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Billet de blog 27 novembre 2021

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Génération.s perdue?

Le mouvement Génération-s s’est constitué dans une perspective à la fois unitaire, novatrice, et cherchant à mettre en cause le capitalisme, la domination du profit, s'opposant aux régressions nationalistes, identitaires. Ce projet a échoué. Tirer le bilan est nécessaire.

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Fin de partie

Le constat est rude, mais il faut le faire. Quand Benoît Hamon a lancé « Génération-s » (sous le nom de « M1717 »), il revendiquait pas loin de 60 000 adhésions (certes gratuites). Lors de la première convention nationale à Grenoble (été 2018), la moitié de ces adhérent-e-s avaient confirmé leur engagement dans le mouvement. 22 575 très précisément s'étaient exprimé-e-s sur les statuts.

Trois ans après, des 30 000 adhérent-e-s de Grenoble, il n'en restait que 3 000. Le texte d'orientation adopté en 2020 qui entérine le ralliement au pôle écologique a été adopté par 825 voix sur 1 084 votant-e-s, avec une participation de 35%. Au point que la direction de Génération-s n'a communiqué aux adhérent-e-s que les résultats en pourcentage, pas en nombre de votants.

Plus encore : l'engagement de G-s dans le « pôle écologique » manifeste une totale absence d'homogénéité des maigres troupes restantes. On aura retrouvé des membres de la direction derrière chacun-e des trois candidat-e-s issus d'EE-LV, alors qu'à l'évidence ces candidat-e-s n'incarnent pas, pour le moins, les mêmes orientations politiques. Autrement dit : le poids de Génération-s comme mouvement politique est réduit à zéro.

D'ailleurs, la désignation de Jadot comme candidat du pôle écologiste, concomitamment au retrait de Hamon de la vie politique, ne sauraient mieux signifier : Génération.s, c'est fini.

Ne pas se résigner

Certes, le mouvement Génération.s était né sous des auspices défavorables. L'élan initial de la victoire à la primaire de Benoît Hamon n'a que peu duré – faute en particulier, comme il le reconnaitra lui-même à raison, d'avoir immédiatement quitté le Parti Socialiste – et ainsi répudié clairement le bilan calamiteux du quinquennat Hollande. Et, au lendemain des présidentielles et législatives, la Gauche et l'Ecologie avaient un air de champ de ruines.

Mais précisément ! Que des dizaines de milliers de militant-e-s et d'adhérent-e-s se soient engagé-e-s dans un mouvement né dans des conditions si contraires (à commencer par le score pitoyable de notre candidat) est un signe que la recherche d'un débouché politique, d'une alternative crédible aux politiques capitalistes, est forte, malgré tous les obstacles.

C'est ce qu'indiquait à sa façon Noël Mamère parmi d'autres lors de son intervention à la tribune de la Convention Nationale du Mans (2017) : « Je ne suis pas venu pour être un idiot utile. Je suis là car nous voulons reconstruire la gauche et l’écologie. Nos destins sont liés ».

Alors, pourquoi, comment, cette opportunité de reconstruction a-t-elle été gâchée ?

A la base d'un espoir: « le mouvement des idées neuves »  (Hamon)

Une des raisons du succès d'adhésions du jeune « M1717 » est aucun doute la capacité qu'a eue Benoît Hamon à mettre en avant des idées nouvelles dans le champ politique, et pas seulement celle du Revenu Universel.

Car pour pouvoir traduire l'aspiration à un changement profond de société, rompant avec les exigences que la quête du profit imprime dans tous les domaines, un changement de logiciel est nécessaire par rapport à ceux des mouvements issus de la social démocratie ou du stalinisme, qui sont de ce point de vue historiquement épuisés.

La campagne présidentielle avait semé des graines. Encore fallait-il les mettre en culture, mettre en réalité tout le Mouvement Génération-s au travail, confronter ces idées, les frotter à celles des partenaires du champ de la démocratie politique et sociale, des universitaires.

Et ainsi répondre à la question décisive pour tout mouvement politique : celle du pouvoir. Concrètement : quel programme de gouvernement appliquer, et comment.

Le moins que l'on puisse dire est qu'aucune réponse n'a été apportée à cette question clé

A la base d'un échec : l'incapacité à se doter de bases solides au travers du débat démocratique

Trois ans après la constitution du « M1717 », la convention nationale de 2020 semblait proposer de voter sur un « projet de société ». « Il était temps ! », se dira-t-on : l'argument « nous sommes un jeune mouvement » commençait à s'user à force d'être répété.

Las ! Ce « projet de société » était soumis au vote avec la précision suivante : « à l'automne, nous vous proposerons de donner également votre avis sur les propositions plus concrètes de mise en œuvre de ce projet, ainsi que sur les sujets sur lesquels il y a des avis particulièrement divergents qui sont apparus » (Lettre aux adhérent-e-s du 11 août 2020).

Autrement dit il s'agissait de voter sur un « projet » sans « propositions concrètes de mise en oeuvre », ni discussions contradictoires sur les « avis divergents » qui « seraient apparus », sans qu'on sache d'ailleurs lesquels. Autant dire que ce « projet » était une sorte de couteau sans lame auquel il manquerait le manche.

Et « à l'Automne », alors ? Rien. Plus de débat contradictoire, plus de « propositions concrètes ». Disons le froidement : comme à chaque Convention nationale depuis la création du Mouvement, les décisions longuement discutées et adoptées ne l'auront été que pour être aussitôt ignorées.

Encore un doute, camarades ? La « feuille de route » adoptée le 5 décembre 2020 annonçait ceci :

« Nous proposons d’organiser les Universités du Futur désirable. Elles auront vocation à devenir les creusets de la pensée sociale, écologiste et démocratique de demain. En réalisant la convergence idéologique des mouvements, structurés ou non, qui traversent la Gauche et l’écologie aujourd’hui, elles permettront à tou·tes de construire ensemble un projet alternatif de société qui doivent se nourrir et servir à créer des liens avec les mouvements progressistes internationaux. »

Neuf mois mois plus tard, pas un seul pas concret n'aura été fait dans cette direction. Rien.

L'objectif de « se remettre collectivement sur les rails de la création commune d’idées neuves » n'a pas dépassé le stade de la pose d'une pancarte « attention chantier », sans même qu'un coup de pelle ne soit donné.

Le flou en politique se paye cash

Mais le problème est que la vie politique, et en particulier les échéances électorales peuvent s'avérer particulièrement cruelles quand on n'a pas de réponses claires, élaborées collectivement, à y proposer.

A cet égard, on ne peut pas ne pas évoquer les appellations successives de notre mouvement, « M1717 », puis « Génération.s », qui ont ceci de commun... qu'ils ne veulent rien dire.

Le choix de tels noms, aseptisés, ne mettant pas en avant l'exigence de Justice Sociale, d'Egalité, de Démocratie sans même parler d'Internationalisme, pouvaient inquiéter quant à la capacité de la direction de notre Mouvement de répondre aux aspirations que la campagne de Hamon aux présidentielles, puis la rupture avec le PS, avaient fait naître.

Car à l'inverse, pourquoi des dizaines de milliers de personnes se seraient-elles engagées ou rapprochées de Génération-s, sinon parce qu'elles y voyaient la possibilité d'un débouché politique, en rupture significative, par la Gauche, avec le Parti Socialiste, remettant en cause dans des termes nouveaux le productivisme, l'extractivisme, bref la domination du profit en tous domaines ?

Et pourquoi rester dans mouvement sinon pour que celui-ci soit un cadre permettant à la fois une riche discussion politique et la possibilité d'exercer des responsabilités permettant d'avancer dans la mise en œuvre et l'élaboration des réponses politiques nécessaires ?

Faute d'avoir eu cet objectif au cœur, et d'avoir organisé le mouvement dans cette perspective, les échéances politiques successives sont venues tailler en pièces un mouvement qui ne s'était pas armé pour y faire face.

D’échéance en déchéance

La campagne des élections européennes a marqué un échec électoral dont Benoît Hamon a pris acte à titre personnel. Mais elles devaient être l'occasion d'une profonde remise en cause politique, puisque l'objectif de dépasser le PS – ou tout du moins les 5% - pour installer le Mouvement dans le paysage politique, n'avait pas été atteint ?

Mais pourquoi ? D'abord, en réalité, parce que la campagne avait commencé avec l'émergence du mouvement des Gilets Jaunes... Et face à celui ci la réaction de Hamon fut, dans un premier temps, de se prononcer pour son maintien..... Puis, dans un second temps, de se féliciter de son abandon !

Ainsi lancée comme une toupie, la campagne des européennes, décisive pour l'avenir potentiel de G-s, se déroula sous le signe de slogans venant se chasser les uns les autres. Un incompréhensible « hope is back », un poétique « printemps européen », avant de finir sur un quasi gaullien « l'Europe libre »... et une conférence de presse commune avec Nicolas Dupont Aignan, ex-premier ministre putatif de Marine le Pen, soi disant en défense de la démocratie !

Derrière ces slogans et leurs variants, qui rendaient tout message politique insaisissable, une bataille, celle de manœuvres au nom de « l'unité », se menait. Elle était lancée par Hamon à Grenoble dans les termes suivants : « nous sommes plus que jamais unitaires et nous disons à toutes les forces de gauche: “Le dialogue aujourd’hui est l’unité de demain et la victoire d’après-demain.». Elle se termina par le succès de Raphaël Glucksmann, et derrière lui celui de l'appareil du PS.

Même si le pire (passer sous la barre des 3%) avait été évité de justesse, l'échec était flagrant. Mais aucune leçon n'en fut tirée. Les échéances municipales suivantes démultiplièrent les déchirements, opposant localement militant-e-s entre eux pour les mêmes raisons : ne pas avoir défini le moindre début de commencement de politique aux niveaux des communes, et en particulier, dégagé des lignes de force conditionnant l'engagement de Génération-s sur telle ou telle liste .

Notre mouvement plaça certes des centaines d'élu-e-s dans les conseils municipaux. Mais dans le même temps il perdait en masse ses adhérent-e-s, fatigués des manœuvres sans principes et de l'absence de débat démocratique.

Les Régionales vinrent parachever cette absence de principe en politique, puisque le seul objectif commun a semblé … d'avoir des élus - particulièrement dans les Pays de la Loire ou la « maison commune de la gauche et de l'Ecologie » se transforma en un ralliement à Mathieu Orphelin, fraîchement député Lrem, et qui à ce titre avait voté l'essentiel des lois du gouvernement Macron avant de se re-découvrir une conscience écologique… et de s'autoproclamer tête de liste (pour ne faire qu'un score bien faible au final).

Une démocratie de surface, loin de ce que devra être la 6ème République

Peut-être pourrait-on reprocher aux adhérent-e-s, aux militant-e-s, d'avoir après tout entériné par leurs votes ces tactiques sans fond qui ont mené au naufrage de Génération-s.

Mais, on a eu l'occasion de le relever plus haut, les textes adoptés par nos conventions nationales n'ont que rarement été suivis d'effets.

Ainsi, l'Assemblée des membres et des territoires prévue par les statuts n'a eu qu'un rôle décoratif et non de contre-pouvoir. L'Agora, censée, elle, selon les statuts permettre le débat organisé entre les membres, est resté en déshérence sauf rares exceptions. Au point que nombre des pages web du site qui l'héberge renvoient « erreur 404 ». Génération-s est un mouvement qui ne respecte pas ses propres statuts - et l'Agora des membres du mouvement en était au coeur, précisément pour permettre une démocratie qui ne soit pas formelle.

Quant au Collectif National de Génération-s, il n'a jamais été une direction : constitué par cooptation par le duo de porte paroles élus, et soumis ensuite à un simple vote de ratification, il n'était qu'une façade pour le Mouvement dont la direction effective aura été assurée tout du long par un « Comité exécutif », pour reprendre les termes d'un des membres de la direction, non déclaré, resserré, essentiellement constitué de militant-e-s travaillant dans sphère politique (assistants parlementaires et autres).

Au final, les adhérent-e-s ont voté... avec leurs pieds, en quittant en masse le mouvement.

Inutile d'épiloguer sans fin: disons simplement que si nous voulons une 6ème République qui permette la déconcentration du pouvoir, qui élève intellectuellement les citoyens en leur donnant les moyens (en tous sens) de débattre, il faut déjà commencer par l'incarner dans son propre mouvement. Autrement c'est la « démocratie » façon grand débat national à la Macron : « causez toujours, je vous écoute attentivement et … n'en tiendrai aucun compte ».

Et si la première condition de la démocratie, c'est de permettre de confronter arguments et orientations, c'est de permettre une discussion précise sur le bilan d'activité (ce que toute organisation sociale fait, en vérité), alors celle-ci n'a jamais été réunie dans Génération-s.

Et sans une telle démocratie, pas moyen de produire des idées neuves, de se les approprier, de les diffuser, de les faire avancer. Pour le dire autrement, les conditions matérielles du dépassement du petit noyau militant forgé dans les combats internes au Parti Socialiste ne furent pas réunies, la vieille politique a eu la peau dure.

Et maintenant? 

Dans un mouvement démocratique, vivant, la question d'une convention nationale extraordinaire prévue par les statuts se poserait, pour rompre sans délai avec la candidature Jadot dont le porte-parolat assuré par Mathieu Orphelin résume à lui seul ce qu'elle est, et sortir du pôle écologiste dont le programme rendu public ne peut que décevoir ou inquiéter, sans compter qu'il fut concocté par un petit groupe de personnes piochant à leur guise dans les centaines de contributions  "participatives".

Mais de convention extraordinaire il n'en est évidemment pas question : l'Assemblée des Membres et des Territoires qui en aurait statutairement le pouvoir n'a aucune réalité, moribonde comme l'ensemble du mouvement (les dernières réunions régionales d'Île de France n'ont pas rassemblé le quart des membres théoriques). Et depuis la désignation de Jadot, une nouvelle vague de départs de Génération.s a eu lieu. L'aspirateur à opportunismes qu'est une campagne présidentielle (et la lutte des places pour les legislatives) fera le reste. 

Nous avons tenté de construire Génération-s, dans une perspective à la fois unitaire (la « maison commune de la Gauche et de l'Ecologie »), novatrice (avancer des réformes, au delà du revenu universel), et remettant en cause le capitalisme, la domination du profit (au sens où a pu le proposer un Erik Olin Wright), en s'opposant aux régressions nationalistes, identitaires, marchandes, en promouvant la justice sociale, la démocratie, la coopération et les communs.

Nous le savons : seul un changement radical dans la façon de vivre ensemble, de travailler et de produire, d'éduquer, en rupture avec les exigences du capitalisme, est à même d'éviter le naufrage collectif annoncé.

C'est d'ailleurs la signification du mouvement autour de la candidature de Sandrine Rousseau à la primaire du pôle écologiste. Mais la primaire du pôle écologiste a rendu son verdict : c'est la candidature du « gérant vert » (dixit Libération)  qui en est sortie – avec en ligne de mire l'exemple des Grünen allemands qui gouvernent sans heurts majeurs à l'occasion avec les Libéraux, voire les Conservateurs, et l'ombre de tout ce qu'incarne Nicolas Hulot dans l'arrière-salle de cette campagne.

Les socialistes quant à eux ont sorti de leur chapeau la candidature Hidalgo dont on ne voit guère comment elle pourrait susciter un quelconque enthousiasme populaire. 

*     *     *

A cette étape, seule la France Insoumise est en position de faire bouger les lignes, si sa volonté de se dépasser via "l'Union Populaire" se traduit de manière tangible. Car s'il s'agit toujours pour celles et ceux qui se sont engagé-e-s dans Génération-s de construire une nouvelle formation politique, dans la perspective du socialisme démocratique, ce ne se fera ni sans la FI, ni - les années écoulées l'ont montré - sous son patronage.

Par contre, cela peut être à son initiative.

Le 5 décembre prochain se tient la première réunion du "parlement de campagne" de Jean-Luc Mélenchon.

Nous verrons à ce moment ce qu'il en est. 

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