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Billet de blog 25 mars 2023

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Une farce tragique: quand l'exception devient la règle (Partie I).

J'ai découvert récemment un auteur fort intéressant, Domenico Losurdo. D'un sens il ne m'apprend pas grand chose mais il a cet intérêt de faire une critique serrée et argumentée de la période dont je discute le plus, celle allant en gros de 1500 à aujourd'hui, avec une focalisation sur les trois derniers siècles et une attention particulière sur la période récente, après 1910.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

I. Quelques généralités sur les humains et leurs sociétés.

Dans son ouvrage Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Marx écrivit ceci, qui est plus ou moins devenu célèbre:

«Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter: la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce».

On peut y ajouter que certaines tragédies ont des aspects farcesques, outrés, et certaines farces des aspects tragiques. Je pense notamment à certaines tragédies de Shakespeare, et je pense à Ubu roi, qui emprunte d'ailleurs à Shakespeare (notamment à Macbeth), et pour cette pièce comme pour les suites où reparaît Ubu «la plupart des titres sont des parodies de titres de tragédies grecques». Pour l'Histoire il en va, trop souvent, de même: on peut considérer tout le déroulé qui conduit à l'instauration du Troisième Reich et à ses conséquences funestes comme une répétition en mode “farce” de la séquence précédente, celle du Deuxième Reich: les éléments qui ponctuent la seconde séquence se trouvent déjà dans la première, ce sont les mêmes mais “en plus gros”, avec les mêmes conséquences, mais en plus gros...

À l'origine la farce est un intermède comique dans le tragique, une chose amusante qui “farcit” une chose sérieuse (la liturgie d'abord, puis les “mystères” joués sur les parvis des églises); en prenant son autonomie elle change un peu de définition, et devient plus une manière de faire que proprement un moment où l'on fait, la farce c'est le comique grotesque, grossier, outré, la caricature, l'excès y compris dans l'horreur: le “grand-guignol” c'est du théâtre d'«épouvante dont le caractère exagéré, loufoque et invraisemblable rappelle les outrances du Grand-Guignol», on n'y tue pas moins, le sang n'y coule pas moins, et même il y dégouline plus: de l'épouvante “en plus gros”. Dire du régime nazi que c'est une “farce de l'Histoire” n'en réduit en rien l'horreur: le côté farce du grand-guignol n'enlève rien à son caractère de théâtre d'épouvante, c'est “trop”, exagéré, outré, mais ça n'en fait pas moins peur. Le nazisme c'est “trop” mais ça n'en fait pas moins mal à ceux qui en subissent les excès.

Cela posé, vivons-nous une époque tragique en ce début de XXI° siècle, une tragédie en forme de farce? Difficile à dire, ça dépend beaucoup de l'évolution des choses dans les temps à venir. Vous connaissez je suppose ce lieu commun, «Jamais deux sans trois». Selon le Wiktionnaire, il signifie: «Un évènement qui survient deux fois se reproduit très souvent une troisième, les évènements ayant tendance à se répéter». Une autre page propose: «Une chose qui s'est produite deux fois se produira une troisième; les bonnes nouvelles s'enchainent; les malheurs se répètent». Ou encore: «Une façon de dire que l'on ne peut pas faire quelque chose correctement en une seule fois, et que sa répétition amène toujours un certain savoir-faire et une amélioration». Elle est à mettre en relation avec une autre locution, «un homme averti en vaut deux»: on peut être surpris une fois, l'être deux fois, mais là on a une série, on est “averti” – qu'un certain événement peut se reproduire –, donc on a les moyens de s'y préparer si on voit les mêmes circonstances sembler devoir se produire de nouveau.


Avant de poursuivre, quelques mots à propos de Domenico Losurdo. Pour me simplifier la tâche, ce qu'en dit l'historien de la philosophie Stefano Azzarà en quatrième de couverture de son livre L'Humanité commune, consacré à une partie du travail de Losurdo:

«Une critique anticonformiste de l’histoire du mouvement libéral qui remet en cause ses théoriciens principaux ainsi que les développements et les choix politiques concrets des sociétés et des États qui s’en réclament; une grande fresque comparative, où la mise en confrontation entre le libéralisme, le courant conservateur et le courant révolutionnaire au cours des siècles, fait sauter les barrières de la tradition historiographique et dévoile le difficile processus de construction de la démocratie moderne; l’essai d’une théorie générale du conflit qui part de la compréhension philosophique, dialectique, du rapport entre instances universelles et particularisme; mais aussi, une application radicalement renouvelée de la méthode matérialiste historique à travers la revendication de l’équilibre entre reconnaissance et critique de la modernité.
Ce sont là les idées directrices du parcours de recherche de Domenico Losurdo, l’un des principaux auteurs italiens contemporains d’orientation marxiste, déjà connu en France à travers des ouvrages comme Heidegger et l'idéologie de la guerre (PUF 1998), Démocratie ou bonapartisme (Le Temps des Cerises 2003), Antonio Gramsci, du libéralisme au «communisme critique» (Syllepse 2006) et Fuir l’histoire ? (Delga — Le Temps des Cerises 2007)».

C'est en gros ce qui m'intéresse chez cet auteur. J'aurais quelques remarques à faire à cette présentation mais je m'en passerai, disons que je n'ai pas, comme Azzarà, une grille de lecture “marxiste” (ou plutôt “communiste”) du travail de Losurdo, voilà tout.

Je vous conseille la lecture de Domenico Losurdo et même, bien que ça soit d'un niveau un peu moindre, de L'Humanité commune d'Azzarà, qui est une bonne introduction à son œuvre – un livre d'autant plus intéressant qu'il est complété par un entretien avec Losurdo. On peut trouver ses livres sur les sites leslibraires.fr et decitre.fr, et probablement sur des sites transalpins équivalents si vous lisez l'italien. Quelques-uns sont en format numérique, plusieurs sont épuisés et comme c'est un auteur rare les occasion pour ces livres épuisés sont chères. À lire, pour ceux encore disponibles, Le révisionnisme en histoire - Problèmes et mythes, et, lui faisant suite, Le péché originel du XXe siècle.


Je vous parle de Losurdo parce qu'e dans ces deux ouvrages il fait une analyse serrée de l'écart entre le discours sur le “libéralisme” politique (idéologique) et son incarnation constitutionnelle et institutionnelle, tardivement nommée “démocratie libérale”. Pour citer la section «Origine» de l'article de Wikipédia:

«Leur nom de démocratie n'est arrivé [qu']après les révolutions, ces systèmes étaient appelés république et opposés à la démocratie antique. À cette époque, les États européens étaient, dans leurs vastes majorités, des monarchies où le pouvoir politique était détenu par des monarques ou par l'aristocratie. La possibilité d'un État démocratique n'avait pas été considérée comme une théorie politique sérieuse depuis l'Antiquité classique, et la croyance bien répandue était qu'une démocratie déboucherait invariablement sur une instabilité, un chaos politique du fait des caprices changeants de la population. Il était en plus admis que la démocratie était contraire à la nature humaine, les Hommes étant conçus comme inévitablement mauvais, violents et nécessitant ainsi un dirigeant fort afin d'empêcher leur pulsions destructrices. Nombreux étaient les monarques européens à affirmer tenir leur pouvoir de Dieu, et ainsi, questionner leur droit de régner était équivalent au blasphème.
Aux États-Unis, le terme démocratie s'est substitué au terme république dans les années 1820, à la suite d'une élection où Andrew Jackson s'est revendiqué démocrate pour se démarquer des autres, et s'est fait élire. Les autres candidats ont par la suite repris ce terme».

Certains contributeurs de Wikipédia, probablement animés par un tropisme “libéral”, on cru devoir ajouter la mention «réf. nécessaire» à des affirmations qui ne nécessitent pas de références, comme ce fait extrêmement connu, «à cette époque [fin XVIII°-début XIX°], les États européens étaient, dans leurs vastes majorités, des monarchies où le pouvoir politique était détenu par des monarques ou par l'aristocratie», ce fait d'évidence, «les monarques européens [tenant] leur pouvoir de Dieu», la conséquence en est que «questionner leur droit de régner était équivalent au blasphème», et ce fait connu de quiconque s'est intéressé de près aux débats sur “le meilleur régime”, tant du côté des tenants des régimes “républicains non monarchiques” que des tenants de la “monarchie parlementaire” ou de la “monarchie constitutionnelle”, «il était en plus admis que la démocratie était contraire à la nature humaine, les Hommes étant conçus comme inévitablement mauvais, violents et nécessitant ainsi un dirigeant fort afin d'empêcher leur pulsions destructrices». Enfin, les Hommes, les humains, n'étaient pas «conçus comme inévitablement mauvais, violents». Précisément, en aristocratie il y a des “meilleurs”, des “méritants”, qui échappent à ce sort, et qui sont “par nature” destinés à diriger les autres. Comme les “méritants” ont une tendance certaine à vouloir que leur “mérite” soit transmis au membres de leurs familles, si possible leurs descendants directs, très vite, sinon dès le départ, les aristocraties se transforment en oligarchies, non plus “le pouvoir des meilleurs” mais “le pouvoir de ceux qui ont le pouvoir”, qu'ils en aient le mérite ou non.

Andrew Jackson n'a jamais été démocrate, il fut démagogue mais comme presque tout le monde (disons, comme presque toutes les personnes en situation d'occuper des postes de pouvoir) à l'époque, peu enclin à établir un régime démocratique. En lisant sa biographie vous comprendrez pourquoi il devint “démocrate” en 1828: parce que la faction du parti “républicain-démocrate” au pouvoir à ce moment-là opta pour conserver le mot “républicain” dans son nom, ne laissant plus que le second à la faction adverse; s'il avait opté pour le nom “national-démocrate” on aurait aujourd'hui un parti “républicain” héritier de Jackson, et un parti “démocrate” héritier de Lincoln...

Croyez-moi ou ne me croyez pas ça m'indiffère, après mon expérience malheureuse contée dans le récent billet «Les faits et les opinions», dont la cause fut cette affirmation, les “révolutionnaires” ou “progressistes” de la fin du XVIII° siècle et du début du XIX° optèrent délibérément pour des régimes de type oligarchique pour empêcher toute évolution vers la démocratie, je me fiche encore plus qu'avant que mes possibles lectrices et lecteurs ne sachent pas faire la différence entre opinions basées sur les faits ou sur les croyances: peu me chaut que vous croyez que la Lune est faite de fromage ou que la France et les États-Unis sont des démocraties, je sais que ce n'est pas le cas, pour l'essentiel la Lune est faite de roches, et la France et les États-Unis sont “au mieux” (s'il peut y avoir du “mieux” là-dedans) des oligarchies, sinon des monarchies non héréditaires mais cependant réservées à une fraction déterminée de la population, un mixte d'aristocratie et d'oligarchie qui de toute manière est sous-tendu par une ploutocratie. Comme le dit assez clairement l'article de Wikipédia dans cette section «Origine», les régimes que plus tard on nomma “démocraties libérales” étaient clairement, pour leurs initiateurs, non-démocratiques. Étaient-ils libéraux? C'est une question. Et bien, la réponse dépend de ce qu'on met derrière le mot “libéralisme”: si on retient la définition formelle et idéaliste la plus courante actuellement, c'est non; si on considère l'idéologie explicite des “libéraux” des XVIII° et XIX° siècles, et de beaucoup de ceux des XX° et XXI° siècles, c'est oui. Je veux dire: s'il s'agit de la liberté universelle, de la liberté de tous les humains sans distinction de rang, de classe, de genre, d'origine, bref, sans distinction autre que celle universelle entre les “mineurs” (les citoyens en cours de formation en-dessous d'un certain âge) et les “majeurs” (les citoyens accomplis ou ayant atteint un certain âge), la réponse est non, ces régimes ne sont pas libéraux; si en revanche, et selon les dogmes des fondateurs des divers courants idéologiques “libéraux”, il s'agit de la liberté d'une partie déterminée de l'humanité, le reste de l'humanité étant constitué de “non libres”, certains étant des “non citoyens” donc asservissables voire massacrables “librement” (par la “liberté des libres”), alors oui, ils sont libéraux. J'opte pour la version formelle et idéaliste et dis: ce ne sont pas des démocraties et ils ne sont pas libéraux.

Vous connaissez l'opposition entre “démocratie réelle” et “démocratie formelle”? Depuis la chute de l'Empire soviétique fin 1989 on n'en parle plus guère dans les médias donc la notion se perd. Cette opposition a été pensée par les courants socialistes et communistes du XIX° siècle, qui précisément s'opposaient au régimes “républicains” nés au tournant de ce siècle et du précédent: le courant “jacksonien” ayant pris le mot, dut en redéfinir le sens – l'un des deux principes de la novlanguisation: si on ne peut faire disparaître le mot on en change la définition. Étant dans la nécessité de se relier au parti des “pères fondateurs de la République”, le parti républicain-démocrate, le parti jacksonien se trouva obligé de se nommer “parti démocrate” sans souhaiter pour cela établir un régime démocratique “classique“, d'où ce gauchissement du terme qui en vint à désigner ce que tous les politiciens de l'époque savaient être, selon les catégories d'Aristote, une oligarchie, une “aristocratie corrompue”:

«CHAPITRE V: Division des gouvernements: gouvernements purs, royauté, aristocratie, république; gouvernements corrompus, tyrannie, oligarchie, démagogie [...].
§ 1. Le gouvernement et la constitution étant choses identiques, et le gouvernement étant le maître suprême de la cité, il faut absolument que ce maître soit, ou un seul individu, ou une minorité, ou enfin la masse des citoyens. Quand le maître unique, ou la minorité, ou la majorité gouvernent dans l'intérêt général, la constitution est nécessairement pure; quand ils gouvernent dans leur propre intérêt, soit dans l’intérêt d'un seul, soit dans l'intérêt de la minorité, soit dans l'intérêt de la foule, la constitution est déviée de son but, puisque de deux choses l'une: ou les membres de l'association ne sont pas vraiment citoyens; ou, s'ils le sont, ils doivent avoir leur part de l'avantage commun.
§ 2. Quand le gouvernement d'un seul, a pour objet l'intérêt général, on la nomme monarchie ou royauté. Avec la même condition, le gouvernement de la minorité, pourvu qu'elle ne soit pas réduite à un seul individu, c'est l'aristocratie, ainsi nommée, soit parce que le pouvoir est aux mains des gens honnêtes, soit parce que le pouvoir n'a d'autre objet que le plus grand bien de l'État et des associés. Enfin, quand la majorité gouverne dans le sens de l'intérêt général, c'est la démocratie, qui reçoit comme dénomination spéciale la dénomination générique de tous les gouvernements, et se nomme république.
[...]
§ 4. Les déviations de ces gouvernements sont: la tyrannie, pour la royauté; l'oligarchie, pour l'aristocratie; la démagogie, pour la république. La tyrannie est une monarchie qui n'a pour objet que l'intérêt personnel du monarque; l'oligarchie n'a pour objet que l'intérêt particulier des riches; la démagogie, celui des pauvres. Aucun de ces gouvernements ne songe à l'intérêt général [...]» (Aristote, Politique, Livre III, traduction de Jules Barthélemy-Saint-Hilaire, 1848 [1874]).

J'ai modifié le paragraphe 3 sans en changer le sens, pour donner une unité de forme aux définitions des trois régimes. J'en ai parlé dans d'autres discussions, “le gouvernement d'un seul” et ““le gouvernement de tous” sont des impossibilités, tout gouvernement est “le gouvernement de quelques-uns“. Partant de là je suis d'accord avec Aristote, ou plus exactement avec Barthélemy-Saint-Hilaire: le terme “république” est «la dénomination générique de tous les gouvernements». Je précise, en le mettant en exergue, que je suis d'accord avec Barthélemy-Saint-Hilaire pour deux raisons: d'abord Aristote n'a pas pu parler de “république”, ensuite Barthélemy-Saint-Hilaire n'est pas qu'un philosophe et traducteur, c'est aussi un acteur politique, et non des moindres, un “républicain” de longue date (au moins depuis les années 1830), il publie cette traduction de la Politique d'Aristote pour la première fois l'année même où, suite à la Révolution de 1848, «il est élu député républicain du département de Seine-et-Oise», bref, il a des raisons idéologiques pour “traduire” ce passage par «[la démocratie] reçoit comme dénomination spéciale la dénomination générique de tous les gouvernements, et se nomme république». Car donc, Aristote n'a pas pu écrire ça car le mot est latin, et il est postérieur à l'époque d'Aristote. Je vous propose le texte grec, sa translittération en alphabet latin et sa traduction par “Google trad.”:

«Καλεῖν δ' εἰώθαμεν τῶν μὲν μοναρχιῶν τὴν πρὸς τὸ κοινὸν ἀποβλέπουσαν συμφέρον βασιλείαν, τὴν δὲ τῶν ὀλίγων μὲν πλειόνων δ' ἑνὸς ἀριστοκρατίαν (ἢ διὰ τὸ τοὺς ἀρίστους ἄρχειν, ἢ διὰ τὸ πρὸς τὸ ἄριστον τῇ πόλει καὶ τοῖς κοινωνοῦσιν αὐτῆς), ὅταν δὲ τὸ πλῆθος πρὸς τὸ κοινὸν πολιτεύηται συμφέρον, καλεῖται τὸ κοινὸν ὄνομα πασῶν τῶν πολιτειῶν, πολιτεία
Kaleín d' eióthamen tón mén monarchión tín prós tó koinón apovlépousan symféron vasileían, tín dé tón olígon mén pleiónon d' enós aristokratían (í diá tó toús arístous árchein, í diá tó prós tó áriston tí pólei kaí toís koinonoúsin aftís), ótan dé tó plíthos prós tó koinón politévitai symféron, kaleítai tó koinón ónoma pasón tón politeión, politeía
Ils nous appellent monarchies le royaume qu'ils ont vu dans l'intérêt du peuple, et l'aristocratie de quelques-uns mais la majorité d'un seul (ou pour le bien des nobles princes, ou pour le bien de la ville et de ses citoyens), quand la multitude vers l'intérêt commun de l'État, s'appelle le nom commun de tous les États, État».

La traduction est maladroite car littérale, mais rend assez bien compte du mouvement général du discours d'Aristote, et rend surtout compte que “πολιτεύηται”, “politévitai”, n'est pas “république”, “res publica”, mais “intérêt commun de l'État”, qui se dirait “politique” ou “gouvernement de la cité” au sens d'entité politique, d'État. Il y a certes déjà dans Aristote un gauchissement car, comme Barthélemy-Saint-Hilaire et comme moi, il ne peut méconnaître (et la suite de ce chapitre le montre abondamment) que “le gouvernement d'un seul” et “le gouvernement de tous” ne peuvent se faire dans le cadre d'une entité politique rassemblant des milliers, des dizaines et centaines de milliers de membres et au-delà. Il ne s'agit donc pas de savoir si le gouvernement est réalisé, effectué, par une minorité, c'est toujours le cas dans une société large, une “cité”, il s'agit de savoir par qui, comment et pour qui.

Ce n'était pas mon intention initiale mais je constate que cette traduction de Barthélemy-Saint-Hilaire (pour faire bref par après, Barthélemy) est une excellente base pour comprendre comment, au cours du XIX° siècle, le mot “démocratie” en vint à désigner un régime de type oligarchique. Barthélemy est donc un “républicain” mais dans la continuité de ceux qui, durant la Révolution française, s'opposèrent à l'établissement d'un régime de type démocratique, ce qu'illustre son très long compagnonnage avec Adolphe Thiers, commencé dès 1830 quand il devient l'un des rédacteurs du quotidien Le National dont l'un des fondateurs est Thiers, et se poursuit jusqu'aux premières années de la III° République: «En 1871, il contribue à l'élection de Thiers, agissant comme son secrétaire général de la présidence de la République». Une caricature parlante indique la perception de ce binôme par les contemporains:

Illustration 1
Caricature de Barthélemy-Saint-Hilaire et Thiers par Bertall (1876). «Unis ils marchent fiers, qu'il fasse clair ou sombre; l'un est l'ombre de Thiers l'autre est le tiers de l'ombre». © Source, Wikimedia Commons et Wikipédia

L'idéologue et l'acteur politique de premier plan. Non que Thiers ne fut idéologue ni Barthélemy acteur mais à l'évidence ils ne le furent pas au même plan, au même niveau, dans l'un et l'autre aspects.

Pourquoi opter pour “république” en traduisant ce passage? Précisément parce que le terme qu'emploie Aristote est  «la dénomination générique de tous les gouvernements». Barthélemy étant “républicain” donne le nom “république” à “la dénomination générique”. Mais donc, quelle sorte de républicain: un républicain monarchique, tyrannique, aristocratique, oligarchique, démocratique ou démagogique? Car si “république” est «la dénomination générique de tous les gouvernements», ça implique que “république” n'est pas la «dénomination spéciale [de] la démocratie».

Je suis d'accord avec la proposition: “république” ou “politique“ sont “la dénomination générique” pour “gouvernement”.  Ça indique seulement qu'une cité, un État, une entité politique n'est viable que si elle est gouvernée. Mais, qu'est-ce que le gouvernement? Proprement ce que nous dit le mot grec: il dérive du verbe κυβερνάω, “kubernáô”, “piloter, tenir le gouvernail”, issu du nom “κυβέρνιον”, “kubérnion”, ou “κύβερνος,, “kúbernos”, “pilote”, la personne “qui tient le gouvernail”, donc “qui dirige le navire”. Or, celui qui dirige le navire n'est pas, ou n'est pas nécessairement, celui qui commande. Comprenant cela, on peut dire que la première assertion d'Aristote dans ce chapitre, «le gouvernement et la constitution étant choses identiques, et le gouvernement étant le maître suprême de la cité, il faut absolument que ce maître soit, ou un seul individu, ou une minorité, ou enfin la masse des citoyens», est inexacte. De ce fait ce n'est exact que dans deux cas, l'aristocratie et l'oligarchie, dans les autres cas le gouvernement et la constitution ne se confondent pas et “le maître suprême” n'est pas le gouvernement car si le monarque ou le tyran est maître il ne gouverne pas, et de même si l'ensemble ou la majorité des membres de la société est maître il, elle ne gouverne pas; ce n'est que dans l'aristocratie et l'oligarchie que “le petit nombre”, à la fois est maître et gouverne.

Où l'on pourrait être presque d'accord avec Aristote: quand le régime est “pur” on peut dire que c'est toujours une démocratie puisque dans un tel régime “le maître” a toujours pour visée l'intérêt général, donc l'intérêt de tous et de chacun; mais on voit qu'il y a chez lui une inversion: il conclut du fait que quand la constitution est “pure” le gouvernement est “pur” qu'il y aurait alors confusion entre les deux, et que le mot qui désigne l'action du gouvernement, qui est “la direction de la cité”, son administration, ainsi que son organisation, est celui qui désigne aussi sa constitution. Ce qui est à l'évidence faux: l'administration de la “chose publique” ou du “bien public” est globalement la même quelle que soit la constitution, quel que soit le régime, et qu'il soit “pur” ou “corrompu”. Ce qui me fait dire que quelle que soit sa forme apparente tout régime “impur”, “corrompu”, est toujours une oligarchie, vient précisément du fait que dans ces régimes le gouvernement agit contre l'intérêt général. Il peuvent certes avoir l'apparence de la monarchie ou de la démocratie donc l'apparence d'une forme corrompue de ces régimes, mais dans tous les cas, sans l'action décisive du gouvernement pour entretenir cette corruption, soit elle cesse soit le régime cesse, donc dans tous les cas ses membres, “le petit nombre”, agissent pour leur intérêt particulier, et sans cette action décisive, ni le tyran ni le “grand nombre” ou du moins la fraction du grand nombre que sert le gouvernement en démagogie. Ce qui me conduit à différencier simplement démocratie et démagogie: en démocratie le gouvernement est celui de tous, en démagogie il est celui de la majorité. Disons simplement ceci: dès lors qu'une entité politique ne prend en considération que les intérêts d'une fraction de la population, aussi large soit cette fraction le régime est “corrompu”, et de ce fait il est oligarchique puisque dans tous les cas le gouvernement sert ses intérêts propres en ne servant pas l'intérêt général.

Je sais que de nos jours ce genre de distinctions n'a guère d'évidence non parce que ce n'est pas évident mais parce qu'on a depuis si longtemps changé le sens de ces mots qu'il devient difficile de revenir à leur sens premier. Pourquoi la démocratie n'est-elle pas le “fait majoritaire”? Et bien, on en a l'exemple un peu partout en ce moment et notamment en France: une “majorité” ça ne peut pas exister, le gouvernement gouverne pour tous ou pour une minorité, y compris quand il a le soutien d'une majorité lorsqu'il s'installe. En fait peu importe qui l'installe importe cette seule chose: soit il agit dans l'intérêt général, soit non. Et si c'est non, alors nécessairement il agit dans son intérêt propre. Bien sûr, en oligarchie proprement dite c'est plus simple à démontrer mais ça ne change rien au fait: si un gouvernement agit seulement dans l'intérêt d'une fraction des membres de la cité, cette fraction serait-elle une très forte majorité, dans tous les cas on a un régime corrompu où le gouvernement sert en tout premier les intérêts de ses membres et de leurs affidés, donc fonctionnellement une oligarchie.

Les oligarchies ne se désignent jamais telles, donc évoquer une «oligarchie proprement dite» n'a pas trop de sens: elles sont toujours “salement dites”, on peut, de l'intérieur ou de l'extérieur, déterminer si un régime est oligarchique, mais il se désignera lui-même d'un des noms que l'on donne aux régimes “purs”. Considérons par exemple mon postulat: une entité politique où le gouvernement agit pour la majorité ne peut pas être nommé démocratie, au mieux (au “moins pire”) c'est une démagogie, le plus souvent c'est une oligarchie. J'accepte même de concéder que gouverner par et pour la majorité ressort de la démocratie, avec donc cette condition nécessaire: par et pour “la majorité”, car il ne suffit pas d'avoir le soutien de la majorité, il faut aussi agir dans son intérêt, et il ne suffit pas d'agir pour elle et même pour l'intérêt général pour être en démocratie, j'accepte aussi l'idée de régimes “purs” monarchiques et aristocratiques, des régimes qui donc agissent pour le bien général, mais ce ne sont pas des démocraties, il ne s'agit pas pour moi d'affirmer, comme Aristote, que le meilleur des régimes, “le plus pur”, est la démocratie, mais de bien délimiter ce qu'est une démocratie: un régime où le gouvernement à la fois agit pour l'intérêt général ET par l'onction d'au moins la majorité, idéalement la totalité des citoyens. Dès lors, tout régime où le gouvernement peut ne pas recevoir l'onction de la majorité n'est pas une démocratie, qu'il agisse pour l'intérêt général ou non. La France est-elle une démocratie? Les États-Unis sont-ils une démocratie? La réponse est non. C'est donc un régime d'autre sorte. Pourquoi ces entités ne sont-elles pas des démocraties? Parce que leurs gouvernements peuvent ne pas recevoir et le plus souvent ne reçoivent pas l'onction de la majorité des citoyens. Aux États-Unis c'est une situation permanente, les modes de désignation des “représentants” (chef de l'État, délégués de la “chambre basse” et de la “chambre haute”) sont tels que jamais ils ne reçoivent le soutien d'une majorité réelle des électeurs de premier niveau, c'est-à-dire l'ensemble des citoyens. Ça ne signifie pas qu'ils n'ont pas ce soutien, simplement que jamais ils ne l'obtiennent, mais de toute manière ils ne l'ont pas, tous les “représentants” reçoivent en moyenne entre le tiers et la moitié des suffrages exprimés, avec une abstention, selon les élections (locales, étatiques ou fédérales), d'entre les quart et et plus de la moitié des inscrits, donc même dans le meilleur des cas le soutien réel d'au grand maximum le tiers des inscrits, des électeurs de premier niveau. Si ça n'a pas toujours été le cas (ou peut-être pas, ça se discute), en France on a désormais quelque chose de similaire du fait que la loi ne dispose pas que les “représentants” doivent recueillir le soutien de la majorité absolue des inscrits pour être élus. Il me semble qu'une règle précise que le nombre minimum de voix est deux, parce qu'avec une seule on peut être son propre électeur, ce qui est un cas douteux... En tous les cas, lors de beaucoup de scrutins, dont notablement les élections partielles suite à l'annulation d'un scrutin local, le nombre d'exprimés peut être très bas, parfois en-deçà d'un dixième des inscrits, sans que ça rende l'élection invalide.

En France comme aux États-Unis, sans même considérer le caractère très peu démocratique de ces entités politiques, en se limitant à cet aspect très minimal du “fait majoritaire”, il y a beau temps que les “représentants” au plus haut niveau, national en France, fédéral aux États-Unis, ne représentent pas la majorité des citoyens, factuellement ça n'a jamais été le cas aux États-Unis et pour la France, assurément ça ne l'a jamais été au moins depuis le début de la V° République, mais autant que je sache ça ne fut jamais le cas sinon peut-être, très brièvement, durant la II° République et (mais c'est plus douteux) au tout début de la III° République – et encore, il faut tenir compte du fait que le “suffrage universel” de ces deux républiques était réduit au suffrage masculin.

Il y a peu je disais que les États-Unis c'est l'Europe écrit en plus gros, on peut dire, concernant le processus de désignation des “représentants”, que les États-Unis c'est le Royaume-Uni écrit en plus gros. C'est que, il y a la Légende Dorée du libéralisme, mais la couche de dorure est très mince et quand on la gratte un peu on a tout de suite une couche plus épaisse en fer et dessous, un masse de plomb. Le plomb sert à écraser la majorité, et le fer à forger les armes dont se sert la minorité pour contrôler et s'il le faut opprimer la majorité. Vous ne pouvez manquer de savoir que la Grande-Bretagne est présentée comme le parangon du “libéralisme”, et que les États-Unis, et bien, c'est “le libéralisme en plus gros”. Vous ignorez peut-être, en fait je suppose que vous ignorez vraisemblablement que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande est l'un des derniers États d'Europe ayant institué un véritable suffrage universel, un peu après la fin de la deuxième guerre mondiale, et là je ne parle pas du fait que très longtemps tous les États ont limité cette universalité au seule suffrage masculin, il s'agit bien de la question du suffrage censitaire, de l'exclusion d'une part plus ou moins importante des citoyens à l'expression de leurs choix politiques, et à l'exclusion d'une large majorité des citoyens à l'accès aux fonctions de représentation et de gouvernement. Pour citer Losurdo:

«Lénine met en évidence le fait que, dans la sphère de la métropole impériale [du Royaume-Uni] elle-même, continuent à exister des clauses d'exclusion de la citoyenneté et de la démocratie. En Angleterre le droit électoral “est encore assez limité pour exclure la couche inférieure proprement prolétaire”; de plus, pouvons-nous ajouter, certains privilégiés continuent à jouir du vote plural, qui ne sera complètement supprimé qu'en 1948» (Domenico Losurdo, Le péché originel du XX° siècle, Éditions Aden, 2007, p. 16).

Il y a aussi la question des deux chambres, la “Chambre haute” (en Grande-Bretagne la Chambre des lords) et la “Chambre basse” (la Chambre des communes). Comme dans tous les systèmes bicaméraux, la Chambre haute échappe de droit et non simplement de fait au suffrage universel direct mais mieux, jusqu'à récemment (jusqu'en 1963) pour l'essentiel les lords de cette “maison” l'étaient héréditairement et encore aujourd'hui au moins 92 d'entre eux le sont ainsi. Cela dit, une part significative de la “Chambre basse” était nécessairement issue des rangs de la noblesse héréditaire jusqu'au début du XX° siècle, ce qui restreignait d'autant la (faible) possibilité des “sans noblesse” à y accéder. Factuellement, la composition de cette “Maison des Communs” (la House of Commons) ressembla très longtemps à celle des “états” qui se réunissaient lors des “états généraux” en France, un tiers “de la noblesse”, un tiers “du clergé”, un tiers “autre”, ces “autres” comprenant aussi des représentants de la noblesse et du clergé, ceux exclus de droit ou de fait des deux autres “états”. Il en alla de même pour la Chambre des Communes, y compris sur le fait qu'elle ne se réunissait qu'occasionnellement, sur convocation du monarque, et pour sa composition en trois “états”, ça perdura jusqu'au XIX° siècle, y compris sur le fait que les “non nobles non ecclésiastiques” devaient appartenir à une frange étroite de la population, celle des propriétaires soumis à une double imposition, foncière et personnelle, la “gentry”, cette frange “non noble” mais non proprement roturière. Non que ça ait tellement changé dans les faits, depuis, mais en théorie c'est différent, en théorie n'importe qui peut se présenter aux suffrages. En pratique non mais quelle importance puisque les “démocraties libérales” ne sont que formellement démocratiques? Aucune importance: tant que les formes sont respectées, tout est parfait...

Donc, en France comme aux États-Unis, si la loi dit autre chose (et de toute manière elle ne dit pas autre chose aux États-Unis ni, pour certaines élections, en France) le fait dit ceci: on peut former une “majorité de représentants” à partir d'une minorité parfois très réduite de citoyens. Pour les États-Unis c'est donc systématique et plus précisément, systémique: le système de désignation des représentants est conçu de telle manière qu'il n'est jamais requis de réunir une majorité des suffrages exprimés pour obtenir un représentation ou une représentativité majoritaire, et que, comme dit, le plus souvent on ne l'obtient pas, tant en proportion des inscrits qu'en proportion des exprimés. Pour ne prendre que deux cas qui ont suscité l'attention en ce début de troisième millénaire,  George W. Bush en 2000 et Donald Trump en 2016 ont obtenu une majorité des voix d'électeurs de second niveau – les “grands électeurs” – mais sont à la seconde position et sont minoritaires voix exprimées d'électeurs primaires. Et bien sûr, ils ne recueillent – mais de même pour les présidents élus en 2004 et 2020 – qu'une part encore plus réduite des inscrits, puisque sauf en 2020 l'abstention s'est située au-dessus de 41%, allant jusqu'à près de 50% certaines fois (mais dans des élections antérieures le niveau d'abstention pour la présidentielle a dépassé les 50%). La France a un système formellement moins... Ben, moins je ne sais pas quoi. Disons, il y a une apparence de moindre écart entre la majorité formelle et la majorité réelle parce qu'on a des élections à la proportionnelle ou des élections uninominales à deux tours, sauf que dans presque tous les scrutins à la proportionnelle il y a une “prime au premier” qui octroie lui un nombre de sièges nettement supérieur à la proportion d'électeurs qui ont voté pour lui (pour la liste arrivée première) et pour les élections à deux tours, même sans tenir compte des cas de “triangulaires” (trois candidats au second tour), où le plus souvent le candidat le mieux placé n'obtient pas la majorité des suffrages exprimés, du fait que dans tous les cas où aucun candidat n'obtient la majorité des exprimés le premier peut concourir au second tour et le second s'il obtient le quorum des inscrits (10% ou 12,5% selon les scrutins), on peut se trouver dans le cas d'un candidat qui ne recueille qu'un soutien ridicule, genre 2% des inscrits, et qui une semaine plus tard “triomphe” avec 100% des exprimés et 3% des inscrits...

Dans un système aristocratique ou oligarchique les “représentants” n'ont pas nécessité d'être représentatifs. La cause de la dissension avec mon kiné racontée dans «Les faits et les opinions» est justement la question de l'élection. Je lui disais que ce mode de désignation fut choisi par les “révolutionnaires” de 1787 aux États-Unis, de 1789 en France, parce que c'est le mode de sélection privilégié par les régimes aristocratiques et oligarchiques, donc selon eux celui le mieux à même d'éviter de se diriger vers un régime démocratique, où le mode de sélection privilégié est le tirage au sort, qui garantit de ne pas devoir désigner un représentant qu'on n'a pas choisi. Or, c'est contre-intuitif. Mais justement, en matière de constitution d'un corps social il ne faut pas se fier aux intuitions et faire fonctionner sa raison. Entre autres choses on doit concevoir un système de sélection des représentants qui garantisse à la fois qu'on désigne bien quelqu'un de représentatif, quelqu'un porteur des mêmes valeurs et principes que les personnes qu'il représente, quelqu'un qu'on a choisi, et non qu'on désigne faute de meilleur choix. Ce qui évite de se retrouver avec un chef de l'État et une majorité parlementaire pour lesquels on a voté et qui portent un projet politique qu'on désapprouve. Or, mon kiné a voté pour le président en exercice en ce mois de mars 2023, et pour un député de son parti, et il désapprouve leur projet politique. Pourquoi? Parce qu'il n'a pas eu la possibilité d'exprimer un choix positif, c'est-à-dire de soutenir un possible représentant qui le représenterait réellement. Or, c'est bien par le tirage au sort qu'on obtient un tel résultat.

Le contre-intuitif dans cette histoire est que la désignation par élection exclut l'électeur primaire du processus de sélection des candidats, alors que celle par tirage au sort l'inclut dans ce processus. La démocratie n'est pas, comme on le prétend depuis que le mot est devenu un synonyme d'oligarchie, un système où les représentants sont choisis par une forme de suffrage direct, sans pour autant que ce soit une sélection de type censitaire où une partie seulement des citoyens participe au choix et une part encore plus restreinte est en situation d'être désignée, l'unité de base n'est pas le citoyen mais le dème, c'est-à-dire la circonscription:

«Le dème ou demos (similaire à divisions, grec ancien : δῆμος) est une circonscription administrative de base instaurée lors de la révolution isonomique de Clisthène (personnage politique grec) qui eut lieu de 508 à 507 av J.-C. à Athènes. Le dème est directement lié à la marche d'Athènes vers la démocratie. Ses habitants sont appelés les démotes».

Les partisans d'un système de type oligarchique ou aristocratique ont tout intérêt à triturer un peu les faits, et notamment le principe du tirage au sort, de ce fait dès qu'une personne évoque la chose il y aura toujours un con ou un salaud (un personne qui préfère croire le faux que savoir le vrai ou une personne qui, sachant le vrai, préfère dire le faux) pour l'empêcher d'expliquer en s'offusquant qu'on puisse laisser au hasard le choix de ses représentants, or c'est justement la désignation par l'élection qui laisse le choix au hasard, car ça consiste précisément à désigner parmi un ensemble de personnes dont on ne sait rien ou pas grand chose l'une pour censément nous représenter. En démocratie, le tirage au sort a lieu au niveau des dèmes, et ne s'exerce pas parmi l'ensemble de la population mais parmi une liste de personnes choisie parce qu'estimées pouvoir convenablement représenter l'ensemble du dème. Comme on ne sait pas d'avance qui sera choisi dans cette liste, on a tout avantage, quand on participe au choix des personnes qui y sont inscrites, à désigner celles dont on est à-peu-près certain qu'elles ne nous trahiront pas, celles qui ont un niveau de moralité suffisant pour ne pas tirer un profit personnel de leur position ni avantager indûment leurs affidés.

Avant que je m'énerve suffisamment pour que ça l'incite à interrompre notre séance, mon kiné a fait le con. Plusieurs fois. En premier, je lui explique que nous ne sommes pas en démocratie et que les inventeurs des systèmes politiques actuels ont opté pour l'élection des représentants parce que c'est un mode de sélection aristocratique, donc non démocratique, et il me dit que je devrais fonder un parti pour défendre mes idées devant les électeurs... En second, ce que raconté dans le billet sur «Je ne sais pas faire la différence entre fait et opinion», en troisième le coup de «Je n'ai pas votre intelligence». Du coup, je n'ai pas eu l'opportunité de lui expliquer comment le tirage au sort n'a rien de la perception naïve qu'il en a et qu'au contraire c'est l'élection qui laisse toute la place au hasard puisqu'on vote pour des gens qu'on ne connaît pas et qu'on n'a pas choisis, donc pour n'importe qui et probablement pour une personne peu digne de confiance. Y compris pour ceux qui l'ont choisie.

Le vrai problème avec l'oligarchie, et avec l'aristocratie car elle finit toujours par évoluer vers l'oligarchie, est cette question: qui choisit les représentants? En oligarchie le principe est la cooptation: on choisit ceux habilités à se faire élire parce que “du même parti”. Malheureusement, la cooptation est un processus sans fin où à chaque nouvelle étape le choix se restreint doublement: on privilégie ceux les plus proches de soi, dans son parti ceux de sa tendance, dans sa tendance ceux de sa faction, dans sa faction ceux de sa coterie... Et bien sûr, plus on restreint son choix préalable, moins on dispose de personnes à la fois fiables et compétentes. Comme on a tendance à les préférer fiables on ne s'attarde pas trop sur la question des compétences. Fiables, comprenons-nous: peu susceptibles de trahir ceux qui les ont choisies, quant à savoir si les électeurs de premier niveau peuvent leur faire confiance, c'est autre chose...

Les partisans éclairés (par les Lumières entre autres) de l'oligarchie ou l'aristocratie sont des salauds, tels que je les définis dans mon approche particulière de la sociologie. Même s'il y a quelque rapport ça n'est pas la définition sartrienne:

  • «La mauvaise foi et l’esprit de sérieux menacent sans cesse la conscience.
    Si la mauvaise foi désigne, en effet, ce mensonge à soi même, par lequel la conscience s’efforce de fuir sa liberté et son angoisse, l’esprit de sérieux peut, lui aussi, nous “pétrifier”.
    En quoi consiste-t-il? en cette attitude par laquelle, bannissant l’inquiétude et l’angoisse, nous préférons nous définir à partir de l’objet:
    L’esprit de sérieux considère que les valeurs sont données et non pas créées, qu’elles sont indépendantes de la subjectivité humaine.
    Les valeurs seraient dans le monde, avant l’homme; ce dernier n’aurait qu’à les cueillir.
    Mauvaise foi et esprit de sérieux: autant de fuites devant notre infinie liberté.
    C’est dans cette perspective qu’il faut définir le salaud, au sens sartrien du terme, comme celui qui, par mauvaise foi, se dissimule le caractère gratuit et injustifiable de l’existence:
    Le salaud considère son existence comme nécessaire alors que toute existence est injustifiée et gratuite»;
  • «Le salaud est celui qui, pour justifier son existence, feint d’ignorer la liberté et la contingence qui le caractérisent essentiellement en tant qu’homme»;
  • «Chez Sartre en revanche, la mauvaise foi n’est pas l’envers de la vérité mais de l’authenticité; c’est l’attitude du “salaud”, qui se ment pour échapper au vertige de sa liberté existentielle et se laisse piéger par le jeu pervers de sa conscience.
    “Fuir sa liberté et l’angoisse, c’est être de mauvaise foi”».

Pour partie au moins ces définitions correspondent à ma typologie du con.  En même temps la distinction ente les deux n'est pas évidente, j'ai même inventé une sentence qui le mentionne: tout con est un salaud en devenir, tout salaud est un con qui s'ignore. À quoi j'ajoute qu'il existe des “cons-salauds” et des “salauds-cons”. En gros: le salaud est la personne de mauvaise foi au double sens, celle qui ment en se sachant mentir et celle à qui on ne peut se fier, en qui on ne peut placer sa fides, sa “fiance” (sa confiance), sa “foi”; le con est aussi de mauvaise foi mais selon la seconde acception seulement, il ne se sait pas mentir mais du fait même qu'il ment, on ne peut lui accorder confiance; le “con-salaud” est la personne qui a conscience de mentir mais ignore sur quoi ou/et pourquoi elle le fait et ne veut surtout pas le savoir; le “salaud-con” se sait mentir, sait sur quoi et croit savoir pourquoi, c'est typiquement la personne qui fait preuve de cet “esprit de sérieux” où l'on «considère que les valeurs sont données et non pas créées, qu’elles sont indépendantes de la subjectivité humaine». Dans la série de billets «Décoder la “sécurité intérieure”», surtout dans sa partie II même si j'y reviens un peu par après. J'y écris notamment ceci dans une section où je cite un passage des Premiers principes d'Herbert Spencer:

«Les “rationalisateurs”, c'est-à-dire les personnes qui donnent l'apparence de la rationalité à leurs théories et hypothèses, n'ont aucune nécessité à croire en la validité de leurs propositions, il s'agit d'abord pour eux d'exposer leurs présupposés idéologiques dans une forme qui a la saveur de la vérité d'évidence».

Et un peu plus loin:

«Est-ce que Spencer croit en la validité de ses “premiers principes”? Aucune idée. Il semble que oui mais peu importe, les idéologies, il y a ceux qui les conçoivent et ceux qui les diffusent; quand les présupposés d'une idéologie sont trop distants de la réalité observable il est à-peu-près certain que ses concepteurs n'y croient pas, en revanche rien d'aussi vraisemblable pour ceux qui les diffusent, à ce qu'il en semble Spencer est “sincère”, croit sincèrement à la validité de ses présupposés et, partant de là, sélectionne dans ses propositions “rationnelles” les faits semblant aller dans le sens de ses présupposés, ignorant alors ceux qui les invalident. Comme il ne peut pas faire que la réalité se conforme obligeamment à ses présupposés il fait ce que font tous les penseurs “inductifs”, il s'ingénie à multiplier les “exceptions” sans mettre en cause le moindrement la “règle”, et tente plus ou moins adroitement de justifier la règle malgré la multiplicité des exceptions».

Dans cet alinéa je m'interroge: Spencer est-il un “salaud” (un concepteur d'idéologie), un “con” (une personne sincèrement convaincue de la vérité de ses dogmes), un “con-salaud” (se sachant mentir mais ne voulant savoir ni sur quoi ni pourquoi) ou un “salaud-con” (se sachant mentir et croyant faussement savoir pourquoi). Enfin, je m'interroge, plus ou moins: je m'interroge quant à savoir si on peut le classer dans l'une de ces catégories mais comme je l'écris, peu importe, que ceux qui conçoivent les idéologies et ceux qui les diffusent n'aient pas le même rapport à la validité de leurs présupposés, quelle importance? La seule chose importante est qu'ils les diffusent. Certes un salaud préfèrera toujours que ses idées nauséabondes et nauséeuses soient diffusés par des cons, qui ont le double avantage d'être sincères et d'être prêts à mourir pour les idées des autres, spécialement celles des salauds, mais être relayé par des salauds ou des “mixtes”, c'est bien aussi.

D'un sens le “con-salaud” est le meilleur vecteur d'une propagande spécieuse, il ajoute à sa connerie le sentiment de la culpabilité, du “péché”: il ment, donc c'est mal, mais “pour un plus grand bien”. N'empêche, “c'est mal”, ce qui l'oblige à plus de conviction encore, pour se convaincre lui-même que «c'est bien de faire le mal», ce qui entre en contradiction avec n'importe quelle morale, même celle apparemment la plus immorale ou amorale. Avec cependant un gros risque, la repentance: quand un con-salaud cesse d'être con il cesse en même temps d'être salaud mais sait de l'intérieur comment est construite l'idéologie à laquele il a cessé d'adhérer. Heureusement pour les salauds, les cons ont énormément de difficulté à croire qu'un salaud repenti a cessé d'être un salaud, c'est plutôt le contraire, même.

Ce dont je discute ici concerne le rapport de chacun au symbolique, à la “représentation”. Il y a deux bornes, la “croyance” et la “science”, que je nomme, dans «Les faits et les opinions», les opinions basées sur les croyances et les opinions basées sur les faits, une orientation, la fiance ou confiance, et un rapport propre à cette confiance, qu'on peut nommer conscience. Les opinions basées sur les croyances sont nécessairement des conneries car il faut être con pour croire sans savoir. Ça ne signifie en rien que ce qu'on croit est faux ou inexact, en revanche croire sans savoir est nécessairement ne pas se donner les moyens de déterminer si ce qu'on croit est exact ou inexact. Maintenant, une opinion basée sur les faits n'est pas nécessairement exacte ou vraie: le “spencérisme”, faussement nommé “darwinisme social” est une opinion basée sur les faits mais, comme je l'écrivais dans «Décoder la “sécurité intérieure”», «Spencer [..] sélectionne dans ses propositions “rationnelles” les faits semblant aller dans le sens de ses présupposés, ignorant alors ceux qui les invalident». Un être symbolique, ce qu'est tout humain socialisé, “place sa confiance”, toujours, mais où, mais en quoi? Spencer est assez clair sur ce point: il place sa confiance dans l'ordre social tel qu'il existe dans l'Angleterre du XIX° siècle. Est-ce que, disons, il “y croit”? Est-ce qu'il croit sincèrement que cet ordre social est “l'ordre naturel des choses”? Possible que oui, possible que non. Si c'est oui, alors il est tendanciellement “un con”, si c'est non, tendanciellement “un salaud”, c'est-à-dire que dans le premier cas il a “la conscience pure” mais “la confiance mal placée”, dans le second cas “la conscience impure” et alors la question de la confiance ne se pose pas, possible qu'il “place sa confiance dans la croyance”, par exemple la croyance que préserver l'ordre social de son époque et de sa société est une nécessité absolue, ou qu'il “place sa confiance dans la science”, en ce cas la science à la base de toute “ingénierie sociale”, qu'on peut nommer “science de la manipulation des esprits”, et qui trouve son application dans la propagande.

La force des oligarques vient de ce qu'en majorité les humains sont des “consciences sans science” ou des “sciences sans conscience”, des êtres qui ont “de la moralité” mais ne s'interrogent jamais sur les bases dogmatiques de leur morale, ou ont “du savoir” mais ne conforment jamais leur science avec leurs valeurs morales revendiquées. Considérez par exemple cette question qui ne cesse de faire débat depuis quelques années déjà, et même quelques lustres, en cette année 2023, le “complotisme”: si on y réfléchit un peu, mais vraiment très peu, il apparaît assez vite que c'est un concept creux, un concept attrape-tout ayant surtout un usage d'insulte, de disqualification. En ce premier quart de XX° siècle, si vous souhaitez «avoir toujours raisons», c'est-à-dire clouer le bec à un contradicteur, traitez-le de complotiste, d'antisémite ou de négationniste, il se trouvera dans la situation de devoir se défendre d'être d'une de ces catégories, ce qui l'empêchera de continuer à développer ses arguments ou, s'il ne s'en défend pas, ce qui disqualifiera son argumentation. Comme l'explique très bien Schopenhauer  dans L’Art d’avoir toujours raison, lors d'un débat, si on a pour but unique “avoir toujours raison” et si on ne peut obtenir ce résultat par l'argumentation, alors il faut faire des attaques ad personam (le contradicteur n'a pas les qualités requises pour argumenter sur le sujet discuté) ou ad hominem (le contradicteur est un imbécile ou pire, un malveillant). Les imputations d'“antisémitisme” ou de “négationnisme” ressortent plutôt de l'attaque ad hominem, celles de “complotisme” peuvent indifféremment ressortir des deux, selon qu'on laisse entendre ou qu'on dise explicitement que son contradicteur est un con qui gobe n'importe quelle idiotie “complotiste” ou un salaud qui propage des “post-vérités” (mot qui remplace “mensonge” en novlangue actuelle, ce qui permet de classer les “pré-vérités”, c'est-à-dire certains mensonges d'hier, parmi les “vérités”) sur de supposés complots.

La notion de complotisme est attrape-tout parce qu'elle classe dans la même catégorie des torchons et des navets, des serviettes et des carottes. L'encyclopédie Wikipédia m'est très utile pour deux choses: quand je cherche des informations fiables sur des faits concrets, c'est une source plutôt sérieuse; quand je souhaite mettre en évidence l'indétermination concernant des notions abstraites faussement supposées faire consensus je suis presque toujours bien servi. L'article «Théorie du complot» est parfait pour la deuxième classe. Voici son introduction:

«Une théorie du complot (ou complotisme, conspirationnisme, ou conjurationnisme) est un type de discours qui décrit un événement comme résultant pour l'essentiel de l'action planifiée et dissimulée d'un petit groupe, différent des acteurs apparents. Cette approche rejette l'investigation historique (multicausale et ouverte aux hypothèses en concurrence mais retenant les plus plausibles) au profit d'une explication univoque et monocausale qui voit partout les signes de l'intervention et de la puissance de ce groupe secret. Peu importe l'absence de preuves: ce serait justement la preuve de la puissance dissimulatrice des comploteurs. Peu importe également la notion de réfutabilité.
Les complots existent de tout temps, et avec eux l'idée qu'un événement funeste résulte d'un complot même s'il n'en existe aucune preuve. Mais ce n'est qu'au milieu du XXe siècle que se popularise le concept de “théorie du complot”. Ainsi, Karl Popper (dans La Société ouverte et ses ennemis, 1945) dénonce comme abusive l'hypothèse (en anglais theory) selon laquelle un événement politique est causé par l'action concertée et secrète d'un groupe de personnes qui y a tout intérêt, plutôt que par le déterminisme historique ou le hasard. Pour Peter Knight (université de Manchester), les théories du complot mettent en scène “un petit groupe de gens puissants [qui] se coordonnent en secret pour planifier et entreprendre une action illégale et néfaste affectant le cours des événements”, afin d'obtenir ou de conserver une forme de pouvoir (politique, économique ou religieux).
Depuis la fin du XXe siècle, le concept est utilisé pour disqualifier le courant antisystème, mais, en sens inverse, certains théoriciens du complot présentent toute critique de leur démarche comme une manifestation du complot qu'ils dénoncent, visant à les faire taire, et donc comme une “preuve” supplémentaire de ce complot».

On peut le constater par cette introduction, les rédacteurs de cet article ont clairement opté pour une définition empiriste “à la Popper”, ce qui est regrettable car cet empirisme scientiste a beaucoup perdu de pertinence, spécialement dans le domaine des sciences humaines et sociales. Cela mis à part, je serais presque d'accord avec cette introduction si elle ne concernait pas la notion de “théorie du complot”: il m'est arrivé de l'écrire, le “complotisme” se passe de théorie et s'il existe une “théorie du complot” elle se trouve plutôt du côté des personnes qui théorisent le (supposé) complotisme. J'aime beaucoup cette phrase: «Les complots existent de tout temps, et avec eux l'idée qu'un événement funeste résulte d'un complot même s'il n'en existe aucune preuve». Disons que j'accepte la prémisse “les complots existent de tout temps”, et que j'accepte la définition que donne le TLF, le Trésor de la langue française, du mot “complot”:

«Dessein secret, concerté entre plusieurs personnes, avec l'intention de nuire à l'autorité d'un personnage public ou d'une institution, éventuellement d'attenter à sa vie ou à sa sûreté».

Ou la définition qu'en propose le Wiktionnaire:

«Entreprise en préparation formée secrètement entre deux ou plusieurs personnes contre l’intérêt d’un État (ou au sein même de l'État), d’un groupe de personnes ou une personne».

Un complot est un “dessein secret” ou une “entreprise menée secrètement”. S'il me semble “discerner un complot”, par nécessité, au moment où il est formé et réalisé,  «il n'en existe aucune preuve». Ou alors ce n'est pas un complot. En ce cas je me trompe de mot, je nomme “complot” une «entreprise [...] formée [...] entre deux ou plusieurs personnes contre [...] un État [...], un groupe de personnes ou une personne». mais qui n'a pas un caractère secret. Pour exemple d'un «dessein secret, concerté entre plusieurs personnes, avec l'intention [...] d'attenter à [la] vie ou à [la] sûreté». de personnes ou de groupes, parfois d'institutions, l'«opération Condor»:

«L’opération Condor (en espagnol: Operación Cóndor) est la campagne d'assassinats et de lutte anti-guérilla conduite conjointement par les services secrets du Chili, de l'Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Paraguay et de l'Uruguay, avec le soutien tacite des États-Unis au milieu des années 1970. Les dictatures militaires alors en place en Amérique latine – dirigées à Santiago du Chili par Augusto Pinochet, à Asuncion par Alfredo Stroessner, à Buenos Aires par Jorge Rafael Videla, à Montevideo par Juan Bordaberry, à Sucre par Hugo Banzer et à Brasilia par Ernesto Geisel – ont envoyé des agents secrets poursuivre et assassiner les dissidents politiques jusqu'en Europe (France, Italie, Portugal, Espagne...) et aux États-Unis (phase 3 de l'opération Condor, qui culmina avec l'assassinat d'Orlando Letelier, ancien ministre de Salvador Allende, en septembre 1976 à Washington D.C..

Il y a une inexactitude dans cette présentation, «avec le soutien tacite des États-Unis»: le soutien fut explicite. Fait doute la participation active de ce pays à cette opération, mais ni sa connaissance de l'opération, ni l'accord tacite donné aux dirigeants des pays impliqués au moins durant l'administration Nixon, ni d'ailleurs la participation d'agents de la CIA et du FBI à certaines actions dans le cadre de cette opération mais sans qu'on sache si eux-mêmes ou leurs supérieurs savaient qu'elles entraient dans cette opération. Disons, le contexte général de “guerre froide” de ces années-là faisait que dans les métropoles des deux blocs, Washington et Moscou, si les gouvernements ou les services secrets n'étaient pas directement impliqués, le plus souvent ils étaient au courant de ces activités “complotistes” (c'est un des autres sens du mot: le complotisme est aussi le fait de fomenter et réaliser un complot) et indirectement impliqués, ne serait-ce que par leur soutien actif de gouvernements installés à la suite d'un coup d'État, parfois (souvent) avec une aide directe des métropoles et de leurs services. Voilà un complot en bonne et due forme, un «dessein secret, concerté entre plusieurs personnes, avec l'intention de nuire à des personnes et des groupes.

Est-ce qu'on a vraiment besoin de preuves pour savoir que dans la décennie 1970 exista un complot international fomenté par les dirigeants des États d'Amérique Latine ayant connu un coup d'État militaire dans cette décennie ou celle d'avant? Non. A-t-on besoin de savoir si les États-Unis, la France, l'Espagne y participèrent au moins tacitement, selon toute vraisemblance activement? Non. Pourquoi? Parce qu'à cette période il y avait deux très gros desseins concertés entre divers gouvernements, avec intention de nuire à l'autorité de personnages publics, d'institutions et d'États, si nécessaire attenter à la vie de personnes, à la sûreté de personnes, d'institutions et d'États, et dans ce cadre les dictatures militaires d'Amérique Latine étaient fortement soutenues par le bloc dont la métropole se trouvait aux États-Unis, et ne s'embarrassaient pas trop de respect du droit et des personnes dans leur acharnement à lutter contre les opposants avérés ou supposés. Ailleurs ces gouvernements douteux et sans scrupules étaient alliés de “l'autre bloc” et là non plus, pas besoin d'avoir des preuves pour savoir que si un opposant mourait de manière suspecte dans son pays ou dans un pays d'accueil censé assurer sa protection, il y avait de fortes chances que les services secrets de son pays ou d'un pays “ami” y soient pour quelque chose. Ces deux “desseins concertés” n'avaient rien de secret mais n'hésitaient pas s'il le fallait à user de pratiques très douteuses, et secrètes, pour parvenir à leurs fins. N'hésitaient pas à comploter.

On peut dire que le “complotisme” tel que défini dans l'article de Wikipédia, comme «un type de discours qui décrit un événement comme résultant pour l'essentiel de l'action planifiée et dissimulée d'un petit groupe, différent des acteurs apparents», et plus précisément comme une «approche [qui] rejette l'investigation historique (multicausale [...]) au profit d'une explication univoque et monocausale qui voit partout les signes de l'intervention et de la puissance de ce groupe secret», ne correspond qu'à l'une des formes de discours réputées “complotistes”, les trois principales autres formes correspondant,

  1. à ce qu'on pourrait nommer “fausse rationalité”, qui consiste à trouver une explication simple à une phénomène complexe sans pour cela nécessairement la percevoir et la décrire comme un complot,
  2. à une des formes possibles de la propagande, celle dite “désinformation”, et qui ressort du complot, et non du “complotisme”,
  3. à un discours argumenté sur des processus de type complotiste (ayant les caractéristiques d'un complot, que le dessein des personnes qui le suscitent ou l'animent soit secret ou non), tenu par ce que l'article qualifie de «courant antisystème», et contre qui, «depuis la fin du XXe siècle, le concept est utilisé pour [le] disqualifier».

Malgré son approche très “poppérienne” l'introduction de l'article laisse apparaître qu'il existe ces trois usage du terme, ce qui n'empêche ses rédacteurs, par la suite, de retomber dans cette ornière de la simplification poppérienne en ce qui concerne les faits sociaux et leur étude: si ce n'est pas “réfutable” ce n'est pas “scientifique”, et si ce n'est pas “scientifique” c'est “faux” car “indémontrable”. La réalité étant plus complexe que sa simplification scientiste (en non pas scientifique), ce raisonnement s'applique assez mal à tout ce qui ne peut en aucun cas faire l'objet d'une étude, et bien, simplifiée des phénomènes telle qu'on peut la faire en laboratoire ou par logique mathématique ou algébrique. Même si, et l'article sur Karl Popper le mentionne, dans les sciences dites exactes les choses ne sont pas aussi simples qu'il semblait le croire, on peut du moins imaginer des procédés permettant de faire une “réduction”, c'est-à-dire étudier un phénomène dans une modélisation réelle (expérience de laboratoire) ou formelle (expérience de pensée) réduite, simplifiée. Pour les faits sociaux on ne le peut pas, sans pour cela qu'on ne puisse en avoir une compréhension de type scientifique, mais non réductionniste. L'article de Wikipédia oscille entre une approche plus sociologique, donc plus complexe, et une approche réductionniste donc simplificatrice, entre autres ça se marque par le fait que dans la partie “descriptive” des “théories du complot”, au titre lui-même simplificateur, «Culture conspirationniste», on mélange des “complotismes” des trois types en les présentant comme “de la même sorte”, c'est-à-dire tout uniment de la sorte «qui voit partout les signes de l'intervention et de la puissance [d'un] groupe secret» derrière les “cas” mentionnés.

Sur la première forme pas grand chose à dire. En un sens, l'hypothèse de la “théorie du complot” en ressort, du moins quand elle est invoquée par un locuteur “naïf”, un “con sociologique”, «une personne sincèrement convaincue de la vérité de ses dogmes»: si à la fois on est convaincu que “les complots ça n'existe pas” et on cherche à une explication au fait qu'il y a“ des personnes qui croient qu'existent des complots”, on est amené à invoquer une explication simple qui vaut pour tous les cas, et celle de la “théorie du complot” convient alors très bien. Intéressant de constater que, sous un aspect au moins, cette explication par “la théorie du complot” est... “complotiste”. Elle l'est quand, et bien, elle cite des cas où un supposé “groupe secret” agit “de manière concertée” pour répandre des rumeurs “complotistes”. Un supposé groupe secret car selon les cas ce groupe n'est pas secret (QAnon par exemple), et n'agit même pas dans le secret, ou “on” (la personne qui le mentionne) postule son existence «même s'il n'en existe aucune preuve», cas récurrents d'accusation de “la main de Moscou” ou “la main de Washington” derrière “un groupe de hackers” qui “répand des fausse rumeurs” dans le but précis «de nuire à l'autorité d'un personnage public ou d'une institution, éventuellement d'attenter à sa vie ou à sa sûreté». Bref, postule “quelque chose comme” un complot, factuellement postule un complot...

Dans la liste de cas étiquetés «Culture conspirationniste», on trouve le «complot sur le programme spatial américain». Factuellement il s'agit des rumeurs sur le programme Apollo, qui ne supposent pas nécessairement un “complot”, tout au plus une “manipulation de l'opinion” visant à faire passer pour réel un événement fictif. Voici ce qu'en dit l'article:

«Les rumeurs sur le programme Apollo, selon lesquelles l'alunissage des engins de la NASA n'aurait jamais eu lieu et ne seraient qu'une mise en scène, entrent également, selon de nombreux commentateurs, dans le cadre d'une théorie du complot».

On est ici typiquement dans le cas de «l'extension infinie du champ de la “théorie du complot”»: s'il n'y a pas de preuve, c'est “complotiste”, si c'est “complotiste”, alors ça entre dans “la théorie du complot”. Il est exact que certains “complotistes” intègrent ces rumeurs dans un ensemble concourant à construire une hypothèse ou une théorie du Grand Complot International, ici celle où le “chef d'orchestre” est les États-Unis, plus précisément son gouvernement fédéral (dans d'autres cas c'est “les Communistes”, aujourd'hui “Poutine”, bref, “Moscou”, ou “la judéo-franc-maçonnerie”, ou “les illuminatis”, parfois tout ça en même temps, avec des noms du genre “la Pieuvre” ou “les Maîtres du Monde”), mais beaucoup de personnes prêtes à croire que les alunissages étasuniens n'ont jamais eu lieu n'en ont pas une perception “complotiste” et supposent simplement une volonté propagandiste de type publicitaire, “se faire mousser”, sans plus.

Dans cette liste on trouve aussi un sous ensemble «Complots américains» où figure en premier un «Complot impliquant les services secrets américains» au singulier abusif puisqu'il recense plusieurs “complots” où sont cités la CIA et parfois le FBI. La c'est plus complexe, à la base il y a un discours argumenté sur des processus ayant les caractéristiques d'un complot, même quand le dessein n'est pas secret, ne serait-ce que, dans les cas où un service secret, spécialement un service extérieur, est impliqué, nécessairement il y a une part de secret. Le premier alinéa de cette partie permet de comprendre l'indétermination de l'imputation dépréciative “théorie du complot” dans de tels cas:

«Les États-Unis sont au cœur de nombreuses théories du complot, notamment du fait des nombreuses activités illicites perpétrées par la CIA tout au long du XXe siècle. La question de l'intervention des multinationales américaines ou de la CIA dans les coups d'État de la seconde moitié du XXe siècle en Amérique latine (Bolivie, Panama, Nicaragua...) est controversée. Leur intervention est parfois historiquement documentée (l'opération PBSUCCESS ou le coup d'État chilien du 11 septembre 1973 par exemple); alors que dans certains cas, seuls des soupçons alimentent l'idée d'un complot».

C'est bête à dire mais que ce soit dans une “guerre chaude” ou une “guerre froide”, une des fonctions essentielles des service secrets extérieurs est de déstabiliser l'adversaire y compris en participant à des complots, en les suscitant ou en les réalisant, et comme la CIA est un service de ce type, elle a effectivement participé à des complots ou les a mis en œuvre, comme tous les autres service secrets extérieurs. Elle continue de le faire bien sûr, on le sait parce qu'après l'accession à la présidence des États-Unis de Barack Obama (non de ce fait mais parce qu'après un certain délai beaucoup de “rapports secrets”, dont ceux de la CIA, sont déclassifiés aux États-Unis) est apparu que dans le cadre de la “guerre contre le terrorisme” initiée par son prédécesseur, la CIA eut beaucoup d'activités totalement hors cadre légal et complotistes au plein sens du terme, des “desseins secrets” (etc.). Comme dit l'article, «l'intervention des multinationales américaines ou de la CIA dans les coups d'État de la seconde moitié du XXe siècle [...] est parfois historiquement documentée [...] alors que dans certains cas, seuls des soupçons alimentent l'idée d'un complot». Mais, pourquoi certains cas sont documentés? Parce qu'un soupçon existait, étayé par des concordances, qui a induit des personnes à chercher des preuves, et à les trouver, y compris donc dans les archives des services soupçonnés. Si Wikipédia avait existé en 1983, le coup d'État militaire de 1973 au Chili aurait figuré dans la liste “seuls des soupçons”; en 2023 il est dans la liste “historiquement documenté”.

Maintenant, est-ce que l'implication du gouvernement des États-Unis, de la CIA et de certaines multinationales étasuniens dans la préparation et la réalisation du coup d'État de 1973 au Chili “faisait doute” en 1983 ou même en 1973? Non. Et j'ajoute, ne faisait doute pour personne, ni pour ses détracteurs ni pour ceux qui l'approuvèrent. Il faut se replacer dans le contexte: la “guerre froide” n'était “froide” que pour les acteurs principaux (et encore, pas si froide que ça même dans ces pays, disons, elle ne donnait pas lieu à une guerre ouverte, “chaude”, mais ça ne les garantissait pas d'une paix sereine et sans troubles intérieurs), dans d'autres entités politiques la lutte entre les deux “blocs” résultait en des conflits on ne peut plus “chauds”, en des guerres de frontières, des guerres d'invasion, des guerres civiles, chaque “bloc” soutenant parfois ouvertement et par des interventions directes (au Vietnam, à Cuba...) un des camps, ou discrètement et moins directement, mais on n'avait pas besoin de preuves pour savoir ce qu'il en était. Que le “bloc de l'ouest” ou le “bloc de l'est” nie son implication évidente était “de bonne guerre” c'est-à-dire, dans le contexte, permettait à chacun d'éviter une confrontation directe entre les acteurs principaux, sans pour cela qu'il y ait le moindre doute quant à l'implication de l'un ou l'autre bloc, ou des deux. Il est des cas où l'absence de preuves permet le doute, et d'autres où ce n'est pas le cas. Les coups d'États au sens strict, c'est-à-dire les prises de pouvoir violentes et rapides par des groupes organisés militaires ou paramilitaires dans des États à la superstructure solide (dont les institutions ne sont pas déliquescentes) ne permettent pas le doute: il y a derrière cet événement un “complot”, un «dessein secret, concerté entre plusieurs personnes, avec l'intention de nuire à l'[...] une institution», en ces cas à un gouvernement. Qui parfois est lui-même issu d'un coup d'État antérieur.

Ce développement un peu long sur les complots (ou supposés complots), le “complotisme” et la “théorie du complot”, pour démêler les choses et bien comprendre l'usage des termes “complotisme” et “théorie du complot” dans le débat public en ce début de XX° siècle. Je ne sais pas si vous connaissez la philosophie de base de Wikipédia. Elle s'articule sur cinq «principes fondateurs»:

«* Wikipédia est une encyclopédie;
* Wikipédia recherche la neutralité de point de vue;
* Wikipédia est publiée sous licence libre;
* Wikipédia est un projet collaboratif qui suit des règles de savoir-vivre;
* Wikipédia n’a pas d’autres règles fixes que les cinq principes fondateurs énoncés ici».

Les trois derniers n'ont qu'une conséquence interne et ne m'intéressent pas ici. Le premier concerne la manière dont les articles sont nourris: ce qu'on y lit doit provenir de sources externes considérées “fiables” et doit nécessairement être “de seconde main”; ce n'est pas strictement le cas, si je décide par exemple de créer un article sur la sauce béchamel je n'ai pas vraiment nécessité à citer une “source fiable secondaire” ni même quelque source que ce soit tant cette recette est commune, est d'une “évidence première” qui se passe de preuve. Bien sûr, si je développe un peu l'article en donnant l'histoire de son invention, les appréciations diverses des gastronomes, cuisiniers, amateurs de bons plats, les variantes, etc., là il me faut “sourcer” et “documenter”. Si je décide de créer ou modifier un article «Arguments sur l'existence de Dieu» c'est autre chose, là j'ai intérêt à citer force sources réputées fiables sous peine de voir en début d'article les bandeaux infâmants «Cet article ne cite pas suffisamment ses sources» et «Cet article peut contenir un travail inédit ou des déclarations non vérifiées». Non que ce soit rhédibitoire, ces deux bandeaux ont été placés sur cet article depuis au moins mai 2016 et son contenu de l'époque a été fort peu modifié depuis.

Le second principe est une conséquence du premier. Voici leurs descriptions in extenso:

«* Wikipédia est une encyclopédie qui incorpore des éléments d’encyclopédie généraliste, d’encyclopédie spécialisée, d’almanach et d’atlas. Elle n’est pas une compilation d’informations ajoutées sans discernement. Elle n’est pas non plus une source de documents de première main et de recherche originale, ni une tribune de propagande. Wikipédia n’est pas un journal, un hébergeur gratuit, un fournisseur de pages personnelles, un réseau social, une série d’articles promotionnels, une collection de mémoires, une expérience anarchiste ou démocratique, ou un annuaire de liens. Enfin, ce n’est pas l’endroit où faire part de vos opinions, expériences ou débats. Toutes les personnes participant à l'élaboration de ses articles se doivent de respecter l’interdiction sur les recherches originales (dites aussi “travaux inédits”) et de rechercher une exactitude aussi poussée que possible.
* Wikipédia recherche la neutralité de point de vue, ce qui signifie que les articles ne doivent pas promouvoir de point de vue particulier. Parfois, cela suppose de mentionner plusieurs points de vue et de représenter chacun de ces points de vue aussi fidèlement que possible, en tenant compte de leur importance respective dans le champ des savoirs. Cela suppose également de fournir le contexte nécessaire à la compréhension de ces points de vue selon les sources qui les portent, et de ne représenter aucun point de vue comme étant la vérité ou le meilleur point de vue. Ces conditions permettent la vérification des informations en citant des sources faisant autorité sur le sujet (particulièrement dans le cas de sujets controversés)».

Ces deux principes font que dans tous les articles pouvant prêter à controverse l'un au moins n'est pas respecté. L'article mentionné ne cite-t-il pas suffisamment ses sources? Possible,  mais il s'agit d'un compendium, «un abrégé ou un condensé, sous la forme d'une compilation, d'un corpus de connaissances», il renvoie aux articles où chaque “argument” est développé, et presque tous ne sont pas réputés ne pas suffisamment citer leurs sources. Contient-il un travail inédit ou des déclarations non vér0ifiées? C'est un compendium, donc il contient des informations de seconde main, celles figurant déjà dans les articles plus développés, qui certes peuvent ne pas avoir été “vérifiées” (reprises depuis une “source fiable”) ou constituer un “travail inédit” mais comme ce n'est pas indiqué dan ces articles, les rédacteurs de celui-ci peuvent les considérer “fiables” et “non inédits”. En fait, la pose de ces bandeaux démontre simplement l'impossibilité de réaliser les deux premiers principes: aucune source ne peut être proprement qualifiée de sûre, aucun travail ne peut être certifié “non inédit”, et aucune formulation ne peut être considérée comme exprimant un point de vue “neutre”. Ces bandeaux nous disent: “je” [le(s) poseur(s) de bandeaux] considère que l'article en question ne respecte pas ma conception de la “neutralité” et de la “fiabilité”. En tant que lecteur (et anciennement contributeur) de Wikipédia j'estime que cet article est assez neutre, assez ou suffisamment sourcé, plutôt fiable, et n'expose aucun travail inédit, et semble-t-il mon avis est partagé par les contributeurs de l'encyclopédie puisque même ceux qui ont posé ces bandeaux n'ont pas significativement modifié son contenu depuis près de sept ans, désormais. Je pourrais vous citer des dizaines, des centaines d'articles où ça n'est pas le cas, où il y a ce qu'en interne on appelle des “guerres d'édition”, des articles pour lesquelles une “neutralité de point de vue” est totalement exclue et où les intervenants tentent, ou bien de faire prévaloir le leur, ou bien d'empêcher que soient mentionnés ceux qui vont à l'encontre du leur.

L'article «Théorie du complot» semble ne pas ou ne plus faire dissensus. Je le disais, il appartient désormais à la classe des notions abstraites faussement supposées faire consensus. C'est déjà difficile pour les notions concrètes, pour celles abstraites c'est impossible, elle font toujours dissensus, donc, quel est le point de vue non neutre adopté en tant que “point de vue neutre”? Celui exprimé au début du second alinéa de son introduction: «les complots existent de tout temps, et avec eux l'idée qu'un événement funeste résulte d'un complot même s'il n'en existe aucune preuve». Dans sa totalité cette assertion constitue un paradoxe. Au début elle postule que les complots existent, ce que confirme l'article «Conjuration» vers lequel renvoie l'article «Complot»:

«Une conspiration est soit une entente secrète entre plusieurs personnes en vue de renverser le pouvoir établi, soit une organisation en vue d'attenter à la vie ou la sûreté d'une autorité. Le terme “conspiration” et ses quasi-synonymes, notamment “complot” et “conjuration”, ont fait l'objet de distinctions sémantiques par plusieurs spécialistes de la langue.
Les objectifs d'une conspiration sont variés, ainsi que ses moyens. Le faux témoignage et la rumeur, l'enlèvement, l'attentat, l'assassinat et le coup d'État sont parmi les méthodes les plus visibles et les plus utilisées des conspirations connues. Si un coup d'État nécessite généralement le secret des putschistes, tous les assassinats et tous les attentats ne s'inscrivent pas dans le cadre d'une telle union secrète, et certains peuvent même être ouvertement tramés».

Je suis un de ces “spécialistes de la langue” qui font des distinctions sémantiques entre les trois termes mais peu importe ici, les rédacteurs de Wikipédia ayant décidé de n'en pas faire puisque “complot” renvoie vers “conspiration”, cette présentation vaut pour les deux. Ici c'est clair et sans équivoque: les complots “ça existe” et ça résulte, ou veut résulter, en un “événement funeste” qui n'est pas qu'une “idée”. Sans discuter de “qui est derrière”, assez clairement aussi, et comme je le mentionnais à-peu-près moi-même, un coup d'État est par nature un complot, est une entreprise secrète, concertée, entre plusieurs personnes, en vue d'attenter à la sûreté d'une autorité, ainsi qu'à celle de certaines personnes, en ce cas la sûreté de l'État et de son gouvernement légal. Il y a dans tout cela un implicite, les complots et conjurations c'est “mal”, c'est “le mal”, un complot c'est secret donc “ça dissimule quelque chose”, et dissimuler implique une “mauvaise intention”. Les choses ne sont pas si simples: la révolution des Œillets, par exemple, résulte d'un complot, d'une conjuration, mais un “complot démocratique” conçu et réalisé non pour faire un coup d'État à proprement parler mais une sorte de “contre-coup d'État”. Comme le rappelle l'article de Wikipédia:

«La révolution des Œillets a la particularité de voir des militaires, porteurs d'un projet démocratique (mise en place d'un gouvernement civil, organisation d'élections libres et décolonisation), renverser un régime, sans pour autant instaurer un régime autoritaire».

Mais quel régime renversent-ils? Un régime dictatorial issu d'un coup d'État militaire qui avait pour but, cette fois-là, en 1926, d'instaurer un régime autoritaire et au bout du compte, dictatorial, avec à sa tête un dictateur inamovible, Salazar. Un “contre-coup d'État” donc puisque le projet des “conjurés”, qui fut réalisé sans délai même si ça prit environ deux ans à se concrétiser, fut de rétablir un régime républicain, celui qui fut mis à bas en 1926, et qui est faussement présenté, au début de l'article «Proclamation de la République portugaise», comme «le résultat du coup d'État organisé par le Parti républicain portugais»: c'est le résultat d'une révolution qui ne fut même pas proprement initiée par ce parti, ses principaux membres étant absents de Lisbonne quand elle éclata, et en dehors du coup (qui n'était pas d'État...).

Sauf rares exceptions (enfin, je dis ça de manière rhétorique vu qu'il ne me vient à l'esprit aucun exemple d'exception) un changement de régime résulte d'un “renversement”. Les “exceptions” auxquelles je songeais sont du genre de ce qui se passa au Portugal en 1910 puis de nouveau en 1974, avec un régime qui est “tombé tout seul”, renversé par sa propre incapacité à se soutenir face à un mouvement insurrectionnel: ces deux révolutions ont la particularité de n'avoir fait aucun mort chez les vaincus, et chez les vainqueurs très peu (quelques dizaines) en 1910, presque aucun (quatre personnes tuées par les forces de sécurité) en 1974. Mais il y a deux sortes de renversements: ceux qui résultent d'un mouvement “non secret” et “non conjuré”, et ceux qui résultent d'un mouvement “secret” et “conjuré”; seuls les seconds peuvent être qualifiés de complots ou conspirations. Ce qui n'induit pas pour cela un caractère “mauvais”, “néfaste”, à cette conjuration.

Le cas du coup d'État de 1974 au Portugal est intéressant sur ce point. Comme l'article l'explique assez bien, on peut voir que les “conjurés” sont presque tous des militaires dont, même s'ils ne sont pas directement impliqués, les deux militaires de plus haut rang, l'un d'eux, Costa Gomes, à la fois très intégré au système et très critique envers lui, et qui participa en 1961 à un premier projet de coup d'État. Il faut comprendre que dans une dictature il en va comme dans toute entité politique, il y a une seule manière de progresser, faire partie de la structure qui dirige. Il est donc très logique d'y voir des militaires de haut rang et des personnes assez proches du sommet du pouvoir parmi des conjurés, y compris quand cette conjuration a pour but non de prendre le pouvoir mais de contribuer à un changement de régime: les meilleures écoles sont celles qui forment les élites, donc dans une dictature militaire les écoles militaires. D'où, les personnes qui peuvent avoir à la fois le souhait d'un changement et les capacités d'organiser les conditions de ce changement sont aussi celles qui participent au régime en cours dans les plus hautes sphères. Il est très intéressant de constater que les deux principaux instigateurs du coup d'État avorté de 1961, Júlio Botelho Moniz et Francisco da Costa Gomes, s'ils furent écartés du pouvoir “civil”, ne furent pas réellement inquiétés et restèrent par la suite aux plus hautes positions dans l'armée. On peut à la fois être un opposant, y compris parfois un opposant actif, au régime, et un “bon élément” de sa structure. On voit d'ailleurs la même chose dans le cas inverse: les conjurés de 1926 étaient encore, la veille de leur coup d'État, des “bons éléments” de l'armée, obéissants et fidèles aux autorités qu'ils se préparaient à destituer manu militari...

On peut dire ceci: des complots, il y en a tout le temps et partout. Presque tous sont “publics”, connus, visibles, même si tous comportent des éléments de secret, tout simplement parce que pour réussir et se maintenir un complot doit contourner l'obstacle des complots concurrents. Les oligarques, tous les oligarques, quelle que soit l'idéologie dont ils se réclament, se confrontent toujours au même problème, en quelque lieu et quelque temps que ce soit: agir en faveur de son seul groupe d'appartenance en mobilisant ou s'accaparant une part substantielle des ressources sociales est désapprouvé par tous les membres de la société n'appartenant pas à leur groupe; ils peuvent cependant presque toujours compter sur le fait que pour des raisons diverses, les situations mettant en cause la pérennité de la superstructure qui leur permet de maintenir leur position et de monopoliser une large part des ressources sociales sont rares. Ces raisons sont, entre autres:

  • l'existence de groupes concurrents, insatisfaits de n'être pas bénéficiaires de la plus grosse part du gâteau mais nullement désireux qu'on change son mode de répartition, l'idée étant que mieux vaut n'avoir qu'une portion réduite que se contenter des miettes, en attendant de pouvoir avoir la grosse part à son tour;
  • une couche “intermédiaire” de membres qui reçoivent une part encore plus réduite mais nettement plus grosse que celle dévolue aux couches “inférieures”, et dont la taille de la part est liée à l'organisation de la superstructure;
  • une couche “inférieure haute” qui est le relais de la couche “intermédiaire” dans la couche “inférieure” et qui s'accapare les plus grosses miettes ou les plus gros tas de miettes pour autant qu'elle assure la préservation de la superstructure;
  • une couche “inférieure moyenne” qui se distingue très peu de la couche “inférieure basse” sinon par sa capacité d'agir “librement“ mais seulement à l'encontre de sa couche et de celle en-dessous, toute tentative d'agir “librement” vers le haut lui valant des sanctions bien plus importantes que celles qu'elle encourt en agissant ainsi dans sa couche et celle en-dessous.

Les “vrais libres” sont la couche “supérieure”, celle des oligarques, et la couche “intermédiaire”, tenant compte du fait que comme dans celle des oligarques, dans les couches secondaire, “intermédiaire”, et tertiaire, “inférieure”, il y a une hiérarchie, donc si d'une certaine manière les oligarques sont tous “également libres” même si “inégalement favorisés”, les membres de la couche “intermédiaire” sont “inégalement libres”, quant aux membres de la couche “inférieure”, aucun n'est proprement “libre”, celle “inférieure haute” est “libre par délégation”, c'est-à-dire, jouit d'une certaine liberté octroyée par la couche “intermédiaire” dans une domaine strictement délimité où elle agit en ses lieu et place, quant à la couche “inférieure moyenne” elle n'a qu'une illusion de liberté: pour la couche “inférieure haute” comme pour la couche “intermédiaire”, plus mobile dans sa hiérarchie, il y a un “plafond de verre”, pour celle “inférieure moyenne” une sorte de “plancher de fer”, elle se croit “au-dessus” mais se situe formellement au même niveau que celle “inférieure basse”, et vouloir passer au-dessus du plancher c'est prendre un gros risque, car il est interdit aux habitants des bas-fonds de se hisser au-delà.

Tout ça est symbolique mais les humains sont des animaux symboliques, et non des animaux politiques, ça c'est une conséquence. Ou une cause peut-être bien, si du moins ça fait une différence. Disons, l'univers politique est un univers symbolique, savoir si l'humain est consubstantiel à l'univers politique ou lui est antérieur ou postérieur, difficile à dire, à mon avis les humains sont d'abord symboliques, ensuite et quand ça se présente, politiques, mais quand ils sont politiques, difficile de distinguer les deux faits.

Pour en revenir aux oligarques et à la superstructure, considérez la situation actuelle: on me dit que je vis en démocratie, que la France est une démocratie, que l'Union européenne est démocratique puisque l'union de vingt-sept États qui sont tous de démocraties, que le monde entier est démocratique puisque toutes les nations du monde sont unies dans une organisation démocratique, l'Organisation des nations unies, enfin non, pas tous, il existe une petite poignée de nations qui n'en font pas partie mais comme elles sont toutes, sauf une, associées à des États qui en font partie, ça revient au même. D'ailleurs, même l'unique nation qui est censément en dehors de tout ça, le Vatican, a tout de même un rapport avec son environnement immédiat, l'Italie, tel que sa monnaie est la même, antérieurement la lire, aujourd'hui l'euro. En outre, bien que non-membre de l'ONU il est “observateur permanent”, bref un “membre non membre”. Je suppose que, sinon le Vatican et la Palestine, autre “membre non membre” de l'ONU, qui pourraient ne l'être pas, toutes les nations sont démocratiques puisque membres de l'ONU mais n'en suis pas certain. En tout cas je sais que la France et les vingt-sept autres États-membres de l'UE, ainsi que son ancien membre le Royaume-Uni, et aussi tous les États européens minuscules qui partagent beaucoup de choses, dont leur monnaie, avec leurs voisins de l'UE, ainsi que les quelques États qui se sont vus proposer d'entrer dans l'UE mais ont décliné la proposition (Suisse, Norvège, Islande, entre autres) et que ceux actuellement en attente d'une admission, dont l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, la Turquie et l'Ukraine, puisque pour simplement figurer dans la liste des admissibles le caractère démocratique du régime est un prérequis. Certes, pour l'ONU ça se discute, dans la Charte, que tous ses États membres s'engagent à respecter, il est plusieurs fois fait mention des droits humains, des “droits de l'homme”:

  • «Réaliser la coopération internationale [...] en développant et en encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous» (article 1);
  • «Faciliter pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, la jouissance des droits de l'homme et des libertés fondamentales» (article 13);
  • «Les Nations Unies favoriseront [...] le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous» (article 55);
  • «[Le Conseil économique et social] peut faire des recommandations en vue d'assurer le respect effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous» (article 62);
  • «Le Conseil économique et social institue des commissions pour les questions économiques et sociales et le progrès des droits de l'homme [...]» (article 68).

Dans une des pages de son site consacrée à la démocratie, il est précisé:

«La démocratie est l’une des valeurs et des principes de base universels et indivisibles des Nations Unies. Elle fournit le cadre naturel pour la protection et la réalisation effective des droits de l’homme. La Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’Assemblée générale en 1948, énonce clairement le concept de démocratie, tandis que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) pose les fondements juridiques des principes de la démocratie au regard du droit international».

Ce qui est inexact. Dans la Déclaration universelle des droits humains (des “droits de l'homme”) on ne trouve que ceci:

«Dans l'exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n'est soumis qu'aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d'assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d'autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l'ordre public et du bien-être général dans une société démocratique» (article 29, alinéa 2).

On y trouve donc la mention «société démocratique» sans que cette déclaration «énonce clairement le concept de démocratie», elle énonce le mot, ou plutôt un de ses dérivés, sans définir le concept. Dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques on trouve aussi la mention «société démocratique» à plusieurs reprises sans qu'elle soit définie mais, c'est curieux, uniquement de manière restrictive, avec cette formule rituelle et assez vague:

«L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d'autrui» (articles 21 et 22).

Et avec cette proposition:

«Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. Le huis clos peut être prononcé pendant la totalité ou une partie du procès soit dans l'intérêt des bonnes moeurs, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, soit lorsque l'intérêt de la vie privée des parties en cause l'exige, soit encore dans la mesure où le tribunal l'estimera absolument nécessaire lorsqu'en raison des circonstances particulières de l'affaire la publicité nuirait aux intérêts de la justice; cependant, tout jugement rendu en matière pénale ou civile sera public, sauf si l'intérêt de mineurs exige qu'il en soit autrement ou si le procès porte sur des différends matrimoniaux ou sur la tutelle des enfants» (article 14, alinéa 1).

Curieusement donc, ou peut-être pas si curieusement, c'est à voir, tant dans cette “déclaration universelle” que dans ce “pacte international” on la mentionne sans la définir clairement, et dans le pacte, uniquement pour préciser, en gros, que même dans une “société démocratique” il est des cas où un droit humain universel et fondamental, censément intangible, peut être restreint. Ce dont je ne doute pas, vivre dans une société, que celle-ci soit ou non démocratique, c'est “vivre dans la loi”, et celle-ci peut tantôt étendre, tantôt restreindre une liberté, un “droit”, pour sa propre préservation, celle de ses membres ou de ses institutions. En revanche, il me faut bien douter de cette affirmation:

«La Déclaration universelle des droits de l’homme [...] énonce clairement le concept de démocratie, tandis que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques [...] pose les fondements juridiques des principes de la démocratie».

Remarquez, la deuxième phrase du texte de la page de l'ONU consacrée à la démocratie pouvait déjà me faire douter de ce qui suivrait:

«[La démocratie] fournit le cadre naturel pour la protection et la réalisation effective des droits de l’homme».

Supposer un “cadre naturel” à ce qui est à l'évidence d'ordre culturel, ça ne va pas, ça ne me va pas. Un droit ne peut pas être “naturel”, et un cadre culturel, celui d'une société humaine, ne peut pas être “naturel”. On se trouve donc avec ces deux problèmes, ces deux affirmations qui posent, qui me posent problème: prétendre qu'existe un “cadre naturel” pour permettre la réalisation d'un fait culturel; prétendre que deux textes qui ne le font pas, l'un «énonce clairement le concept de démocratie», l'autre «pose les fondements juridiques des principes de la démocratie». En fait, le second, le “pacte international” (“le Pacte”) , part du principe donné dans la page sur la démocratie, la “déclaration universelle” (la DUDH), «énonce clairement le concept de démocratie»., donc point n'est besoin de l'énoncer clairement, de le définir, dans le Pacte, mais la DUDH ne le faisant pas, il reste tout aussi flou dans le Pacte, sinon pour une chose: il est des cas où on peut restreindre ou suspendre les droits humains, ou certains d'entre eux, y compris «dans une société démocratique». Au fait, il se peut que vous ne l'ayez pas remarqué: il en va de même dans la DUDH que dans le Pacte: le seul article où apparaît le mot “démocratique” est un article restrictif: «Dans l'exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n'est soumis qu'aux limitations établies par la loi [...] dans une société démocratique». Bref, non seulement on n'y définit pas “le concept” mais quand on le mentionne c'est seulement pour exprimer que “les droitys humains ont des limites”, y compris en démocratie. Ce qui est vrai, mais c'est vrai dans toute société, démocratique ou non: les droits sont posés et limités par la loi.

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