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TED JOANS, Jazz Was His Religion

Olivier Ledure

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La phrase « Jazz is my religion and surrealism is my point of view[1] », écrite par Ted Joans, pourrait bien le résumer. Mais, nous verrons que ce ne sont pas ses seules dimensions artistiques.

Car, mort deux mois avant de fêter ses 75 ans, Ted Joans a vécu plusieurs vies :

  • en 1928, il est né le jour de la fête nationale des Etats-Unis sur un bateau où son père travaillait comme entertainer[2]. Il a habité plusieurs villes américaines, et notamment New York pendant 10 ans, entre 1951 et 1960,
  • Il s’est exilé ensuite en Europe, plus particulièrement à Paris où il a longtemps résidé,
  • Parallèlement, il parcourt l’Afrique, avec point d’attache le Mali où il a gardé une maison à Tombouctou quasiment jusqu’à sa mort,
  • Plus ponctuellement, l’Amérique Centrale, dont le Mexique, ne lui fut pas étrangère et,
  • Enfin, il est décédé au Canada.

Adolescent, ses premiers émois de jeune lecteur furent surréalistes, puis, à son arrivée en France, il écrivit une lettre à André Breton qui lui ouvrit grandes les portes de son mouvement. Mais, précédemment, Ted Joans s’était aussi investi dans le mouvement Beat : entre autres, il a connu Jack Kerouac à New York et il a fréquenté le fameux Beat Hôtel, situé au 9, rue Gît-le-Cœur à Paris avec William Burroughs et Allen Ginsberg.

En matière musicale, Ted Joans s’est rarement trompé : il a apprécié, admiré et connu (dont certains de très près) tous les plus grands jazzmen, de Louis Armstrong à Albert Ayler, de Duke Ellington à John Coltrane, de Charlie Parker à Archie Shepp en passant par Charlie Mingus. Il a, en quelque sorte, traversé toute entière l’histoire du jazz.

Mais, Ted Joans fut surtout un des tout premiers Jazz poètes, après le plus important promoteur de la Harlem Renaissance, Langston Hughes, son aîné d’environ 30 ans. C’est dans ce genre qu’il excellait : ses slams jazzistiques, dirait-on aujourd’hui, ont ouvert la voie aux Last Poets et autres Gil Scott-Heron au cours des années 70 et à Saul Williams à partir des années 2000.

Détaillons à présent quelques-uns des épisodes les plus marquants de sa vie :

C’est donc le 4 juillet 1928 que Theodore Jones voit le jour sur un bateau où ses deux parents travaillaient. Dès sa naissance, la passion du voyage va donc l’habiter.

Vous aurez remarqué que, si Ted est le diminutif de Theodore, il avait changé son nom de Jones en Joans. Ce changement était intervenu, dit-on, à la suite de l’un de ses nombreux mariages avec une femme dont le prénom était Joan.

Dans un article écrit pour Jazz Hot[3] , il disait avoir commencé à jouer du cornet à l’âge de cinq ans ou bien, plus vraisemblablement, à l’âge de douze ou treize ans, comme il le confiera à d’autres journalistes.

Vers quatorze ans, sa tante, domestique chez des intellectuels qui revenaient d’Europe, lui ramena des livres surréalistes. Ce fut une révélation : il tomba littéralement dans ce mouvement comme je le fis quelque quarante années plus tard[4].

En 1951, à 23 ans donc, tout juste diplômé des beaux-arts de l’université d’Indiana, Ted Joans partit à New York pour continuer ses études. Ce fut dans cette ville qu’il fît ses rencontres musicales les plus importantes : Miles Davis, Dizzy Gillespie, Thelonious Monk, Fats Navarro, et, surtout Charlie Parker. La révolution bop battait son plein, il y assistera au premier rang !

Il en fut même l’un des acteurs : en 1954, Ted Joans  a organisé une « dada-surreal party ». Et Charlie Parker fut l’un des invités ! L’une des plus célèbres photographies du Bird, prise par Arthur Fellig, plus connu sous le pseudonyme de Weegee, le montre déguisé à la va-vite en Mau-Mau. Cette soirée vit également une lecture de poèmes d’André Breton, de Jacques Prévert et de Benjamin Péret.

J’ai trouvé cinq photographies de cette soirée :

-       trois dans Weegee. The Village. Da Capo (USA. 1989). Ce livre non paginé et non légendé est paru quelque vingt ans après la mort du photographe en 1968.

-       deux autres dans Jazz Magazine #216, novembre 1973, p.44. Ces deux photographies sont créditées à un mystérieux a.a.a.a.a.

Sur les photographies de Weegee, Ted Joans porte un vêtement blanc sur lequel est inscrit son nom et son visage est partagé en deux : une partie blanche et une partie non peinte. Charlie Parker est la seule personne accroupie sur la photographie de groupe. Je n’ai pas le droit de les publier, sauf à payer des sommes déraisonnables[5]

Illustration 1

Inscription Bird Lives de Ted Joans ou de l'un de ses amis

Sur un site turc[6], j’ai trouvé un des exemples de Bird Lives, graffiti de Ted Joans (ou de l’un de ses amis qui l’accompagnait) dont il couvrit les murs de New York le lendemain de la mort de Charlie Parker.

L’ouvrage écrit en 1962 par Robert George Reisner, BIRD: The Legend of Charlie Parker[7], revient sur la soirée organisée par Ted Joans, au cours d’un des 81 entretiens menés par Bob Reisner. Ce dernier fut en particulier le manager d’un club, The Open Door, où Charlie Parker joua à de nombreuses reprises, comme le montre l’affiche présentée plus haut.

Illustration 2

Bird: The Legend of Charlie Parker

Ted Joans écrivit trois pages (p.116-118) du livre Bird : il revint sur cette dada-surreal party et publia un poème, I Love a Big Big Bird.

Illustration 3

Bird’s Lives!, 1958. Ted Joans, American, 1928-2003

Oil on canvas board, 61 x 50.5 cm

The Fine Arts Museums of Los Angeles, museum purchase, Joyce I. Swader Bequest Fund and gift of J. Alec and Gail Merriam, 1997.86

En 1959, Ted Joans avait publié son deuxième livre Beat Funky Jazz Poems. Edité par Rhino Review en 1959, la photographie qui suit présente mon propre exemplaire.

Illustration 4
  Beat Funky Jazz Poems édité par Rhino Review

Illustration 5

Le rhinocéros (logo de Rhino Review) : le principal totem de Ted Joans

Un an plus tard, ce fut donc le départ pour Paris.

Une fois arrivé dans la capitale française, il reprit aussitôt la plume pour écrire à André Breton :

« Who am I? I am Afro-American and my name is Ted Joans (…) I was born in 1928, the year of Nadja [André Breton], Treatise on Style [“Traité de style” de Louis Aragon] and The Spirit Against The Reason [“l’Esprit contre la raison” de René Crevel] ».

Cet extrait de lettre au « pape du surréalisme » est reproduit dans la Brèche #5, sorti en octobre 1965.

Illustration 6

La Brèche #5

Illustration 7

André Breton et Ted Joans au 42, rue Fontaine à Paris (domicile d’André Breton) 1966. DR

Il écrira un poème, Nadja Rendezvous, à la mémoire d’André Breton. Ces vers font référence à différents écrits de ce dernier (Nadja, Les Champs Magnétiques) et à la rencontre avec Joyce Mansour au café Promenade de Vénus :

I first read his works in June 1942

I met him in June 1960

I last saw him in June 1966

I was going to see him again in 1967 June

But the Glass of Water in the Storm (1713)

of 4-2 rue Fontaine kept an almost forgotten

rendezvous with Nadja in the Magnetic Fields…

Dès son arrivée à Paris, il entra également en contact avec William Burroughs et Allen Ginsberg, alors en exil à Paris, au fameux Beat Hôtel. Situé au 9, rue Gît-le-Cœur, l’hôtel tenu par Madame Rachou fut le théâtre d’une intense activité culturelle qu’une émission de France Culture s’est attachée à revivre :

http://www.franceculture.fr/emission-l-heure-du-documentaire-docu-fiction-beat-hotel-rediffusion-de-l-emission-du-8-avril-2010-2

Voici un extrait de la présentation de ce docu-fiction de David Brun-Lambert et Guillaume Baldy : Beat Hôtel (émission du 8 avril 2010. 55 mn)

Le 15 octobre 1957, Allen Ginsberg et Peter Orlovsky se présentaient à l’accueil d’un hôtel sans nom situé 9, rue Gît-le-Cœur, à deux pas du Quartier Latin. Madame Rachou les reçoit. Veuve depuis l’accident de voiture de son mari survenu un an auparavant, elle tenait un établissement miteux, notoirement infesté de rongeurs, mais qui quelques mois plus tôt avait accueilli un auteur en rupture de ban avec l’Amérique raciste : Chester Himes. (…)

William Burroughs, fraîchement débarqué de Tanger, encore marqué par sa plongée dans l’héroïne et qui s’installa dans la chambre n°23 du 9, rue Gît-le-cœur un 16 janvier. C’est là qu’il termina Le Festin Nu [The Naked Lunch, en vo]. Tandis qu’autour de lui, Greg Corso rédigeait The Bomb, que Ted Joans élaborait la fresque The Chick Who Feels Off A Rhino, que l’hôtel était le théâtre d’une formidable agitation artistique, mais aussi de mœurs particulières, Madame Rachou voyait au quotidien ses pensionnaires déguenillés écrire une étape de l’une des plus fiévreuses aventures artistiques du XXe siècle. 

La fresque de Ted Joans disparut dans la rénovation de l’hôtel, suite à la retraite de Mme Rachou courant 1963. Ajoutons que ce n’est qu’en 2010 que la plaque suivante fut apposée sur les murs de cet hôtel transformé depuis en hôtel de luxe. Le nom de Ted Joans y est d’ailleurs absent.

Illustration 8

En 1965, Jean-Jacques Lebel organisait la deuxième édition du festival de libre expression, appelée Déchirex. Ted Joans fut l’un des invités du 20 mai.

Illustration 9
Affiche du Déchirex organisé par Jean-Jacques Lebel au Centre Américain des Artistes, boulevard Raspail (lieu de l’actuelle Fondation Cartier) à Paris.

Plusieurs centaines de personnes assistèrent à ces huit jours de festival, dont Man Ray, Marcel Duchamp et Jean-Luc Godard. Ce fut l’unique rencontre entre Ted Joans et Marcel Duchamp.

Illustration 10

 Jean-Jacques Lebel happenings[8]

Dans cet ouvrage qui compte cinq photographies de Ted Joans, Jean-Jacques Lebel présente sa participation (p.28) :

« Adepte d’un surréalisme inorthodoxe mâtiné de « Harlem Renaissance » et de négritude – à l’image du grand Césaire -, fou de jazz-poetry – à l’image de Langston Hughes -, domicilié tantôt à New York, tantôt à Tombouctou, tantôt à Paris, il contribua avec ironie à cette soirée et improvisa, sur le siège arrière de la 4CV, avec une compagne de fortune, une version hard de Love Story ».

En 1966, Ted Joans retrouva Langston Hughes à la librairie Shakespeare & Compagny, alors dirigée par l’excentrique George Whitman[9]. Là, son aîné insista auprès de Ted Joans pour qu’il jouât de la trompette, ce qu’il se résolut à faire : il faut vous dire qu’il avait abandonné cet instrument lorsqu’il avait déménagé à New York, impressionné par Fats Navarro.

Illustration 11

 Affiche pour un Surrealist Poetry Evening de la librairie Shakespeare and Co.

1967, c’est le premier enregistrement (pirate) de la voix de Ted Joans que j’ai pu identifier, mis à partle vinyle de poètes flamands, pour l’essentiel, datant du 28 septembre 1966, Poezie In Het Paleis[10].

Illustration 12

 LP Poezie In Het Paleis.

Het Kunst En Cuktuurverbond KB 3057 (Belgique. 1966)

Ted Joans enregistra ses jazz poèmes (The Truth, Jazz Is My Religion et Faces) accompagné par Jimmy Garrison. C’était un concert du quintet d’Archie Shepp (avec Beaver Harris aux drums et les deux trombonistes Roswell Rudd et Grachan Moncur III). Il fut enregistré sur un CD pirate italien(Jazz Music Yesterday)à Paris,le 15 décembre 1967.

Illustration 13

Le concert prenant du retard, Ted Joans était monté sur scène pour faire patienter le public. Les deux titres du CD (Portrait of Robert Thompson d’Archie Shepp et les trois jazzpoèmes récités par Ted Joans) sont donc inversés par rapport au déroulement du concert.

Illustration 14

Il est plus que probable que le poète ait récité Jazz Must Be A Woman à la suite des trois poèmes du CD Freedom. Celui-ci clôt la cassette I Giganti del Jazz #96. Il est scandé par une contrebasse (celle de Jimmy Garrison, crédité) et se termine par l’intervention du batteur (Beaver Harris, non crédité). Et, l’année de l’enregistrement (1961) est manifestement fausse : c’est une des marques habituelles d’un enregistrement pirate.

L’année suivante, 1968, voit sa seule exposition à Paris, dans un lieu spécialisé dans l’art africain : la galerie Maya, rue Mazarine, avec un vernissage le 23 avril. Dans son livre[11], La Rive Noire, sous-titré De Harlem à La Seine, Michel Fabre nous donne à lire le carton d’invitation (p.321) :

« Ted Joans, griot surréaliste – Afroamerican Fetishes – Invitation au vernissage – Black power, black power, black power… ».

Il nous livre également la liste des œuvres exposées :

                                Call it                                                                 Give me

Lumumba naît en Norvège   ……………...                           250 F

Des cheveux noirs entourant le volcan

(continent)  …………………………………..                       Un trench-coat

Soleil noir sur les enfants noirs  ………..                              Un billet A/R Ostende-Londres

Le texte de Malcolm X  ……………………                          250 F

Oreille et orteil : Jam!  ...........................                             L’Afrique fantôme de Michel Leiris

Ouvre grand tes jambes  ………………….                           Clark’s desert boots Size 11/2

Pouvoir noir (easy) …………………………                         Five pounds of gun-powder

1617 ...………………………………………..                       Deux livres : La femme 100 têtes, une semaine de bonté, par Max Ernst

Cul noir  …………………………………….                         500 F

Demande à ta mère/Ass yo’ mammy …                                25 push-buttons knives

Jazz est noir  ……………………………….                          Electric battery phonograph

My Mau Mau don’ tol’ me .………………                            200 F

Cunillingus to you ..………………………                             One new trumpet

Soleil noir ….……………………………….                          Le Surréalisme et la peinture par André Breton

BP means Bird, Bud, Bessie ..…………                                100 F

Timbuctoo rush hour  …………………..                              One mask of the Congo

Sure! Real is Him  ……………………….                             One 45 Caliber Atomatic pistol

If I was a Jew, I’d disown you  ………..                              500 F

1713  ……………………………………….                          1713 F

Promenade de Vénus  …………………..                              250 F

Sans surprise, « tout fut donné, rien fut vendu », dira Ted Joans.

Toujours en 1968, il fit une courte apparition (moins d’une minute) dans un film underground, Wheel of Ashes, tourné à Paris par Peter Emanuel Golman. Il y tint son propre rôle de poète, peut-être à la librairie Shaskespeare & Co[12].

Un an plus tard, il était à Alger pour participer au premier festival panafricain de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) qui se tint à Alger en 1969.

 

Illustration 15
                 

Affiche du festival d’Alger 

Illustration 16

2CD Archie Shepp Blasé / Live At The Pan-African Festival Charly SNAD 534 CD (UK 2004)              

Blasé est l’un des tout meilleurs Archie Shepp. Il faut vous dire que cet album bénéficie de l’apport de la voix exceptionnelle de Jeanne Lee. Ted Joans n’intervient pas sur ce premier disque, mais sur l’autre, en compagnie d’un second poète américain, Don Lee. Au milieu du tintamarre créé par le saxophone ténor d’Archie Shepp et les musiciens Algériens ou Touareg, on y entend Ted Joans déclamer ce court poème :

 “We are still back,

and we have come back. Nous sommes revenus !

Jazz is a Black Power.

Jazz is an African Power.

Jazz is an African music!"

Grâce à Thierry Trombert, nous retrouvons Ted Joans le 23 mars 1974. Ilétait en compagnie d’Archie Shepp qui allait jouer à l’ORTF. Cette fois-ci, le saxophonisten’aura pas besoin de ses interventions poétiques pour faire patienter le public.

 

Illustration 17

 Archie Shepp, Ted Joans © Thierry Trombert

C’est seulement en 1979, soit 13 ans après le vinyle Poezie In Het Paleis, qu’intervient le deuxième enregistrement officiel de Ted Joans sous la forme d’une cassette enregistrée en Allemagne de l’Ouest. Elle porte bien évidemment le nom de JAZZPOEMS.

Les musiciens, tous allemands si j’en crois leurs noms, étaient/sont de parfaits inconnus : Uli Espenlaub aux claviers, Ralf Falk à la guitare électrique, Andreas Leep à la basse électrique et Dietrich Rauschtenberger à la batterie. Il s’agira du seul enregistrement réalisé sous le nom de Ted Joans.

 

Illustration 18

Ted Joans. JAZZPOEMS. Cassette Edition S PRESS 72 enregistrée à Schwelm le 3 novembre 1979

Douze poèmes y figuraient, dont sept tirés de Black Pow-Wow, quatre d’Afrodisia et un seul de Vergriffen ; oder Blietzlieb Poems.

Deux de ces poèmes, The Truth (récité au début de chacun des deux sets) et Jazz Is My Religion, s’affirment définitivement comme des must-have. En effet, ils faisaient déjà partie du répertoire improvisé de l’album Freedom du quintet d’Archie Shepp.

Ne vous écarquillez pas les yeux sur le texte de droite, je vous le livre ci-après :

« Jazz is my religion and surrealism my point of view. Jazz is the most democratic art form on the face of earth, it’s a surreal music, a surreality. Surrealism like jazz is not a style, it’s not a dogmatic approach to the arts like cubism. Poetically I’m first of all concerned with sound and rhythm. It is not so much the word, but the wording itself because of the way we black people handle words. Duke Ellington said “It don’t mean a thing if it ain’t got that swing”. It GOT to swing! I can write a jazzpoem about any subject, and most of my jazzpoems are written about things I love, and things I hate, and things I associate. But jazzpoetry is not lyrics: when you built your poetry on a composition, then you have boxed yourself in, same with rehearsing, ‘cos each time I read a poem it will be different. I do not change the words, it will be the sound and the rhythm and the whole atmosphere”

Ce texte non signé est une parfaite démonstration de ce qu’est le jazz !

Faisons ensemble un saut de onze ans pour retrouver Ted Joans au théâtre du Châtelet en conversation animée avec Joseph Jarman, Oliver Johnson et Famoudou Don Moye.

Illustration 19

Ted Joans, Joseph Jarman, Oliver Johnson, Don Moye (Festival de jazz de Paris, Châtelet, 1984) © Thierry Trombert 

Et, en 1988, Thierry Trombert le retrouvait à la Cinémathèque de Paris alors qu’il étaitvenu prendre quelques photographies lors de la première du film Bird tourné par Clint Eastwood.

Illustration 20

 
 Forest Whitaker (avec le pansement sur le cou), Ted Joans, Clint Eastwood © Thierry Trombert

Sur une carte postée de Marrakech où il était allé écouter jouer Dizzy Gillespie début 1989, Ted Joans demande à Thierry Trombert quelques photos prises lors de la projection du film Bird. Il en profite pour lui souhaiter une bonne année par un « bonne 1989 anniversaire » Et, le poète choisit bien sa carte postale : au  recto, il s’agit de chèvres montées dans un champ d’arbres (les fameux Arganiers). Il annote donc la légende du verso d’un « surréaliste » de bon aloi…

 

Illustration 21

Partie du verso d’une carte postale envoyée par Ted Joans à Thierry Trombert début 1989

En 1996, Ted Joans rédigea son autobiographie, Je me vois – I see myself[13]. Elle est dédiée àJoseph Cornell, the first surrealist I ever met [le tout premier surréaliste qu’il ait jamais rencontré] et représente l’un de ses textes les plus longs (p.219-258), mais aussi, l’un des plus méconnus.

Illustration 22

Dans la bibliographie (p257-258), il est fait mention de tous ses ouvrages parus à date et de ses participations à Black World, Coda Jazz Magazine (Toronto), Présence Africaine, Jazz Hot et Jazz Magazine (Paris), Dies und Das (unique numéro du magazine surréaliste allemand) et Bird: The Legend of Charlie Parker de Robert Reisner. A noter deux éléments : les sept totems mammifères du poète (rhino, okapi, tapir, aardvark, pangolin, echidna et platypus)et le délicieux « femmemoiselle » accordée par Ted Joans à sa dernière compagne, Laura Corsiglia.

C’est l’amour pour cette dernière qui le conduisit à s’installer à Vancouver, Canada. C’est partir de là qu’il tint des conférences comme celle de Seattle (Washington) ou de Palatine dans l’Illinois (voir plus bas).

 

Illustration 23
         Conférence de Seattle non précisément datée 

        

Illustration 24

 Jean-Michel Basquiat. Témoignage 1977-1988. Galerie Jérôme de Noirmont

Il participa également à l’hommage rendu à Jean-Michel Basquiat par la galerie Jérôme de Noirmont à Paris.

Comme pour Albert Ayler, on ne connaîtra jamais précisément la date de sa mort : il mourra seul dans l’appartement de Laura Corsiglia entre le 25 avril (date de son dernier écrit) et le 7 mai 2003 (date où son corps sera découvert). J’ai préféré choisir la date de son dernier écrit, préférant souligner l’incroyable vie qu’il aura mené sur terre.

A sa mort, une multitude de manifestations furent organisées et le flyer suivant créé :

Illustration 25
Flyer TED JOANS LIVES! rappelant l’inscription BIRD LIVES dont il avait couvert les murs de NYC avec des amis, à la mort de Charlie Parker.

Et, sur la multiplicité des témoignages écrits en hommage à Ted Joans, celui de Nicole Henares est le plus savoureux car elle aurait dit “someday Amiri Baraka is gonna meet LeRoi Jones and it ain’t gonna be pretty”. [le jour où Amiri Baraka rencontrera LeRoi Jones, cela ne va pas être joli-joli].

A la suite de la parution de cet article dans Improjazz, Éric Benveniste m’a dit combien Ted Joans restait attaché à Paris : ses cendres furent jetées dans la Seine ! Et, j’ai reçu de nombreux témoignages de gens qui l’avaient côtoyé : tous m’ont décrit un homme extrêmement chaleureux, constamment le sourire aux lèvres, en dépit d’une existence précaire, mais volontairement choisie.

Olivier Ledure. 27 mai 2015, puis remanié le 11 novembre 2015

En premier lieu, je tiens à remercier vivement Laura Corsiglia – gestionnaire de la succession de Ted Joans – et Susan Grinols – directrice des services Photographie et Image des Fine Arts Museums of Los Angeles. Elles m’ont toutes deux autorisé à publier Bird Lives!, le tableau réalisé par Ted Joans en 1958. En second lieu, je tiens également à remercier très chaleureusement Thierry Trombert qui, lorsque je lui ai annoncé que j’écrivais un article sur Ted Joans, m’a ouvert ses archives et m’a tiré les quatre photographies spécialement choisies pour illustrer cet article. Je n’oublie pas Pierre Crépon pour le remercier à nouveau de son intérêt pour cet article et, surtout, de ses aides multiples.

QUELQUES LIVRES DE TED JOANS

Sur la quarantaine de livres écrits et, parfois, illustrés par Ted Joans, j’ai retenu les suivants :

Illustration 26

  • The Hipsters. Publié par les éditions Corinth Books Inc. en 1961.

Illustration 27
 

  • Propositions pour un manifeste Black Power. Edité par Éric Losfeld en 1969.
  • Illustration 28

       Black Pow-Wow. Edité par Hill and Wang en 1969.

Illustration 29

  • Afrodisia. Edité par Hill and Wang en 1970.

Illustration 30

  • The Aardvark-Watcher / Der Erdferkelforscher. Edité par LCB-Editionen en 1980.

Illustration 31

  •  Dies & Das. Ouvrage collectif et autoproduit à Berlin-Ouest en 1984

(Ted Joans fut le rédacteur en chef de cet unique numéro surréaliste allemand).

 

Illustration 32

  • Lost & Found: In Thursday Sane. Publié par Sandra McPherson aux éditions Swan Scythe Press en 2001.

Illustration 33

  • Une rêverie au Bistrot Beaubourg. Edité à titre posthume par Les Loups Sont Fâchés en juin 2004 (1ère édition) et en janvier 2006 (2ème édition).

 DES VIDÉOS DE TED JOANS

Première partie d’un court métrage "JAZZ & POETRY" de Louis van Gasteren montrant

Piet Kuiters Modern Jazzgroupavec Ted Joans :

 Piet Kuiters piano

Herman Schoonderwalt alto saxophone

Ruud Jacobs double bass

Cees See drums

Ted Joans poetry

 

Illustration 34

Piet Kuiters, Ruud Jacobs, Ted Joans, Cees See Amsterdam, 1964 (extrait de la vidéo)

https://www.youtube.com/watch?v=uc9yodZ29UE (10mn)

 

Illustration 35
Film réalisé en 2010 par Tom Knoff et Kurt Hemmer et produit par le Harper College, où ce dernier enseigne.

Le film retrace la vie de Ted Joans pendant 30mn.

Ted Joans y apparaît notamment dans une lecture de poèmes organisée en 2002 par Kurt Hemmer.

http://writing.upenn.edu/pennsound/x/Joans.php

DES PHOTOGRAPHIES DE TED JOANS

IMPROJAZZ. HORS-SÉRIE #1.

JAZZPOETRY. Eté 2000.

 

Illustration 36

Deux citations dans ce Hors-Série d’ImproJazz :

-       dans le chapitre IV (Voix Noires), un paragraphe (le troisième) est consacré à Hart Leroy Bibbs et Ted Joans (p.21)

-       dans l’annexe III (Quelques données bibliographiques), un paragraphe sur Hart Leroy Bibbs et Ted Joans (p.84)

Et,  dans le cahier central, une photographie prise par Thierry Trombert de Ted Joans (toujours à l’extrême gauche) avec Olivier Johnson, Don Moye et Joseph Jarman.

IMPROJAZZ #166 juin 2010.

Memories of You 11 (p.5-7)

(photo et texte Jacques Bisceglia)

Souvenirs personnels de Jacques Bisceglia à propos de Ted Joans agrémentés d’une photographie prise le 30 juillet 969 à Alger entre Grachan Moncur III et Archie Shepp.

Ce « publi-reportage » faisait la promotion d’un livre de photographies de Jacques Bisceglia, Reaching Into the Unknown, publié en avril 2009 par les éditions ROGUEART avec des poèmes de Steve Dalachinsky, dont deux sont dédiés à Ted Joans (p.328-329). L’image de Ted entre Grachan et Archie est reprise de ce dernier livre (p.330) avec un poème de Ted Joans (p.331).

 IMPROJAZZ. HORS-SÉRIE #4.

LES PHOTOS DE THIERRY TROMBERT. Juin 2008.

 

Illustration 37

Cet Improjazz (unique ouvrage entièrement consacré à Thierry Trombert) comprend deux photographies de Ted Joans : la couverture (toujours à l’extrême gauche, en compagnie d’Oliver Johnson et d’un bondissant Joseph Jarman qui masque Don Moye). Il en contient une autre (p.38) qui est prise au Chat Qui Pêche avec Jimmy Garrison, Jills Thornton – journaliste britannique, et Archie Shepp.

PERIODIQUES DE JAZZ

INTERNATIONAL TIMES #5, 12-25 December, 1966.

AA! AA? YEAH, AA!(p. 6)

Ted Joans termine son article sur Albert Ayler qu’il venait de découvrir par ces mots :

« They do not yet know or readily accept that AA’s music is a classic Afro American protest against the white chaos, Western destruction, the abject melancholia of our times (…) and finally the only right word –which is just one word- and that word is LISTEN!!!!!»

JAZZ HOT #252, juillet / août 1969.

Le griot surréaliste. (p.21-25)

Ted Joans se présente aux lecteurs sur 2 pages (p.22-23): après la première page (une image le représentant en train de lire un poème), nous y apprenons qu’il a commencé à jouer du cornet à l’âge de 5 ans, qu’il a rencontré entre autres Fats NavarroBabs Gonzales, qu’il prenait des « solos poétiques » sans chercher à imiter tel ou tel instrument, que Dinah Washington était une « hipness queen », que son arrivée à New York a coïncidé avec la fin des grands orchestres, qu’il a rencontré Charlie Parker au Birdland, les poètes Beat (Kerouac et consorts), LeRoi Jones (il n’aimait pas beaucoup « sa petite revue » [14]), fit un éloge de Coleman Hawkins et habitait déjà Tombouctou.

Les 2 pages suivantes donnent des extraits d’A Black Pow-Wow of Jazz Poems (Ed. Hill and Wang, NYC) : Jazz is my religion, For pianoman from afroamerica, Two words (Black Power), Did you know?, BLOW YOUR HORN!, Blow! (enregistrement jamais sorti avec le groupe de Louis Moholo sur ESP), Newnames, I am ???, There are those et Git It. Ces poèmes sont illustrés de six photographies de Ted Joans et de quatre dessins, dont au moins un (BLACK POWER) est de Ted Joans : une main noire arrachée dont le poing est toujours serré en signe de protestation.

JAZZ FORUM #7, 1970.

Freedom Now (p.76-77)

JAZZ MAGAZINE #189, mai 1971.

Hommage from Africa. Tananarive, Madagascar, le 8 mars 1971 (p.36)

Lors d’un voyage en Afrique, Ted Joans manifeste sa douleur à l’annonce de la mort d’Albert Ayler avant de faire publier un court poème, Alphabet Ayler, qui restera en Anglais sur sa demande.

CODA, 10/2, July / August 1971.

Spiritual Unity Albert Ayler.

Mister AA of Grade Double A Sounds (p.2-4)

Cet article se termine par la phrase suivante :

« Angels of Jazz, they don’t die, they live, in hipsters like you and I ». Elle est reprise d’un poème écrit à la mort de Lester Young.

JAZZ MAGAZINE #216, novembre 1973.

Musiques noires en Hollande (p.34-35)

Le festival de Laren (Pays-Bas) avait notamment invité Max Roach (photo de Pierre Lapijover), Milford Graves (Guiseppe Pino) et John Faddis (Hans Harzheim). Ted Joans rend compte de leurs concerts avec son enthousiasme habituel. Il regrette, à propos de la prestation de Dee Dee Bridgewater, le faible nombre de chanteuses avant de signer son article d’un Ted Joans / Bird Lives !

Bird Lives ! (répété six fois. p.44-45)

La sortie du livre « Bird Lives ! The high Life and Times of Charlie (Yardbird) Parker » écrit par Ross Russell et publié par Charterhouse est l’occasion pour Ted Joans de revenir sur la « dada-surreal party » de 1954. Cet article est illustré de trois photographies signées (p.5) d’un énigmatique A.a.a.a.a.a. L’une d’entre elles est la fameuse photographie de groupe signée par ailleurs de WeegeeBird est accroupi : les deux autres présentent Bird en gros plan, un verre et une cigarette à la main, pour l’une et, pour l’autre, attendant de profil, un verre de lait (???) entre ses jambes.

JAZZ MAGAZINE #242, mars 1976.

Jazz en direct : Archie Shepp (p.6)

Ted Joans chronique trois concerts du quartet d’Archie Shepp : Mutualité, Elysées Montmartre et Riverbop. Il souligne l’impatience du public français lors du premier concert, après une heure d’attente entre les deux parties, la première étant assurée par le duo John Surman-Barre Phillips :

« Je n’avais jamais vu un tel spectacle [jet d’une bouteille qui manqua de peu la tête du pianiste, Dave Burrell] (…) et j’aurais aimé que mes frères africains puissent contempler ces jeunes Européens qu’on dit « civilisés »… (…) ces manifestations d’irrespect absolu se prolongèrent jusqu’à l’apparition d’Archie Shepp avec son ténor. » 

JAZZ MAGAZINE #249, novembre 1976.

Votez Carter (Betty) (p.8-9).

Dans ces deux pages, Ted Joans dit toute son admiration pour la chanteuse qui venait de jouer au Village Vanguard

 Les cinq jours de Dixon (p.18-19 et p.32-34).

Confrontation des avis de quatre critiques (outre S. Horenstein – saxophoniste de Bill Dixon -, T. Joans, F. Marmande, A. Leygnier et A-R. Hardy) sur les cinq soirées du trio de Bill Dixon dans le cadre du Festival d’Automne au Palais Galliera.

JAZZ MAGAZINE #250, décembre 1976.

New York : paroles et musique (p.9).

Après une introduction sur LeRoi Jones (Amiri Baraka), Ted Joans consacre la majeure partie de son article à Adbul Wadud qui jouait avec Julius Hemphill et à David Murray. Rappelons que « Little Murray », appelé ainsi par Ted Joans, s’est fait connaître en tant que souffleur de la scène loft new-yorkaise.

EPHEMERA

Collage de Ted Joans illustrant le CDdu John Tchicai Trio, Truth Lies In-Between, premier numéro du label Hôte Marge de Gérard Terronès (France, 2010)

Illustration 38

CD John Tchicai Trio Lies In-Between

 

Illustration 39

Illustration 40

Extraits dédicacés d’un article paru en 1979 dans Loose Blätter Sammlung. Heft 6 sur la Beat Generation

Illustration 41
Ted Joans à la une du numéro 44 (janvier 1986) de The Magazine of Paris Passion


[1] « Le Jazz est ma religion et le surréalisme, mon point de vue » pourrait en être la traduction.

[2] Saltimbanqueou amuseur public sont deux traductions possibles d’entertainer.

[3] In JAZZ HOT #252. Le griot surréaliste. (p.21-25).

[4] Je me souviendrai toujours qu’en troisième, mon professeur de Français nous fit une lecture du poème de Paul Eluard dont la première strophe, éponyme, est : La terre est bleue comme une orange. J’étais plutôt à l’aise avec les maths, mais bon, soit ! Mais, c’est surtout le deuxième vers qui m’interpella : Jamais, les mots ne mentent. Car il semblait contredire le vers précédent, a priori

[5] La même agence gère le droit à l’image de la période Beat de Ted Joans avant son départ pour l’Europe. Je ne peux donc pas plus publier le travail du photographe Fred McDarrah.

[6] http://surrealisteylemturkiye.blogspot.fr/2008_06_01_archive.html

[7] Publié par Da Capo. New York en 1962 et réédité en 1977.

[8] Editions Hazan (Paris. 2009)

[9] Propriétaire de l’incontournable librairie anglophone Shakespeare and Compagny, située rive gauche, au niveau de Notre Dame de Paris. Le site de cette librairie révèle que » sa seule concession à la mode était une veste à motifs cachemire cradingue qu’il portait depuis des décennies et qui n’était déjà plus de première fraîcheur lorsque le poète Ted Joans a déclaré, en 1974, qu’elle n’avait jamais été lavée. ». Depuis sa mort en 2011, sa librairie est gérée par sa fille, Sylvia.

[10] Je lance un appel pour l’acquérir à prix raisonnable.

[11] Paru en 1985 aux éditions du Lieu Commun. Je remercie Pierre Crépon pour avoir attiré mon attention sur ce livre. 

[12] On y voit également Daevid Allen lisant des poèmes dans la librairie Shakespeare & Co : là, j’en suis sûr !

[13] In Contemporary Authors.Autobiography Series. Volume 25. Edition Gale Research (Detroit, Michigan, USA. 1996). Un vif remerciement pour Pierre Crépon pour l’échange.

[14] « Yugen », probablement.

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