Dans un billet en cours de rédaction intitulé «Pourquoi les sociétés ne résolvent pas leurs problèmes par la raison», où je fais référence à ce billet-ci j,'écrivais il y a quelques minutes cet alinéa:
«Ah zut! C'est dans un autre billet en cours de rédaction, intitulé «L'être humain social: un observ-acteur». Je suppose que je ne vais pas en poursuivre la rédaction, du coup je le relis vite fait, si je l'estime publiable en l'état je le publie tel que, sinon j'ajoute quelques phrases pour expliquer pourquoi je publie un machin impubliable...».
Bon ben ça y est, vous avez les quelques phrases en question, juste au-dessus. Pour précision ce dont je voulais parler est le superamas de la Vierge, plus spécialement le “Groupe local”, et la fusion “dans quelques temps” de deux de ses galaxies, dont la nôtre. Du coup je publie, en ajoutant quelques mots à la toute fin pour me justifier de cette publication “un peu” hâtive...
N'ayant pas le goût de la philosophie je préfère discuter de ce qui est attestable que de ce qui est indémontrable. Il se peut que le concept de la mécanique quantique nommé «dualité onde-corpuscule» soit, que dire? Faux? Quelque chose de ce genre. Il se peut. Reste ceci: dans les limites de nos capacités et dans les limites de notre entendement nous sommes amenés à considérer que nous ne pouvons séparer ce qui se manifeste sous l'aspect d'ondes et ce qui se manifeste sous l'aspect de corpuscules. Possible que ce soit deux réalités séparées ou séparables, reste ceci: on ne constate une onde que par ses conséquences sur un corpuscule, un corpuscule que par son apparence d'onde.
Nous autres humains participons de cet univers où l'effet et l'objet sont inséparables. En tant qu'être sociaux nous sommes inséparablement des agents et des patients, des acteurs et des observateurs; comme il n'y a pas d'effet sans objet ni d'objet sans effet, observer c'est agir, “être un effet de la réalité” mais aussi “avoir un effet sur la réalité”, agir c'est observer, “avoir un effet sur la réalité” mais aussi “être un effet de la réalité”. D'où le mot-valise de mon titre, un être social est un “observ-acteur”, car il n'est pas d'action sans observation ni d'observation sans action. Je vis dans un univers d'apparence non causale, un univers stochastique, c'est-à-dire (acception B.1), un univers où tout phénomène «relève du domaine de l'aléatoire, du calcul des probabilités», où toute circonstance, tout événement sont un «processus dans lequel à une variable x (déterminée ou aléatoire) correspond au moins une variable simplement probable». Localement et brièvement un enchaînement de processus peut avoir des caractéristiques “causales” mais dès qu'on étend le champ d'observation dans l'espace et le temps où qu'on affine la perception, la “granularité“, cette causalité disparaît et les circonstances deviennent de moins en moins prévisible ou prédictibles.
Les entités du vivant sont toutes des “observ-acteurs”, agissant elles observent à la fois leur propre action et les modifications de leur milieu et de leur environnement, en partie provoquées par leur action; observant elles interagissent avec leur milieu, leur environnement, donc induisent une action (vue depuis elles, une “rétroaction”) qui, si peu que ce soit, le modifie. L'évolution de ces “actions d'observations” est aussi peu causale que celle de toute autre, possiblement elle sera de nul effet perceptible, possiblement elle aura d'importants effets non prévus. Le fameux concept du très mal nommé – et le plus souvent très mal compris – «effet papillon». Ce nom vient du titre d'une conférence (dû à un “communicant” et non à l'auteur de la conférence) intitulée «Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas?». Or l'auteur ne répond pas ce qui se dit couramment dans les médias, il ne répond pas oui, il répond: c'est impossible à dire. Possible que oui, possible que non. Trop d'aléas pour pouvoir faire une prédiction de cet ordre, l'univers est stochastique et passé une certaine échelle tout processus devient imprédictible dans ses effets, indescriptible quant à ses causes, à l'ensemble de ses causes.
Aucun événement n'est réellement prédictible car quoi que l'on anticipe il peut advenir des incidents non prévus qui modifient suffisamment le contexte pour que l'événement se réalise autrement qu'anticipé, en revanche certains processus sont suffisamment prévisibles pour que, restant dans une certaine “limite de tolérance” on puisse les considérer suffisamment conformes aux attentes. Factuellement, rares sont les processus qui “se passent comme prévu” et plus rares encore les événements, c'est-à-dire la résultante de nombreux processus, qui se passent ainsi. Prenez par exemple ce pseudo-processus que nous nommons climat: il est très peu prédictible mais, sur une durée et dans un espace restreints il est en moyenne suffisamment prévisible pour que nous le percevions comme “dans la normale” selon l'acception 2, c'est-à-dire correspondant à la «situation normale, habituelle», à la «valeur moyenne» donc, reste que quand on fait varier la granularité vers plus de finesse il y a très souvent un écart suffisamment important pour qu'on relève qu'une situation ne correspond pas à cette normale, ou au contraire vers moins de finesse, on constate que cette normale, y compris dans ses “écarts à la norme” de la granularité fine, ne vaut que pour un espace et un temps restreints et connaît circonstanciellement de très forts écarts, que l'Histoire du climat même sur une période et un espace limités (comme, dans les travaux d'Emmanuel Leroy-Ladurie et Madeleine Pupponi, “du Moyen-Âge à nos jours”, en gros le deuxième millénaire et surtout en Europe centrale et occidentale et dans certains territoires limitrophes) rend compte de variations importantes, de “petits âges” où la normale est plus haute ou plus basse en matière de températures, de pluviosité, d'écart entre les maximums et les minimums, etc., bref que même sur un ou deux millénaires, ce qui dans les temps géologiques est une durée assez brève, l'évolution du climat devient assez vite imprédictible si on se réfère à la “normale” d'une période encore plus restreinte – un demi-siècle à un siècle – et relativement prévisible.
Considérez l'époque actuelle: un objet social très présent est le “changement climatique”. Bon mais, quoi de plus, et bien, de plus “normal” que ce genre de phénomènes? On peut prendre les données de n'importe quelle période de trois siècles à n'importe quel époque pour constater que, soit pour des raisons d'évolution globale des conditions, soit par cause accidentelle, soit par la combinaison des deux, on a des changements de ce type sur des durées plus ou moins importantes (une année à plusieurs décennies), et n'importe quelle période d'un millénaire ou plus pour que l'on observe des variations longues de refroidissement ou de réchauffement moyen, avec donc des périodes moins longues qui accentuent ces variations où au contraire vont dans l'autre sens. Le problème actuel n'est donc pas proprement le changement climatique avec son effet le plus notable, l'élévation moyenne des températures, mais l'inadaptation de notre société globale actuelle à ce changement. La tendance des médias et des institutions politiques est de présenter cette question en tant que “problème scientifique”, ce qui impliquerait une “solution scientifique”, or ce n'est pas un problème de cet ordre mais plus simplement un fait scientifique. La science a ses problèmes, et parfois ses solutions, mais pour la science le changement climatique n'en fait pas partie sinon de manière secondaire, un changement de contexte oblige parfois les chercheurs à devoir adapter leurs moyens tant pour l'observation que pour l'action, reste que pour la science, pour les sciences, ce changement climatique ne constitue pas un problème d'ordre scientifique. Considérez par exemple le fameux “GIEC”, en charge depuis presque trente-cinq ans, en cette année 2022 finissante, à la fois de l'étude de ce “changement climatique” et des solutions à y apporter. Les médias et les politiques tendent à le présenter comme un “organisme scientifique”, ce qu'il n'est pas: comme son nom l'indique, le «Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat» est un organisme politique, car si le changement climatique est un fait scientifique, c'est un problème politique. Certes beaucoup de scientifiques (climatologues, géologues, géophysiciens, physiciens, démographes, sociologues, etc.) participent au GIEC à la fois pour étudier le fait, ses conséquences et ses possibles évolutions, et proposer des modalités d'action pour en corriger les effets sur la société, sur la biosphère et avant tout, sur les humains, mais les seules solutions possibles à un problème politique sont des solutions politiques.
Pour les scientifiques de divers domaines les changements climatiques sont des objets d'étude et concernent donc diverses sciences, entre autres la géologie, la géophysique, l'écologie, la biologie, l'anthropologie, la paléo-anthropologie, etc. Surtout, c'est une question déjà ancienne, elle a émergé dès les débuts de la science moderne, c'est-à-dire dès le XVII° siècle, et plus nettement au tournant des XVIII° et XIX° siècles, quand émergea une science nouvelle, l'écologie. Ces types de changements sont inséparables des autres évolutions concernant le vivant, la biosphère, et qui forment une boucle de rétroaction. Je renvoie vers la page de Wikipédia qui mentionne cette expression telle qu'utilisée en économie mais presque tout ce qui constitue les concepts de cette pseudo-science est métaphorique et reprend des notions élaborées par des vraies sciences, tant exactes qu'humaines et sociales. Comme l'indique le début de la définition, «les boucles de rétroaction appartiennent originellement aux sciences dures. Elles permettent de désigner des situations d'influence mutuelle qui permettent de stabiliser un système». La notion appartient aux sciences vraies, qu'elles soient dures, molles ou de toute autre consistance. Disons, c'est une notion qui s'appuie sur une des branches de la mécanique, la thermodynamique, et qui vaut pour toute science étudiant des systèmes isolés et des systèmes fermés. Je ne sais pas si l'écologie ou la sociologie sont molles, dures ou d'autre consistance mais en revanche elles étudient des systèmes de ce type, et elles le font de manière scientifique, contrairement à l'économie. Les “systèmes économiques” étant nécessairement ouvertes, l'idée qu'il puisse y avoir dans de tels systèmes de boucles de rétroaction est invraisemblable, ce qui montre à quel point l'économie est loin des critères de scientificité quand elle use de concepts inadaptés à son objet d'étude, ce qui lui arrive très souvent. Passons...
J'ai songé à la séquence “boucle de rétroaction” parce que c'est un lieu commun de toutes les sciences étudiant les systèmes fermés, ceux donc où ont lieu des phénomènes de rétroaction:
«La rétroaction (en anglais feedback) est un processus dans lequel un effet intervient aussi comme agent causal sur sa propre origine, la séquence des expressions de la cause principale et des effets successifs formant une boucle de rétroaction».
La notion est donc bien plus large que cette restriction posée dans l'article sur le concept “en économie”, une notion des sciences supposément “dures” – en fait, celles exactes, qui ne sont ni dures ni molles mais travaillent sur des objets prévisibles, contrairement aux sciences pondérales qui travaillent sur des objets statistiques mesurables, et humaines et sociales qui travaillent sur des objets statistiques évaluables mais pas aussi mesurables, les objets de ces sciences “inexactes” étant nettement moins prévisibles. Voici quelques propositions d'un auteur que j'apprécie fort, Gregory Bateson, sur ces questions de rétroaction et de systèmes fermés:
«A l'ancienne question de savoir si l'esprit est immanent ou transcendant, nous pouvons désormais répondre avec une certitude considérable en faveur de l'immanence, et cela puisque cette réponse économise plus d'entités explicatives que ne le ferait l'hypothèse de la transcendance: elle a, tout au moins, en sa faveur, le support négatif du “Rasoir d'Occam”
Pour ce qui est des arguments positifs, nous pouvons affirmer que tout système fondé d'événements et d'objets qui dispose d'une complexité de circuits causaux et d'une énergie relationnelle adéquate présente à coup sûr des caractéristiques “mentales”. Il compare, c'est-à-dire qu'il est sensible et qu'il répond aux différences (ce qui s'ajoute au fait qu'il est affecté par les causes physiques ordinaires telles que l'impulsion et la force). Un tel système “traitera l'information” et sera inévitablement autocorrecteur, soit dans le sens d'un optimum homéostatique, soit dans celui de la maximisation de certaines variables.
Une unité d'information peut se définir comme une différence qui produit une autre différence. Une telle différence qui se déplace et subit des modifications successives dans un circuit constitue une idée élémentaire.
Mais ce qui, dans ce contexte, est encore plus révélateur, c'est qu'aucune partie de ce système intérieurement (inter)actif ne peut exercer un contrôle unilatéral sur le reste ou sur toute autre partie du système. Les caractéristiques “mentales” sont inhérentes ou immanentes à l'ensemble considéré comme totalité.
Cet aspect holistique est évident même dans des systèmes autocorrecteurs très simples. Dans la machine à vapeur à “régulateur”, le terme même de régulateur est une appellation impropre, si l'on entend par là que cette partie du système exerce un contrôle unilatéral. Le régulateur est essentiellement un organe sensible (ou un transducteur) qui modifie la différence entre la vitesse réelle à laquelle tourne le moteur et une certaine vitesse idéale ou, du moins, préférable. L'organe sensible convertit cette différence en plusieurs différences d'un message efférent: par exemple, l'arrivée du combustible ou le freinage. Autrement dit, le comportement du régulateur est déterminé par le comportement des autres parties du système et indirectement par son propre comportement à un moment antérieur.
Le caractère holistique et mental du système est le mieux illustré par ce dernier fait, à savoir que le comportement du régulateur (et de toutes les parties du circuit causal) est partiellement déterminé par son propre comportement antérieur. Le matériel du message (les transformations successives de la différence) doit faire le tour complet du circuit: le temps nécessaire pour qu'il revienne à son point de départ est une caractéristique fondamentale de l'ensemble du système. Le comportement du régulateur (ou de toute autre partie du circuit) est donc, dans une certaine mesure, déterminé non seulement par son passé immédiat, mais par ce qu'il était à un moment donné du passé, moment séparé du présent par l'intervalle nécessaire au message pour parcourir un circuit complet. Il existe donc une certaine mémoire déterminative, même dans le plus simple des circuits cybernétiques.
La stabilité du système (lorsqu'il fonctionne de façon autocorrective, ou lorsqu'il oscille ou s'accélère) dépend de la relation entre le produit opératoire de toutes les transformations de différences, le long du circuit, et de ce temps caractéristique. Le régulateur n'exerce aucun contrôle sur ces facteurs. Même un régulateur humain, dans un système social, est soumis à ces limites: il est contrôlé à travers l'information fournie par le système et doit adapter ses propres actions à la caractéristique de temps et aux effets de sa propre action antérieure.
Ainsi, dans aucun système qui fait preuve de caractéristiques “mentales”, n'est donc possible qu'une de ses parties exerce un contrôle unilatéral sur l'ensemble. Autrement dit: les caractéristiques “mentales” du système sont immanentes, non à quelque partie, mais au système entier.
La signification de cette conclusion apparaît lors des questions du type: “Un ordinateur peut-il penser?”, ou encore: “L'esprit se trouve-t-il dans le cerveau?” La réponse sera négative, à moins que la question ne soit centrée sur l'une des quelques caractéristiques “mentales” contenues dans l'ordinateur ou dans le cerveau. L'ordinateur est autocorrecteur en ce qui concerne certaines de ses variables internes: il peut, par exemple, contenir des thermomètres ou d'autres organes sensibles qui sont affectés par sa température de travail; la réponse de l'organe sensible à ces différences peut, par exemple, se répercuter sur celle d'un ventilateur qui, à son tour, modifiera la température. Nous pouvons donc dire que le système fait preuve de caractéristiques “mentales” pour ce qui est de sa température interne. Mais il serait incorrect de dire que le travail spécifique de l'ordinateur – la transformation des différences d'entrée en différences de sortie – est un “processus mental”. L'ordinateur n'est qu'un arc dans un circuit plus grand, qui comprend toujours l'homme et l'environnement d'où proviennent les informations et sur qui se répercutent les messages efférents de l'ordinateur. On peut légitimement conclure que ce système global, ou ensemble, fait preuve de caractéristiques “mentales”. Il opère selon un processus “essai-et-erreur” et a un caractère créatif.
Nous pouvons dire, de même, que l'esprit est immanent dans ceux des circuits qui sont complets à l'intérieur du cerveau ou que l'esprit est immanent dans des circuits complets à l'intérieur du système: cerveau plus corps. Ou, finalement, que l'esprit est immanent au système plus vaste: homme plus environnement.
Si nous voulons expliquer ou comprendre l'aspect “mental” de tout événement biologique, il nous faut, en principe, tenir compte du système, à savoir du réseau des circuits fermés, dans lequel cet événement biologique est déterminé. Cependant, si nous cherchons à expliquer le comportement d'un homme ou d'un tout autre organisme, ce “système” n'aura généralement pas les mêmes limites que le “soi” – dans les différentes acceptions habituelles de ce terme.
Prenons l'exemple d'un homme qui abat un arbre avec une cognée. Chaque coup de cognée sera modifié (ou corrigé) en fonction de la forme de l'entaille laissée sur le tronc par le coup précédent. Ce processus autocorrecteur (autrement dit, mental) est déterminé par un système global: arbre-yeux-cerveau-muscles-cognée-coup-arbre; et c'est bien ce système global qui possède les caractéristiques de l'esprit immanent.
Plus exactement, nous devrions parler de (différences dans l'arbre) - (différences dans la rétine) - (différences dans le cerveau) - (différences dans les muscles) - (différences dans le mouvement de la cognée) - (différences dans l'arbre), etc. Ce qui est transmis tout au long du circuit, ce sont des conversions de différences; et, comme nous l'avons dit plus haut, une différence qui produit une autre différence est une idée, ou une unité d'information.
Mais ce n'est pas ainsi qu'un Occidental moyen considérera la séquence événementielle de l'abattage de l'arbre. Il dira plutôt: “J'abats l'arbre” et il ira même jusqu'à penser qu'il y a un agent déterminé, le “soi”, qui accomplit une action déterminée, dans un but précis, sur un objet déterminé.
C'est très correct de dire: “La boule de billard A a touché la boule de billard B et l'a envoyée dans la blouse”; et il serait peut-être bon (si tant est que nous puissions y arriver) de donner un exposé complet et rigoureux des événements qui se produisent tout le long du circuit qui comprend l'homme et l'arbre. Mais le parler courant exprime l'esprit (mind) à l'aide du pronom personnel, ce qui aboutit à un mélange de mentalisme et de physicalisme qui renferme l'esprit dans l'homme et réifie l'arbre. Finalement, l'esprit se trouve réifié lui-même car, étant donné que le “soi” agit sur la hache qui agit sur l'arbre, le “soi” lui-même doit être une “chose”. Il n'y a donc rien de plus trompeur que le parallélisme syntaxique entre: “J'ai touché la boule de billard” et: “La boule a touché une autre boule”.
Si on interroge qui que ce soit sur la localisation et les limites du “soi”, les confusions susmentionnées font tout de suite tache d'huile. Prenons un autre exemple: un aveugle avec sa canne. Où commence le “soi” de l'aveugle? Au bout de la canne? Ou bien à la poignée? Ou encore, en quelque point intermédiaire? Toutes ces questions sont absurdes, puisque la canne est tout simplement une voie, au long de laquelle sont transmises les différences transformées, de sorte que couper cette voie c'est supprimer une partie du circuit systémique qui détermine la possibilité de locomotion de l'aveugle.
De même, les organes sensoriels sont-ils des transducteurs ou des voies pour l'information, ainsi d'ailleurs que les axones, etc. Du point de vue de la théorie des systèmes, dire que ce qui se déplace dans un axone est une “impulsion” n'est qu'une métaphore trompeuse; il serait plus correct de dire que c'est une différence ou une transformation de différence. La métaphore de “l'impulsion” suggère une ligne de pensée “rigoureuse” (voire bornée), qui n'aura que trop tendance à virer vers l'absurdité de l'“énergie psychique”; ceux qui parlent de la sorte ne tiennent aucun compte du contenu informatif de la quiescence. La quiescence de l'axone diffère autant de l'activité que son activité diffère de la quiescence. Par conséquent, quiescence et activité ont des pertinences informatives égales. Le message de l'activité ne peut être accepté comme valable que si l'on peut également se fier au message de la quiescence.
Encore est-il inexact de parler de “message d'activité” et de “message de quiescence”. En effet, il ne faut jamais perdre de vue que l'information est une transformation de différences; nous ferions donc mieux d'appeler tel message “activité-non-quiescence”, et tel autre “quiescence-non-activité”» (Gregory Bateson, Vers une écologie de l'esprit, tome 1, article «La cybernétique du « soi » : une théorie de l'alcoolisme», partie «L’épistémologie de la cybernétique»).
Dans cette partie de l'article Bateson ne mentionne pas explicitement la rétroaction mais en discute (en tant que concept en sciences humaines et sociales) dans les parties suivantes. Cela dit, mentionner que «le comportement du régulateur (ou de toute autre partie du circuit) est donc, dans une certaine mesure, déterminé non seulement par son passé immédiat, mais par ce qu'il était à un moment donné du passé, moment séparé du présent par l'intervalle nécessaire au message pour parcourir un circuit complet» quand on discute d'un système fermé autocorrecteur, c'est bien parler de rétroaction. En fait, tout “action” dans un système fermé peut être vu comme “rétroaction”, la caractéristique principale d'un tel système étant que rien n'y entre et que rien n'en sort, donc tout mouvement y résulte d'une circulation d'énergie / matière entre ses parties, d'où: toute action dans le système aboutit après un temps plus ou moins long et un circuit plus ou moins complexe en une action en retour. En fait, un système biotique attend une action en retour, il agit toujours avec une intention, qui se résume en: «être payé en retour». Considérant qu'il y a toujours un problème, à terme: un système isolé, ça n'existe pas. D'où, le “mouvement perpétuel”, la circulation infinie d'un ensemble fini de matière / énergie, ça n'existe pas. Peut-être que ça existe au plan de l'univers dans son entier ou au plan des plus infimes des ses parties mais non au plan d'une de ses parties composées. Là encore c'est un constat de la thermodynamique, un fait d'ordre statistique mais qui n'a jamais été invalidé jusque-à et ne devrait pas l'être par après, le deuxième principe de la thermodynamique, ou «loi d'entropie»:
«Le deuxième principe de la thermodynamique, ou principe d'évolution des systèmes, affirme la dégradation de l'énergie : l'énergie d'un système passe nécessairement et spontanément de formes concentrées et potentielles à des formes diffuses et cinétiques (frottement, chaleur, etc.). Il introduit ainsi la notion d'irréversibilité d'une transformation et la notion d'entropie. Il affirme que l'entropie d'un système isolé augmente, ou reste constante».
Les systèmes dits fermés ne sont jamais isolés, ils participent toujours de systèmes plus larges ou restreints. Sur une durée parfois très longue mais toujours finie un système fermé peut fonctionner presque parfaitement comme un système isolé, mais l'accumulation globale, en tant que sous-système d'un système plus large, ou locale, en tant que système composé lui-même de sous-systèmes, de modification irréversibles qui le désorganisent, fait qu'à un moment il cessera de fonctionner comme un système fermé. Considérez le système solaire: de notre point de vue c'est un système extrêmement stable qui a trouvé cette très grande stabilité à une époque extrêmement ancienne et qui la conservera pour une durée extrêmement longue, à cet instant de son existence comme système quasi-isolé, une durée (un peu) supérieure à celle où il se stabilisa; si on se place au plan supérieur “voie lactée”, celui-ci est globalement fermé, quasi-isolé, depuis bien plus longtemps, environ trois fois plus longtemps que le moment où le système solaire a trouvé sa stabilité, et devrait le rester bien après la fin du système solaire dans sa forme stable actuelle. Mais en tant que sous-système d'un superamas de galaxies, le superamas de la Vierge, dit aussi le «Groupe local» (plus précisément, le Groupe local de galaxies – sous-entendu “groupe de galaxies du superamas de la Vierge”, considéré “local” parce que notre galaxie, la Voie lactée, en fait partie), notre galaxie aura elle aussi une fin en tant que sous-système autonome et commencera de fusionner avec une galaxie “proche”, la galaxie d’Andromède, cela bien avant la fin prévisible du système solaire, mais une “fusion de galaxies” ça prend du temps, beaucoup de temps, et celle-ci s'achèvera (temporairement, c'est-à-dire le temps, fini, où cette nouvelle galaxie se constituera en système quasi-isolé) bien après la fin de notre système “super-local”, le système solaire.
Pour nous comme individus, comme espèce historique, et même comme espèce biologique (soit respectivement, pour nous comme individus finis, “autonomes”, au mieux un peu plus de cent ans, comme espèce historique, au maximum dix mille ans, biologique, soixante millions d'années environ, dans un espace extrêmement restreint, quelques dizaines de mètre au-dessus et en-dessous de l'interface entre l'enveloppe gazeuse dite “atmosphère” et les masses solide et liquide qui constituent son noyau, plus récemment quelques centaines puis milliers de mètres au-dessus et en-dessous de cette interface), un système fermé comme le système solaire est donc extrêmement stable et de ce fait extrêmement prévisible dans son devenir global, conditionné principalement par la stabilité de son sous-système le plus massif, le Soleil. Plus localement encore, dans le sous-système “biotique” du sous-système “planétaire” que forme l'ensemble Terre-Lune, plus étendu que celui concernant directement la grande majorité des humains dans la grande majorité de leurs activités – ou inactivités –, la biosphère incluant une part étendue de l'atmosphère, l'ensemble des masses liquides et une part plus ou moins étendue (quelques mètres à quelques centaines de mètres) des masses solides, les humains passant l'essentiel de leur temps au niveau de l'interface entre enveloppe et noyau, “en surface”, dans ce sous-système, les évolutions de sous-système encore plus locaux, les “écosystèmes”, deviennent très rapidement imprévisibles. Pour les structures extrêmes, la biosphère et ses “composantes biotiques élémentaires”, les virus et les cellules procaryotes et eucaryotes, la prévisibilité est bien plus élevée, on peut dire de manière générale que sauf catastrophe d'origine externe au système Terre-Lune, “la vie va continuer” encore au moins autant de temps que depuis son apparition, avec très certainement des transformations multiples, avec des “hauts” (augmentation de la complexité, et du nombre d'individus) et des “bas” (réduction de la complexité et du nombre d'individus).
Dire “des hauts” et “des bas” est un point de vue partial et limité, celui des individus d'une espèce assez complexe, donc des entités du vivant pour qui la complexité est un avantage; pour les procaryotes c'est moins évident: quel que soit le niveau de complexité des espèces les plus complexes, leur situation varie peu et si les espèces complexes dépendent d'eux pour leur survie, ils ne dépendent que très partiellement d'elles pour leur préservation. À une époque pas si lointaine une lignée assez complexe, celle des dinosaures, “dominait la planète” (interprétation de la situation par une espèce complexe), et cela dura “longtemps” (interprétation par la même espèce); cette supposée domination cessa en très peu de temps, quelques dizaines, au plus quelques centaines de millénaires, les conditions nouvelles apparues à cette époque ayant alors favorisé l'expansion et la diversification d'une lignée aussi ancienne que celle des dinosaures, les “mammaliens” (actuellement représentée par les mammifères), mais qui jusque-là s'était très peu diversifiée, des “inadaptés au contexte”, du moins sur ce seul plan de la “domination”, puisque dans leur niche restreinte ils on prouvé leur adaptation en durant aussi longtemps que les dinosauriens puis en prenant rapidement, à leur tour, la position “dominante”. Les dinosaures n'ont pas disparu mais la lignée survivante, celle des oiseaux, a clairement régressé sur ce seul plan de la “domination”, de la position la plus élevée en matière de complexité.
Il y a une certaine prévisibilité dans le devenir de l'espèce humaine: elle disparaîtra. Quand? Comment? Imprédictible. Simplement, c'est un processus certain, elle disparaîtra par son évolution propre (à une époque lointaine les mammaliens et les dinosauriens appartenaient à la même lignée, l'une de ces branches a évolué d'une manière très favorable dans un certain contexte, l'autre d'une manière moins favorable, mais dans les deux cas leur “ancêtre commun” n'a pas connu le même succès évolutif; au seul plan de l'espèce, il est extrêmement vraisemblable que la notre , au mieux évoluera favorablement (toujours du point de vue des espèces complexes) pour en devenir une autre, ou le début d'une autre lignée comme dans le cas de l'ancêtre commun à tous les primates, au pire disparaîtra ou régressera. Pour le phénomène global, “la vie”, et ses pour éléments hyper-locaux, les entités élémentaires du vivant, ces changements seront presque invisibles, des modifications locales et d'amplitude restreinte dans un équilibre systémique assez stable. Pour nous humains, une toute petite modification du contexte, telle une augmentation ou diminution moyenne des températures de deux ou trois degrés, constitue un changement énorme qui peut faire la différence entre persistance et disparition de l'espèce, entre maintien et fin de sa position la plus élevée parmi les espèces complexes. Je ne suis guère “catastrophiste” donc je suppose que la fin de l'espèce ou la perte de sa position aura lieu dans un temps assez ou très long, sauf bien sûr en cas de catastrophe externe (à la biosphère) très importante et brusque, mais à coup sûr l'une ou l'autre chose, ou les deux, finiront par advenir dans quelques centaines de milliers à quelques centaines de millions d'années.
Nous humains avons tendance à ne pas nous voir comme observ-acteurs, tendance à séparer les deux aspects. Autant qu'on puisse le savoir, une tendance récente, postérieure ou à peine antérieure au début du néolithique, disons, à-peu-près contemporaine du moment où les humains sont devenus une espèce historique, une espèce “qui s'observe” et en garde la mémoire à travers les époques. Cette capacité de mémorisation qui transcende les individus et les générations de manière explicite, “consciente”, est à coup sûr bien plus ancienne, en témoignent les peintures et gravures rupestres et les sculptures paléolithiques, datant de plus de trente-cinq mille ans, les premières sépultures, encore antérieures, plus de cent mille ans, mais à partir du néolithique cette mémorisation transgénérationnelle devient consciemment “transcendante”. Une impression fausse bien sûr, comme le montre et l'explique Bateson dans la suite, «à l'ancienne question de savoir si l'esprit est immanent ou transcendant, nous pouvons désormais répondre avec une certitude considérable en faveur de l'immanence», malgré sa formulation tranchante, une manière subtile de dire: on ne peut nullement séparer “l'esprit” et “le corps”, pas plus qu'on ne peut séparer “l'énergie” et “la matière”. Et bien sûr, on ne peut séparer l'individu de son milieu, ni ce milieu de son environnement. Assurément, la question de la “limite du soi” se pose; si on y répond en supposant que le “soi” d'un humain est limité par sa peau, et la “conscience de soi”, du “soi”, limitée à “l'organe de la pensée” (depuis un peu plus de trois siècles, le cerveau dans les pays d'Europe occidentale, quoi que ça ne soit pas si tranché, avant ou/et ailleurs, dans divers organes, le cœur, le cerveau ou le foie, assez souvent, parfois aussi les pieds ou le sexe...), on peut alors aisément diviser la réalité en deux ensembles séparés, “soi” et “non soi”, et les individus en deux ensembles distincts, “esprit” et “corps”. Avec quoi est-ce que je pense? J'ai en effet tendance a supposer que c'est avec le cerveau. Mais, mon cerveau contient-il mon esprit? J'ai tendance à supposer que non. Là-dessus je converge avec les propositions de Bateson sur “l'esprit” et sur “le soi”, pas si nettement déterminés que ça. J'ai à-peu-près idée de la manière dont je “pense”, dont j'élabore une représentation de la réalité qui reste informulée. Le cerveau y contribue beaucoup, certes, mais en tant qu'organe où a lieu l'essentiel de cette élaboration, non en tant que “centre de la pensée”. Pour citer de nouveau Bateson:
«[...] Tout système fondé d'événements et d'objets qui dispose d'une complexité de circuits causaux et d'une énergie relationnelle adéquate présente à coup sûr des caractéristiques “mentales”. Il compare, c'est-à-dire qu'il est sensible et qu'il répond aux différences [...]. Un tel système “traitera l'information” et sera inévitablement autocorrecteur, soit dans le sens d'un optimum homéostatique, soit dans celui de la maximisation de certaines variables.
Une unité d'information peut se définir comme une différence qui produit une autre différence. Une telle différence qui se déplace et subit des modifications successives dans un circuit constitue une idée élémentaire.
Mais ce qui, dans ce contexte, est encore plus révélateur, c'est qu'aucune partie de ce système intérieurement (inter)actif ne peut exercer un contrôle unilatéral sur le reste ou sur toute autre partie du système. Les caractéristiques “mentales” sont inhérentes ou immanentes à l'ensemble considéré comme totalité.
Cet aspect holistique est évident même dans des systèmes autocorrecteurs très simples. Dans la machine à vapeur à “régulateur” [...]. Le régulateur est essentiellement un organe sensible (ou un transducteur) qui modifie la différence entre la vitesse réelle à laquelle tourne le moteur et une certaine vitesse idéale ou, du moins, préférable [...]. Le comportement du régulateur est déterminé par le comportement des autres parties du système et indirectement par son propre comportement à un moment antérieur.
Le caractère holistique et mental du système est le mieux illustré par ce dernier fait, à savoir que le comportement du régulateur (et de toutes les parties du circuit causal) est partiellement déterminé par son propre comportement antérieur [...]. Il existe donc une certaine mémoire déterminative, même dans le plus simple des circuits cybernétiques.
La stabilité du système [...] dépend de la relation entre le produit opératoire de toutes les transformations de différences, le long du circuit, et de ce temps caractéristique. Le régulateur n'exerce aucun contrôle sur ces facteurs. Même un régulateur humain, dans un système social, est soumis à ces limites: il est contrôlé à travers l'information fournie par le système et doit adapter ses propres actions à la caractéristique de temps et aux effets de sa propre action antérieure.
Ainsi, dans aucun système qui fait preuve de caractéristiques “mentales”, n'est donc possible qu'une de ses parties exerce un contrôle unilatéral sur l'ensemble. Autrement dit: les caractéristiques “mentales” du système sont immanentes, non à quelque partie, mais au système entier.
La signification de cette conclusion apparaît lors des questions du type: “Un ordinateur peut-il penser?”, ou encore: “L'esprit se trouve-t-il dans le cerveau?” La réponse sera négative, à moins que la question ne soit centrée sur l'une des quelques caractéristiques “mentales” contenues dans l'ordinateur ou dans le cerveau [...]. L'ordinateur n'est qu'un arc dans un circuit plus grand, qui comprend toujours l'homme et l'environnement d'où proviennent les informations et sur qui se répercutent les messages efférents de l'ordinateur. On peut légitimement conclure que ce système global, ou ensemble, fait preuve de caractéristiques “mentales”. Il opère selon un processus “essai-et-erreur” et a un caractère créatif.
Nous pouvons dire, de même, que l'esprit est immanent dans ceux des circuits qui sont complets à l'intérieur du cerveau ou que l'esprit est immanent dans des circuits complets à l'intérieur du système: cerveau plus corps. Ou, finalement, que l'esprit est immanent au système plus vaste: homme plus environnement [...].
Si on interroge qui que ce soit sur la localisation et les limites du “soi”, les confusions susmentionnées font tout de suite tache d'huile. Prenons un autre exemple: un aveugle avec sa canne. Où commence le “soi” de l'aveugle? Au bout de la canne? Ou bien à la poignée? Ou encore, en quelque point intermédiaire? Toutes ces questions sont absurdes, puisque la canne est tout simplement une voie, au long de laquelle sont transmises les différences transformées, de sorte que couper cette voie c'est supprimer une partie du circuit systémique qui détermine la possibilité de locomotion de l'aveugle.
De même, les organes sensoriels sont-ils des transducteurs ou des voies pour l'information, ainsi d'ailleurs que les axones, etc. Du point de vue de la théorie des systèmes, dire que ce qui se déplace dans un axone est une “impulsion” n'est qu'une métaphore trompeuse; il serait plus correct de dire que c'est une différence ou une transformation de différence [...]. La quiescence de l'axone diffère autant de l'activité que son activité diffère de la quiescence. Par conséquent, quiescence et activité ont des pertinences informatives égales. Le message de l'activité ne peut être accepté comme valable que si l'on peut également se fier au message de la quiescence.
Encore est-il inexact de parler de “message d'activité” et de “message de quiescence”. En effet, il ne faut jamais perdre de vue que l'information est une transformation de différences; nous ferions donc mieux d'appeler tel message “activité-non-quiescence”, et tel autre “quiescence-non-activité”».
Les mises en exergue en gras mais non en italique sont de Ma Pomme. Donc:
«Une unité d'information peut se définir comme une différence qui produit une autre différence. Une telle différence qui se déplace et subit des modifications successives dans un circuit constitue une idée élémentaire.
Aucune partie de ce système intérieurement (inter)actif ne peut exercer un contrôle unilatéral sur le reste ou sur toute autre partie du système.
Le caractère holistique et mental du système est le mieux illustré par ce dernier fait, le comportement du régulateur (et de toutes les parties du circuit causal) est partiellement déterminé par son propre comportement antérieur.
Le régulateur n'exerce aucun contrôle sur ces facteurs. Même un régulateur humain, dans un système social, est soumis à ces limites: il est contrôlé à travers l'information fournie par le système et doit adapter ses propres actions à la caractéristique de temps et aux effets de sa propre action antérieure.
Dans aucun système qui fait preuve de caractéristiques “mentales”, n'est donc possible qu'une de ses parties exerce un contrôle unilatéral sur l'ensemble. Autrement dit: les caractéristiques “mentales” du système sont immanentes, non à quelque partie, mais au système entier.
Nous pouvons dire que l'esprit est immanent dans ceux des circuits qui sont complets à l'intérieur du cerveau ou que l'esprit est immanent dans des circuits complets à l'intérieur du système: cerveau plus corps. Ou, finalement, que l'esprit est immanent au système plus vaste: homme plus environnement.
Du point de vue de la théorie des systèmes, dire que ce qui se déplace dans un axone est une “impulsion” n'est qu'une métaphore trompeuse. La quiescence de l'axone diffère autant de l'activité que son activité diffère de la quiescence. Quiescence et activité ont des pertinences informatives égales.
Il ne faut jamais perdre de vue que l'information est une transformation de différences; nous ferions donc mieux d'appeler tel message “activité-non-quiescence”, et tel autre “quiescence-non-activité”».
Chacun retient d'un discours ce qui fait écho à, disons, sa propre pensée, à son propre rapport au monde, sa propre compréhension de la réalité. Pour moi les parties les plus significatives du passage cité initialement sont celles s'articulant sur cette proposition mise en exergue par Bateson: les caractéristiques “mentales” d'un système sont immanentes, non à quelque partie, mais au système entier. Sous un aspect on “pense par soi-même”, le “soi” ainsi désigné étant le fragment d'univers limité par notre membrane externe, notre peau, en ce sens que les processus qu'on peut qualifier de “pensées” se réalisent dans les limites de ce fragment d'univers, et on peut même dire que l'on “pense avec son cerveau”. Reste que la “capacité de pensée” du cerveau dépend entièrement de son insertion dans un système plus large, “le corps”, en tant que système biotique et en tant que système sensible, et que la “capacité de vie” de l'ensemble “le corps” dans lequel s'insère l'organe “le cerveau” dépend d'un système plus large, le “milieu”, le “système écologique” (ou écosystème), pour réaliser cette capacité de vie, et ainsi vers le haut (environnement, c'est-à-dire l'ensemble des écosystèmes qui interagissent directement, biosphère, système Terre-Lune, système Terre-Soleil...) et vers le bas (organes et tissus, cellules, organites, molécules du vivant, molécules, atomes...). Chaque fragment de l'univers est un “soi” mais ne se révèle tel que par contraste, un “soi” sans “environnement” serait un “non soi”, une totalité incapable de penser, de “se penser”. De ces constats on peut donc tirer cette leçon: dans aucun système qui fait preuve de caractéristiques “mentales”, n'est donc possible qu'une de ses parties exerce un contrôle unilatéral sur l'ensemble. Nous pouvons dire que l'esprit est immanent dans ceux des circuits qui sont complets à l'intérieur du cerveau ou que l'esprit est immanent dans des circuits complets à l'intérieur du système: cerveau plus corps. Ou, finalement, que l'esprit est immanent au système plus vaste: homme plus environnement.
Le “réchauffement climatique” est vraisemblablement un fait de la réalité observable mais sa “valeur de fait” n'est pas intrinsèque, il préoccupe les humains autres que les scientifiques (du moins pour leur activité dans le domaine des sciences, les scientifiques sont aussi des êtres sociaux préoccupés par la société en tant que leur milieu de vie) à cause d'une évolution du contexte “biosphère” qu'il induit et qui se révèle défavorable au maintien en l'état d'un système très large (de nos points de vue d'individus, comme fragment de l'univers ce système est extrêmement étroit et de peu d'effet même dans le cadre de l'infime système Terre-Lune ou de l'à peine plus étendu système solaire), la biosphère, qui depuis quelques siècles fut plutôt favorable à la réalisation de cet objet nouveau, la “société-monde”, l'intégration de l'ensemble de l'espèce humaine dans un système biotique, un “écosystème”, qui “forme société”. Or, plus un système est étendu plus il est sensible aux changements dans les conditions de son milieu – les changements “internes” – et de son environnement – les changements “externes”. Si on considère la période courte nommée par convention “révolution industrielle”, qui commence (très lentement) au tournant des XVI° et XVII° siècles et s'achève (très rapidement) au tournant des XX° et XXI° siècles, une de ses caractéristiques est l'assez grande stabilité des conditions climatiques globales. Il y eut certes, entre le début du XIX° siècle et le milieu du XX° quelques brèves périodes atypiques (surtout de refroidissement) sur une à sept années, associées en général à une énorme activité volcanique très locale mais au effets globaux sur un hémisphères ou parfois sur les deux, mais jusqu'au dernier tiers du XX° siècle cette “révolution industrielle” n'eut pas de conséquences très défavorables sur l'évolution du climat – les problèmes globaux qu'elle induisit portaient sur d'autres évolutions, celles étiquetées “pollution”, au cas où la diffusion de gaz à effet de serre dans l'atmosphère ne serait pas une “pollution”... Si le phénomène de “changement climatique” comme fait observable est donc anticipé par les sciences depuis au moins la milieu du XIX° siècle et commença d'être mesuré dès le deuxième quart du XX°, comme fait social notable il émerge plus tard, vers le deuxième tiers et plus nettement durant le dernier quart du XX° siècle.
Il m'arrive de l'écrire, le dogme de base de toute société qui est “dans l'agir”, dans l'opposition tranchée entre “soi” et “non soi”, se résume en «toutes choses égales». Dans les idéologies de ce type seul le “soi” est changeant et imprévisible, le “non soi” étant supposé stable et prévisible, le “soi” étant “non chose” et le “non soi” étant “chose”, comme “les choses sont égales” sauf quand le “soi” agit sur elles, la représentation du changement en dehors du “soi” est: «toutes choses égales par ailleurs», c'est-à-dire que le “soi” agir sur une part restreinte et déterminé du “non soi”, le reste du “non soi” étant réputé ne pas se modifier puisque “non agi par le soi”. La réalité observable ne répond pas à cette représentation. Comme le relève Bateson, quand on tente de déterminer les limites du “soi” et du “non soi” on se trouve confronté à l'impossibilité de le faire car dans cet univers, notre univers, un univers contingent, ni purement énergie ni purement matière, ni purement “esprit” ni purement “corps”, il n'existe aucune entité isolée, aucun système fermé, aucun “soi” détaché du “non soi”.
Prenons l'exemple d'un homme qui abat un arbre avec une cognée. Chaque coup de cognée sera corrigé en fonction de la forme de l'entaille laissée sur le tronc par le coup précédent. Ce processus autocorrecteur, “mental”, est déterminé par un système global: arbre-yeux-cerveau-muscles-cognée-coup-arbre; et c'est bien ce système global qui possède les caractéristiques de l'esprit immanent.
Plus exactement, nous devrions parler d'un circuit de différences: (dans l'arbre) - (dans la rétine) - (dans le cerveau) - (dans les muscles) - (dans le mouvement de la cognée) - (dans l'arbre), etc. Ce qui est transmis tout au long du circuit, ce sont des conversions de différences; et, une différence qui produit une autre différence est une idée, ou une unité d'information.
Mais ce n'est pas ainsi qu'un Occidental moyen considérera la séquence événementielle de l'abattage de l'arbre. Il dira plutôt: “J'abats l'arbre” et ira même jusqu'à penser qu'il y a un agent déterminé, le “soi”, qui accomplit une action déterminée, dans un but précis, sur un objet déterminé.
Dans cette reprise des propos de Bateson que j'ai transformés, retirant tous les signes délimitant une citation, en mes propos, une chose ne me convient pas, la mention d'une entité décrite comme “Occidental moyen”. Dans le contexte où il écrivit cela, le tout début de la décennie 1970 (l'article cité fut publié au début de l'année 1971) cette mention a sa logique, une logique politique et sociale, reste que l'“Occidental moyen” est un objet introuvable, et que bien d'autres individus que cet hypothétique “Occidental moyen” voient les choses ainsi. Sous bien des aspects je peux me décrire comme un “Occidental moyen”, et de même pour Gregory Bateson, et pourtant ni lui ni moi ne considérons les choses ainsi, du moins quand nous les considérons avec distance. Et nombre de “non Occidentaux”, qu'ils soient moyens, hauts ou bas, considèrent les situations de cette manière quand ils ne les considèrent pas avec distance. Car savoir qu'une apparence est fausse ne conduit pas toujours à considérer une réalité immédiate ou médiate avec la distance nécessaire pour aller au-delà des apparences. Un de mes exemples préférés sur cette question sont les mouvements relatifs de la Terre et du Soleil et leurs mouvements apparents depuis la surface de la Terre: objectivement, je sais que le Soleil est relativement immobile par rapport à la Terre, avec une faible variation de distance entre les deux, due au mouvement relatif de la Terre au cours de sa révolution annuelle autour du Soleil, et une forte variation de position apparente durant la rotation quotidienne de la Terre sur son axe nord-sud, sauf aux positions extrêmes au nord et au sud où cette variation de position est à peine perceptible et pour un temps assez bref. Comme l'on dit, «les saisons se succèdent et le soleil tourne autour de la Terre». La première proposition est exacte, sinon dans une partie des cercles polaires et de la zone équatoriale, et elle l'est différemment dans les zones dites tempérées et dans celles “chaudes” des tropiques et “froides” autour des cercles polaires; la seconde est fausse, la Terre tourne sur elle-même et quand le point de la surface où l'on se trouve est située entre les cercles polaires, chaque période de vingt-quatre heures le Soleil semble se lever sur l'horizon”, se mouvoir d'est en ouest, puis se coucher sous l'horizon et disparaître pendant la nuit. Je sais objectivement que c'est faux mais en tant qu'habitant de la Terre résidant dans une zone tempérée je dois en tenir compte pour régler mes activités sur une période d'un jour et sur une période d'un an, donc je considère que dire que le Soleil “se lève” et “se couche” est suffisamment exact pour régler mes activités quotidiennes et dois tenir compte que le basculement apparent de la Terre sur son axe nord-sud aura un effet sur le climat, plus froid en hiver, plus chaud en été.
Je me dis incrédule, je dis que je préfère savoir que croire, ce qui ne m'empêche de savoir que parfois il faut croire.
Ouais, un peu hâtif, faut voir... J'ai commencé la rédaction de ce billet le 21 novembre 2022, donc ça n'est pas si hâtif. Certes, depuis la mi-décembre il n'a pas évolué mais trois semaines c'est déjà bien pour la rédaction d'un billet. Pas relu ce qui précède mais je suis certain qu'il y a de quoi donner à réfléchir, ce qui est mon but premier.
Je vous invite à le croire, ô lectrices et lecteurs crédules ou incrédules, en tout cas je le sais, ce qui me suffit largement, croyez-le ou non....