Paradoxe : si la ligne de Génération.s lors des présidentielles avait « fonctionné », alors il n’y aurait pas eu de Nupes aux législatives.
Génération.s avait comme principe fondateur d'oeuvrer à la "maison commune de la Gauche et de l'Ecologie" (dont nous espérions être une 'poutre' ...)
Or le choix a été fait de s’inscrire dans le pôle écologique ("car personne d'autre ne saisit notre main tendue" dixit Benjamin Lucas). Il s’est opéré au cours d’une convention qui s’est plus apparentée à un règlement de comptes interne (contre Claire Monod) qu’à un débat d’orientation politique. Pour illustration, un texte assez largement soutenu, et prônant le retrait du "Pôle écologiste", avait été retiré du vote à la dernière minute.
Ce choix nous a amené au final à nous retrouver alignés derrière un candidat, Yannick Jadot, qui n’incarnait pas et ne pouvait pas incarner le combat pour la justice sociale et l’émancipation. D’une part parce que telle n’est pas sa tradition, qui s’apparente plutôt à celle des Grünen (lesquels gouvernent avec les libéraux si besoin). D’autre part parce que tel n’était pas tout simplement son programme (malgré le travail des camarades de G-s au sein des équipes du candidat )
Mais non seulement le programme de Jadot et Jadot lui même sous bien des rapports étaient étrangers aux combats que portent les militant•e•s de notre mouvement - au point d’entraîner une vague silencieuse de départs lors de sa victoire à la primaire, mais encore, quelle perspective cette candidature offrait-elle?
A moins de se bercer gravement d’illusions, personne ne pouvait envisager que Jadot soit au second tour. Et si Jadot avait fait le score promis par les sondages, soit maximum 10%, la différence essentielle avec la claque d'être passés sous la barre des 5% aurait été de rendre quasi impossible l’unité au premier tour des élections législatives, laquelle a permis, à l’initiative de la France Insoumise, à la Gauche et aux Ecologistes de limiter les dégâts malgré un score global historiquement bas (équivalent à celui de 2012).
D’ailleurs, la direction de Generation.s l’a indiqué très nettement elle-même dans la pratique. En effet, elle est allée négocier séparément avec LFI/Union Populaire des places pour les législatives. Pourquoi? Pour enclencher une dynamique qui ne se faisait pas car EE-LV y résistait.
En termes moins diplomatiques, le noyau dirigeant de Gs a forcé la main du pôle écolo et rejoindre l’Union Populaire (élargie) lancée par les insoumis (et gagné quelques postes au passage).
La primaire du pôle écologiste et le résultat de Jadot : un fiasco politique pour notre mouvement
Entre temps, depuis des mois, notre mouvement avait ni plus ni moins disparu. On peut entendre que personne ne se soit senti de se porter candidat(e) à la primaire du pôle écologiste. Mais non content de ne pas exister en tant qu’organisation, nous nous sommes dispersés aux quatre vents. Le noyau dirigeant auto-coupé de Génération.s avait opté pour Piolle (en ne tenant pas compte de l’expérience grenobloise qui a quand même entraîné une crise locale importante de notre organisation). Mais on a retrouvé des membres du CN derrière presque chaque candidat. Et aucune position commune n’a été définie. Difficile de souligner davantage le degré d’inanité politique auquel notre mouvement a été rendu en quelques années. En un mot , cette primaire a été celle de notre dissolution politique de facto, annoncée bien avant pour qui voulait le voir.
Pis encore : le résultat de cette primaire est que personne n’a été majoritaire. Jadot n'a en effet recueilli que 49,83% des suffrages (si on tient compte des bulletins blancs) - ce qui augurait mal de sa campagne, n’ont même pas capable de rassembler largement son propre « camp », comme d’ailleurs par la suit ses rapports houleux avec sa rivale Sandrine Rousseau l’ont amplement montré.
Or dans le même temps, la France Insoumise, instruite du passé (il suffisait d’en parler avec son noyau dirigeant), lançait un « parlement populaire » qui était le signe au contraire d’une volonté nouvelle de rassemblement, d’élargissement, notamment avec Aurélie Trouvé, ou un ancien porte-parole éphémère de notre mouvement, parmi nombre de militant-e-s, d’artistes, etc.
Cette situation imprévue méritait que l’on fasse le point, que l’on s’interroge, surtout avec le contenu de la campagne de Yannick Jadot.
Car cela été dit (notamment dans la déclaration du Comité génération.s de Saint Ouen qui avait largement circulé à l’époque) : Génération.s, en se mettant (certes loyalement) au service de la campagne Jadot, se mettait au service d’un candidat qui n’avait pas de programme (en tout cas pas « vivants » qui pourtant sortait en librairie en même temps), et tout particulièrement n’entendait absolument pas remettre en question fondamentalement la 5e République (cette partie de son programme présidentiel n’aura jamais été complétée ! Quel sérieux !) .
Sacré paradoxe pour nous autres qui sommes porteurs d’une 6e République !
Dire cela n’est pas oublier le travail formidable que les camarades ont mené (je peux en parler de première main pour ce qui est de l’Education) pour insuffler des idées novatrices, nos mandats. Mais force est de reconnaître que le choix politique de Jadot était de mener une campagne « responsable », en d’autres termes inintéressante et surtout sans perspective autre qu’une gestion verte du sytème capitaliste.
Nombre de camarades ont immédiatement réagi : Saint Ouen n'est pas hélas le seul endroit où la victoire de Jadot ait entraîné des départs immédiats de militant-e-s de valeur qui n’avaient pas la moindre intention de se voir enrôlés dans cette campagne là.
Nous aurions pu prendre la mesure de la situation ainsi créée : un candidat Ee Lv sans dynamique, peu légitime, et fort loin de nos objectifs politiques, menant de plus en plus campagne contre le candidat Mélenchon, d’une part; et d’autre part une dynamique vers le vote Mélenchon (surtout après le flop de l’incongrue « primaire populaire », bonne idée dévoyée) et la volonté affichée de la LFI d’élargir « l’Union Populaire ». Ali Rabeh par exemple l’a parfaitement mesuré et assez tôt pour que, au moins, nous puissions nous poser collectivement la question de notre orientation et la poser publiquement pour peser dans le sens de la « maison commune » qui est notre boussole, en théorie. Mais pour cela, il eût fallu que notre organisation respecte ses statuts et plus particulièrement permette que s’exprime la démocratie.
Avec une vraie démocratie interne, nous aurions pu réajuster le tir.
Ayant largement écrit et documenté ce point de la démocratie interne à Génération.s auparavant dans ce texte, je serai particulièrement concis mais c’est une question centrale, qui se pose bien au-delà des rangs de notre mouvement.
En effet il n'y avait une chose à retenir dans la perspective de la reconstruction nécessaire à Gauche, c’est celle-ci : on ne peut pas se réclamer mer d’une 6ème République démocratique sans commencer à appliquer soi même les principes que l’on entend mettre en oeuvre si l’on accède au pouvoir.
Nous pouvions, au moment au des personnalités comme Ali Rabeh rejoignaient le parlement de l’Union Populaire, et devions, avoir une discussion collective sérieuse, ordonnée (pas un questionnaire, pas un énième vol bloqué sur tel ou tel texte qui empêche l’expression de l’intelligence collective). Mais il n’y a pas de cadre (l'Agora des statuts) ni de volonté politique (cf la gestion par le mépris de "l’Assemblée des membres et des territoires").
Pas plus d’ailleurs qu’il n’y a jamais eu application du texte voté pourtant par notre dernière convention nationale, lequel annonçait la tenue « d’universités » communes à des segments de la Gauche et des écologistes, permettant de dégager du commun, du fond. Paroles, paroles...
A part pour qui est élu-e, et encore, comment mouvement politique peut -il être attractif sans être vivifiant intellectuellement, ce qui implique travail sur le fond et démocratie ? Cette remarque d’ailleurs ne vaut sans doute pas que pour Génération.s, mais pour nous, outre la situation générale qui reste défavorable, c’est ce qui explique que nous ayons perdu depuis 2018 les trois quarts de nos effectifs au bas mot, sinon les neuf dixièmes.
Et c’est aussi pourquoi ont fini par fleurir les appels publics de militant-e-s et responsable-s de génération-s appelant à voter Mélenchon.
Et avec raison car c’est grâce à cette dynamique , répétons-le, celle du vote populaire se regroupant derrière le candidat le plus solide et clairement marqué comme « à gauche » (là aussi il y a eu inflexion de LFI entre 2017 et 2022), que l’élargissement de l’Union Populaire a pu avoir lieu et qu’en trois semaines de négociations, l'inimaginable: un programme, en tout cas un début de programme commun a pu être couché sur papier. Et que la gauche dans toute sa diversité n’a pas été balayée de l’Assemblée nationale.
Aurait-il été inimaginable de faire à Génération.s comme on devrait le faire dans une 6e République? Une conférence d’urgence? Une discussion qui ne soit pas bâclée? Un vote qui permette de la nuance?
Pour le moment la façon dont la prochaine Convention de Génération-s est préparée s’annonce comme un énième déni de démocratie.
D’une part parce que la direction sortante s’octroie de faire elle-même une « synthèse » des contributions auxquelles elle a fait appel. Au mépris du principe de base selon lequel on ne peut être juge et partie.
D’autre part parce que, deux mois avant ladite convention, aucun texte n’est encore soumis à la discussion.
Sans temps ni moyens matériels ( un « temps d’échange » lors des Journées des Écologistes, un autre pendant la fête de l’Humanité), aucune discussion sérieuse dont les adhérent•e•s puissent se servir ne pourra avoir lieu.
Qui plus est il y a un fort risque que le futur texte soit présenté comme la « synthèse ». Ce qui écraserait toute discussion.
Et pourtant : au lieu de préparer notre disparition en plus ou moins bon ordre, nous pourrions encore jouer un rôle positif.
L’outil politique que nous devons aider à construire naîtra du dépassement démocratique de l'Union Populaire, pas d’une énième reconfiguration du mouvement écologiste
Si notre mouvement est arrivé en bout de course, il n’en a pas moins gardé une certaine surface politique (malgré sa dénomination sans saveur ni odeur), des élu-e-s de terrain dévoué-e-s, des comités thématiques qui poursuivent leur travail de veille et d’élaboration, des sympathisants qui avaient été attirés (à juste titre) par l’émergence d’idées neuves, marquant un nouveau rapport au travail, notamment, dont la « grande démission » en cours souligne la force, que ce soient le revenu universel, la sixième semaine de congés payés, mais aussi d’une manière générale un rapport à la société qui vise à produire du commun face au rouleau compresseur de l’individualisation numérique consumériste qui abêtit, divise et divertit.
Que faire de ces acquis? Au lieu de les dissoudre dans les divers courants qui agitent les Verts, il y a une autre voie. Notre prochaine convention pourrait décider de répondre et d’amplifier à l’appel lancé par Clémentine Autain, notamment, sur son blog et dans la presse. Je la cite in extenso:
« la vie du mouvement n’a pas trouvé son rythme de croisière pour stabiliser les équipes militantes et faire vivre, à chaque échelon, l’élaboration collective. Les lieux de la prise de décision restent flous, l’espace du débat stratégique n’est pas identifié, la partition entre le local et le national mériterait d’être redéfinie.
Le gazeux a l’avantage de permettre d’agir vite, d’opérer facilement des tournants. Un atout dans une situation aussi instable et mouvante que la nôtre, avec un paysage politique en recomposition. Mais les formes lâches possèdent aussi de sérieux défauts. Reposant de fait sur un petit noyau de dirigeants, elles permettent difficilement d’agréger des cadres, d’en former de nouveaux pour animer un mouvement véritablement implanté sur tout le territoire et de profiter de la diversité des regards contenus dans le mouvement, celle qui permet d’affiner une orientation et de fidéliser des cadres militants ailleurs qu’au siège. Sans identification claire des processus de décision, le gazeux désoriente et rend plus facile les procès en légitimité des décisions prises – même si la personnalité de Jean-Luc Mélenchon, « clé de voûte » de la FI, a jusqu’ici joué en grande partie un rôle de légitimation. En outre, permettre la maîtrise et la compréhension des choix opérés, c’est aussi mieux résister à la décrue de l’engagement militant lorsque la situation nous est moins favorable. C’est pourquoi je suis convaincue que nous devons franchir une nouvelle étape organisationnelle. «
Ce qui est certain, c’est que la clé pour pouvoir conquérir le pouvoir (ailleurs que dans les conseils municipaux) n’est pas une refonte d’EE-LV (sinon il fallait faire comme les camarades qui sont partis sans attendre, dès juillet, pour s’y fondre) mais bien dans un dépassement de LFI qui offre en effet le paradoxe d’être à la fois la force dominante à Gauche (en tout cas pour les élections nationales) et à la fois, en état des choses, de se heurter à ses propres limites en matière de gouvernance, mais aussi d’image (je ne suis pas bien certain que le slogan « Melenchon premier ministre »n’ait eu qu’un effet mobilisateur lors des Legislatives…).
Quiconque discute avec militants, cadres, de la LFI sait que les questions posées par Clémentine Autain y ont une résonance. Idem du côté de Sandrine Rousseau et des graines qu'elle a semées.
Mais au-delà de ces échanges : la constitution du parlement de l’Union Populaire montre que, en tout cas pour partie, la direction de la LFI aussi est consciente que pour briser son propre « plafond de verre » il lui faut changer de mode de fonctionnement et d’organisation. PrenonsPaul Vannier au mot, lui qui déclare ce jour dans Libération "LFI, l’Union populaire… on peut encore évoluer. Un outil est au service de la lutte politique, on peut en changer". Prenons Hendrik Davi au mot, lui aussi. Et combien d'autres ! Les portes ne sont pas fermées.
Mais il va falloir les ouvrir. Et donc peser en ce sens. Donc préparer un véritable congrès de refondation, saisir la main tendue par la Gauche Ecosocialiste et les autres, créer ce pôle politique permettant la recomposition du champ politique à Gauche, pôle que Génération.s voulait constituer (la "maison commune de la Gauche et de l’Ecologie » disions nous).
Que nous n'y soyons pas parvenus n'en a pas fait disparaître la nécessité. Si notre Convention nationale d’octobre permet de réorienter notre mouvement dans cette direction, alors elle jouera un rôle positif.