RCA limitée aux couples de femmes ; n°4, l'extension aux femmes non gestatrices des mécanismes de reconnaissance et de présomption de parenté aujourd’hui réservés aux hommes.
Les deux premières options a priori écartées
L'option n°1, très conservatrice, n’est pas en ligne avec l’idéologie de la majorité gouvernementale. Le texte voté en première lecture au Sénat et transmis à l’Assemblée nationale dans le cadre de la navette parlementaire n’est donc pas celui qui y sera prochainement examiné en deuxième lecture.
L'option n°2 devrait être à nouveau écartée, comme elle l'avait été lors de la préparation du projet de loi en 2019. En effet, elle créerait un nouveau mode d'établissement de la filiation applicable aussi aux couples hétérosexués demandant en France une AMP nécessitant un don de gamète ou d'embryon. Le seul fait de recourir ou non au don (en France tout au moins) conduirait donc à établir la filiation différemment au sein des familles hétéroparentales, avec traçage de cette différence dans l’acte de naissance des enfants, ce que le gouvernement ne souhaite pas.
Ajoutons que face à la mise en évidence de la fragilité des arguments qui ont été avancés pour soutenir cette option, sa principale promotrice n'a apporté aucune réponse. Au contraire, elle a admis en passant l’inanité de l’un deux en disant ne pas croire un instant que cela obligerait les couples hétérosexués à révéler à leur enfant les modalités de sa conception[1]. C'est embêtant, car c'est principalement à ce titre que cette option a été soutenue par les personnes ou associations qui souhaiteraient garantir aux enfants nés d'un don d’une part qu’ils en seront informés par leurs parents, et d’autre part qu’ils auront accès à l'identité de leur(s) géniteur(s).
En réalité, cette option ne leur garantirait rien du tout. Par ailleurs, rappelons que la communication d'informations sur les géniteurs aux personnes nées de dons peut très bien être organisée sans prévoir d'inscription particulière dans leur acte de naissance, comme cela se pratique dans d'autres pays. La question de « l’accès aux origines » peut et doit être traitée indépendamment de celle de la filiation.
L’option n°3, un bricolage du gouvernement que personne ne soutient
Conçue sur la base de l’option n°2, l'option n°3 n’en est qu’une version dégradée qui lui a été préférée parce qu'elle laissait inchangées et uniformes les modalités d’établissement de la filiation des pères non adoptifs. Défendue par de mauvais arguments, cette option a les principaux défauts de l’option n°2 avec une surcouche de discrimination fondée sur le sexe. Pire encore, elle aboutit de manière absurde à réserver aux couples de femmes un dispositif principalement soutenu au titre de son application aux couples parentaux hétérosexués. De fait, cette solution n'est demandée par personne : aucune association, aucune personnalité ni aucun∙e chercheur∙e spécialiste de ces questions n'a jamais publié de texte pour la défendre.
L’option n°4 semble donc logiquement devoir s’imposer. Hélas, pour tenter de sauver l'alternative pour laquelle elle milite depuis des années, Irène Théry vient encore une fois de critiquer cette option sur sa page Facebook en avançant deux arguments à mon sens fallacieux.
Un choix guidé par l’attachement au modèle du « ni vu ni connu » ?
Selon elle, les partisans de cette option « restent attachés au modèle Ni vu ni connu […] élaboré par la biomédecine en 1994 ». Or, pour la plupart de ces partisans dont je fais partie, il s’agit au contraire d’acter que le titre VII du livre Ier du code civil ne régit pas la « filiation charnelle », comme Irène Théry le martèle, mais diverses configurations familiales qui ont en commun de ne pas avoir à passer par un jugement d’adoption. En appliquant le droit commun de la filiation du titre VII y compris aux enfants issus d’un don, on ne cherche ainsi aucunement à faire croire qu’ils ont été procréés charnellement afin que le recours au don ne soit « ni vu ni connu » : on veut tout simplement les traiter comme les autres, plutôt que d'établir une distinction entre les filiations selon certaines modalités pratiques de la conception.
Une modalité d’établissement de la filiation spécifique aux mères sociales ?
Par ailleurs, Irène Théry argue que sous couvert d’extension du droit commun, cette option créerait en réalité « une modalité d’établissement de la filiation spécifique aux mères sociales » car elles seules devraient présenter à l’officier d’état civil la preuve de leur consentement au don.
Comme cela a été expliqué sous son post par une juriste qui défend l’option n°4 avec cette variante, c'est inexact, car la preuve du consentement au don ne serait mentionnée nulle part sur l'acte de naissance. Cette explication ayant été supprimée par Irène Théry, elle sera au moins disponible ici.
Je rappelle en outre que cette variante n’est pas la seule possible. Pour ma part, j’estime qu’il ne devrait pas être nécessaire pour une femme souhaitant reconnaître l’enfant d’une autre de présenter une preuve de sa participation au projet parental ayant permis sa conception, pas plus que cela n’est demandé à un homme. Je ne connais aucune bonne raison justifiant une telle différence de traitement selon le sexe.
Quoi qu'il en soit du choix entre ces variantes, le cadre général de l'option n°4 est à la fois le plus simple et le plus respectueux du principe d’égalité devant la loi. Cette option est à mon sens également la plus cohérente et la mieux fondée de toutes celles qui ont été défendues publiquement, et elle est soutenue notamment par la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, le syndicat de la magistrature, ainsi que le Collectif PMA qui rassemble des associations de personnes concernées aussi variées que le Planning familial, l’APGL, Mam’enSolo, Origines et d'autres. Il est encore temps de la choisir.
[1] Extrait d’un commentaire public d'Irène Théry le 15 juin 2020 sous le post Facebook dans lequel j'ai relayé mon billet du 11 juin : « Quant à moi, je sais bien que le fait qu'une modalité de filiation soit inscrite à l'état civil n'est aucunement ce qui "oblige" les parents à quoi que ce soit. La preuve, ce sont les décennies où de nombreux parents ont caché à l'enfant une adoption qui figurait bel et bien sur son état civil intégral. » (www.facebook.com/OdileFillod/posts/2810939569034341?comment_id=2815684175226547&reply_comment_id=2820990038029294)