Les commentateurs sportifs politiques tendent à supposer une autre organisation, un “régime présidentiel”, alors que le régime est oligarchique; les mêmes prétendant que la France est une démocratie, mais une démocratie monarchique ou une monarchie démocratique, aussi contradictoires soient les deux termes.
Formellement, la France est quelque chose comme une aristocratie pour partie sélective, pour partie élective, c'est-à-dire qu'elle distingue ses élites “par le mérite” ou “par le plébiscite”, sur concours ou lors d'une opération de vote. C'est formel. Comme la majorité des régimes aristocratiques celui-ci a évolué vers l'oligarchie, et d'autant plus facilement ici que ni la IV° ni la V° Républiques n'ont modifié significativement la superstructure, laquelle était sur sa fin celle d'une république oligarchique.
Cela posé, l'organisation effective de la superstructure est celle d'une oligarchie parlementaire, dans le régime actuel il y a séparation des pouvoirs, et celui des trois qui “représente le peuple”, la nation, est le Parlement, en tout premier l'Assemblée nationale. La France étant supposément une démocratie, le monarque est le peuple, donc son représentant est le monarque par procuration, le Parlement.
À trois reprises les commentateurs sportifs politiques ont eu la démonstration que le régime français n'est pas une monarchie élective, en 1986, en 1993 et en 1997, ces trois fois le président de la République n'a pas obtenu une majorité à l'Assemblée nationale, et ces trois fois il fut impuissant, car le gouvernement est certes nommé par l'Exécutif mais doit émaner de la majorité, même relative, à l'Assemblé nationale. L'actuel Exécutif n'a pas une majorité relative au sens strict, l'écart entre le nombre des députés de la coalition présidentielle et la majorité absolue est trop important pour qu'il puisse sans un accord de gouvernement avec l'un au moins des autres partis comptant plus de quarante élus avoir la certitude que ses lois passeront. S'y ajoute le fait que contrairement à Michel Rocard en son temps, l'Exécutif actuel ne dispose plus de l'Arme de Dissuasion Massive, le “49.3”, qui désormais ne peut servir qu'une fois par session parlementaire, donc au plus deux fois par an. Cela dit cet alinéa 3 de l'article 49 de la Constitution actuelle n'est pas prévu pour empêcher le Parlement de s'exprimer librement sur un texte mais avant tout pour accélérer l'adoption d'une loi, il n'est utilisable que si on est certain de ne pas trouver devant soi une majorité contre. Ce qui n'est pas le cas actuellement.
Selon moi, ce qu'expérimente l'actuel Exécutif est que l'ordre dans lequel les représentants sont élus n'a aucune incidence sur la représentativité, soit de l'Assemblée nationale, soit du chef de l'État, les présidents ne sont que rarement élus sur leur programme, au cours de la V° République les deux seuls présidents avec lesquels le programme eut une certaine importance sont de Gaulle en 1965 et Mitterrand en 1981, dans tous les autres cas il n'en eut aucune, et pour les présidentielles de 2017 et 2022 moins que jamais puisqu'une part significative des votes Macron du deuxième tour étaient des votes anti-Le Pen.
Partir de l'hypothèse qu'en votant pour lui les électeurs ont voté pour son programme est une imbécillité, si c'était le cas il aurait du recevoir en 2022 plus de voix aux deux tours, son adversaire des deux élections moins de voix aux deux tours, et au second tour il aurait du obtenir une différence en pourcentage d'exprimés plus ou au moins égale en 2022 qu'en 2017, et rien de cela n'advint: en nombre de voix et en pourcentage il a progressé au premier tour mais pas au second, son adversaire a progressé aux deux tours, et la différence pour les deux est significativement plus importante, Macron a perdu près de deux millions de voix et près de 4% d'exprimés, Le Pen plus de deux millions et demi de voix et bien sûr – ce sont des vases communicants –, près de 4% des exprimés. À sa place... Rien, à sa place rien vu que je n'y suis pas.
Ce que le provisoirement actuel Exécutif semble ne pas percevoir, ou prétend ne pas percevoir, est qu'on se trouve en situation de “cohabitation”, un nom peu pertinent, les pouvoirs sont toujours en cohabitation, ils occupent ensemble le pouvoir, qu'ils soient en concordance ou discordance, on parlerait plus exactement de discordance justement, l'Exécutif et le Législatif “ne sont pas sur la même longueur d'onde”, ne partagent pas la même idéologie. L'inédit est que ça advient dans l'ordre inverse des cas antérieurs mais ça ne change rien au fait: l'Exécutif n'a pas de majorité absolue et se révèle incapable d'obtenir une majorité relative suffisante pour être sûr de faire passer ses lois sans trop devoir les amender. Bien sûr les négociations peuvent finalement aboutir mais ça implique une impossibilité de réaliser le postulat de cet Exécutif, de réaliser le projet présidentiel tel que proposé.
Les députés d'opposition n'ont aucune raison de se plier aux demandes de l'Exécutif, en gros, un accord minimaliste dans lequel il ne sera pas question de changer quoi que ce soit au projet de gouvernement, dans l'année qui vient le président ne pourra pas user d'une autre arme massive et destructrice, la dissolution de l'Assemblée nationale. Et un an d'impuissance c'est long, très long. D'autant que dans la configuration actuelle il ne peut y avoir ni une majorité gouvernementale ni une majorité d'opposition.
Je me demande ce que sera la suite. Le contexte étant imprévisible, son devenir l'est tout autant...