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Billet de blog 20 mars 2023

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Les faits et les opinions.

Une bonne manière d'avoir toujours raison, à laquelle n'a pas pensé Schopenhauer, il me semble, est de dire à son contradicteur de manière, disons, positive, «je ne suis pas comme vous». Ce qui implique, «vous n'êtes pas comme moi». Et puisque nous ne sommes pas “l'un comme l'autre”, ce que dit le contradicteur est “incompréhensible” pour celui qui émet cette proposition.

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L'idée de ce billet m'est venue après une discussion toute récente (moins d'une demi-heure en ce lundi 20 mars 2023, jour du printemps, à 8h40, avec mon kiné. J'essayais, maladroitement peut-être, inutilement à coup sûr, de lui expliquer que nous ne sommes pas en démocratie. Très sympa mon kiné, et pas bête du tout, et pourtant il me sort cette sentence: «Je n'ai pas votre intelligence». Je sais que c'est faux, lui aussi peut-être, mais ce second point n'importe pas, qu'il ait été sincère ou insincère, cette phrase avait la même signification: nous ne pouvons pas nous comprendre. Comme “être intelligent” est censément une vertu, formellement ça me haussait et ça l'abaissait, factuellement ça revenait au même, “nous ne sommes pas au même niveau”. Dans mon pays (et dans presque tous les pays) faire preuve d'intelligence, d'une “haute” intelligence, n'est pas une vertu mais une faute, du moins quand on en fait la démonstration, on “écrase les autres (les “non intelligents”)de son intelligence”, et dans mon pays comme dans presque tous les pays faire la démonstration de sa supériorité est toujours une faute.

Pourquoi vouloir ainsi “me mettre en faute”? Parce que je heurtais profondément une de ses croyances, l'idée que nous vivons en démocratie. Certes, une “démocratie imparfaite” et par ces temps, “menacée” – il ne peut méconnaître au quotidien ou en des circonstances moins ordinaires qu'il y a eu au cours des six ou sept derniers lustres une réduction forte de nos libertés publiques et privées, en tout premier celle de circuler, d'abord entre les États puis, pour les citoyens de ceux-ci, à l'intérieur des États, et comme il associe en tout premier la démocratie à la liberté et aux libertés, il ne peut manquer de noter un “manque de démocratie” dans son pays et toutes les “démocraties libérales”, puisque ce “manque de liberté” a lieu un peu partout en ce moment –, mais une démocratie. Je sais pourquoi il a souhaité “me mettre en faute”: je venais tout juste de mettre à l'épreuve un argument qui lui semblait imparable, ma proposition «nous ne sommes pas en démocratie» serait du domaine de l'opinion. Bien sûr, pour lui la proposition «nous sommes en démocratie» n'était pas de cet ordre mais ça n'est pas mon genre d'opposer à une contestation la contestation symétrique, ça ne sert à rien, lui dire, «votre supposition est autant une opinion que ma supposition» aurait immanquablement amené «c'est votre opinion». Je lui dis donc, «Ce n'est pas une opinion c'est un fait». Je ne me rappelle plus les termes exacts de l'échange qui a suivi mais quand je lui ai demandé s'il savait faire la différence entre un fait et une opinion il en est venu à dire que non, qu'il ne savait pas. Ce qui en soi ruinait son argument: s'il ne sait pas faire la différence, comment sait-il que mon affirmation est de l'ordre l'opinion ou du fait? Là non plus je n'ai pas mentionné ce point parce que mon but n'était pas d'avoir raison, ce qui est facile (je renvoie à  L’Art d’avoir toujours raison d'Arthur Schopenhauer pour savoir comment y parvenir même quand on a complètement tort) ni de persuader (d'amener par de mauvais arguments mon contradicteur à se ranger à mon avis) mais de convaincre, c'est-à-dire de l'amener à reconsidérer ses suppositions par sa propre réflexion. Très difficile, spécialement dans des domaines qu'on a l'habitude de considérer évidents.

Je suis parti de sa propre proposition, celle selon laquelle «Nous ne sommes pas en démocratie» est une opinion. Comme dit, implicitement à ce moment, explicitement auparavant, il affirmait comme un fait, une évidence, que nous sommes en démocratie. Une telle affirmation soulève alors cette question, et ce fut la mienne: vous savez faire la différence entre une opinion et un fait? La logique voudrait que sa réponse soit oui, comme dit ce fut non. Là c'était confortable car il est impossible qu'une personne vous assène que ce que vous dites est une opinion sans qu'elle suppose savoir différencier un fait et une opinion. Pour mon compte je ne sais pas. Plus exactement, je reçois tout discours comme une opinion car tout discours est une opinion. C'est entre les opinions que je sais faire des différences. Pour être clair: un fait est un fait et se passe de toute opinion quant à sa validité, en revanche affirmer la validité d'un fait est autant une opinion qu'affirmer son invalidité. La différence se situe là: il est des opinions basées sur des faits, des opinions démontrables, et des opinions basées sur des croyances, des opinions indémontrables. Comme le disait mon kiné, il n'a pas mon intelligence, ce qui est strictement exact, il n'a pas le même type d'intelligence que moi, je suis du genre qui ne se laisse pas facilement piéger par les mots, même si son assertion visait à exprimer cela en “niveau”, ce qui est hors de ma conception dans ce domaine, le fait est que lui et moi ne réfléchissons pas et ne nous exprimons pas de la même manière, donc je n'ai pas essayé de lui expliquer la distinction entre opinion factuelle et opinion dogmatique, d'où ma question sur la distinction entre ”faits” (les opinions factuelles) et “opinions” (les opinions dogmatiques). En y repensant j'aurais du comprendre, quand il m'a dit que non, je ne sais pas faire la différence, que ce n'était pas la peine de poursuivre la discussion: quelqu'un vient de vous dire que vous exprimez une opinion et juste après déclare ne pas savoir distinguer un fait d'une opinion. Ça et l'assertion «Je n'ai pas votre intelligence» auraient dû me le faire comprendre, il ne voulait pas poursuivre cette conversation, il ne souhaitait en aucun cas que je lui démontre que mon opinion était plus valide que la sienne.

J'aurais dû le comprendre mais dans les discussions je suis tenace, donc j'ai poursuivi pour lui démontrer que si, il sait faire la différence. Je lui dis: selon vous, affirmer que la Lune est une boule de fromage est un fait ou une opinion? C'est une opinion. Selon vous, affirmer que la Lune est une sphère essentiellement composée de roche et comportant très peu de métaux, c'est un fait ou une opinion? Un fait. Après c'est parti en eau de boudin, il était tellement inquiet de voir ses convictions sur ce qu'est la démocratie remises en cause qu'il en vint à dire, quand je lui ai causé des États Généraux transformés en Assemblée constituante en 1789, que c'était une opinion et non un fait. Là dessus il a décidé d'arrêter illico la séance de kiné en cours, tellement il était désemparé, et tellement j'étais énervé. Sage décision, car je ne me serais pas calmé, donc on n'aurait pas pu aller plus loin: je fais de la rééducation donc il me faut écouter ses conseils, et là je n'y arrivais pas...

C'est ainsi, pour les discussions complexes mieux vaut ne pas avoir autre chose à faire que de discuter, et d'en avoir le temps...

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