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Billet de blog 20 oct. 2009

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Olivier Salazar-Ferrer : Entretien sur Benjamin Fondane

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A l'occasion de l'exposition Benjamin Fondane du Mémorial de la Shoah

nous republions l'entretien d'Olivier Salazar-Ferrer avec Goulven le Brech publié dans la revue littéraire Le Grognard en 2008-2009.

Cette excellente publication mérite d'être suivie avec attention car elle associe une haute qualité graphique, des bois originaux et des textes libres (critique, poésie, articles philosophique, compte-rendus) pleins de fraîcheur qui revendiquent un attachement à la pensée libertaire. Elle se présente en ces termes: "Résolument inactuel, Le Grognard affiche ouvertement sa nostalgie pour les revues mythiques du 19e siècle : La Plume, La Revue Blanche, Le Mercure de France… mais aussi pour certaines revues anarchistes fortement teintées d'idéologie individualiste telles que L'En dehors, L'Unique, L'Ordre Naturel, La Mêlée".


Rien ne pourrait être plus vivifiant à une époque de triste conformisme et d'estampillage culturel.

Qu'ils en soient remerciés et en tout premier lieu son directeur, Stephane Beau, pour accorder la permission de republier cet entretien!

Les lecteurs de Mediapart sont chaleureusement invités à découvrir cette revue sur son site:

http://legrognard.hautetfort.com/

Entretien d’Olivier Salazar-Ferrer avec Goulven Le Brech[1]Goulven Le Brech : L’œuvre de Benjamin Fondane (1898-1944) n'est pas très connue en France, si on la compare à d'autres penseurs d'origine roumaine comme Emil Cioran. Mais elle semble susciter à l’heure actuelle un regain d'intérêt, se manifestant par des rééditions de textes de Fondane et par la parution d'études à son sujet comme votre essai, Benjamin Fondane et la révolte existentielle, qui est la première approche « exhaustive » de l’œuvre fondanienne.Pouvez-vous nous expliquer cette méconnaissance et l’intérêt nouveau que suscite Benjamin Fondane ?La célébrité, la propagation médiatique d’une œuvre à une époque donnée, est un indice très relatif de son intérêt et de sa valeur. Celle de Cioran ne s’est imposée que très tardivement. C’est aussi le cas de Walter Benjamin, longtemps oublié, puis redécouvert, ou de Rachel Bespaloff sur laquelle je prépare un essai. En réalité, nous sommes confrontés à une œuvre farouchement indépendante, qui a été occultée par une mort tragique à Auschwitz. Fondane a donc laissé une œuvre interrompue à 46 ans qui n’était pas encore entièrement achevée, par exemple Baudelaire et l’expérience du gouffre, publiée de façon posthume en 1945. Son tempérament de polémiste, son indépendance par rapport aux idéologies politiques dominantes avant et pendant la guerre n’ont pas facilité les choses. Les Cahiers du Sud où il avait publié d’impressionnantes chroniques philosophiques de 1932 à 1944, n’ont pas donné tout l’écho mérité à l’œuvre philosophique et poétique de Fondane, vite occultée par la vogue de l’existentialisme sartrien ou par l’œuvre de Camus. Il faut dire que son œuvre poétique française, par exemple Ulysse (1933) ou Titanic (1937), n’avait été publiée qu’en plaquettes assez modestes et dans des revues d’avant-garde. La Conscience malheureuse, son principal volume philosophique, publié en 1936 par Denoël, fut rapidement épuisé et la réédition chez Plasma l’est encore aujourd’hui. Autre exemple, le grand poème L’Exode que je viens d’adapter pour le Festival d’Avignon[2] ne fut publié intégralement qu’en 1965. Pourtant, Fondane avait marqué profondément son époque. Il avait été en dialogue avec Jules de Gaultier, Chestov, Camus, Gide, Jacques Maritain, Albert Béguin, Cassou, Brancusi. Il avait attaqué Husserl, Heidegger, Gide dans des chroniques admirables et avec une justesse qui commence à être signalée, par exemple dans ses rapports à Heidegger dont il indiqua l’ambiguïté politique vis-à-vis du nazisme dès 1936. Je suis en train de préparer un article sur la réception de Heidegger par Fondane. Il y a là une lacune à combler. Janicaud dans son bel ouvrage est passé complètement à côté, même s’il salue l’audace fondanienne. Disons immédiatement qu’aujourd’hui, les choses ont bien changé, grâce à des chercheurs, à une Société Benjamin Fondane, et à l’énergie et à la fidélité de Michel Carassou, par exemple, qui a commencé dans les années 80 à le publier, et qui continue aujourd’hui aux éditions « Non Lieu » à diffuser son œuvre. Notamment, cette année, les Ecrits pour le cinéma en collaboration avec Verdier et que nous avons préparé avec lui et Ramona Fotiade. Nous avons présenté ce livre à la Cinémathèque française, avec une projection du film Rapt (1934) de Dimitri Kirsanoff, dont Fondane fit l’adaptation d’après un roman de Ramuz. La réception du public, le dialogue avec les anciens des Cahiers du Cinéma ont été formidables. Le film avait gardé toute sa fraîcheur, toute sa force subversive, toute son ironie. Là encore, l’histoire fut tragique, car Tararira, le film réalisé par Fondane en 1936 en Argentine ne fut pas distribué par le producteur, trop scandaleux, trop à contre-courant, et a disparu jusqu’à aujourd’hui. J’ai réussi à rassembler une centaine de photographies de ce film mythique et j’espère pouvoir en retrouver une copie un jour en Europe ou en Argentine. Vous voyez cette voix ardente n’est pas oubliée. Lorsque vous m’interrogez sur la « méconnaissance » de l’œuvre fondanienne, je pense aussitôt à son caractère non-dogmatique, à sa véhémente liberté, à cet air de grand vent qui souffle sur ses pages. Lorsqu’il arrive à Paris en 1924, il est un jeune poète, essayiste, dramaturge roumain. Il a fréquenté de très près les avant-gardes naissantes à Bucarest, le dadaïsme, le constructivisme, l’intégralisme et leurs représentants : Voronca, Brauner, Marcel Janco, Tzara, etc. Fondane est l’un des directeurs de la revue Intégral à Paris. D’abord attiré par le surréalisme, il va devenir rapidement sa « bête noire », une libre parole refusant son affiliation au nouveau dogme surréaliste, attaquant le rationalisme d’André Breton et les positions politiques du groupe. Fondane est un ironiste féroce. C’est pourquoi on le retrouve aux marges, en dialogue amical avec les membres du Grand Jeu, Roger-Gilbert Lecomte, Monny de Boully, Daumal mais aussi avec Antonin Artaud. Il fréquente aussi Adamov. On le trouve aussi en correspondance avec Unamuno et Maritain. A ce moment, il y a un bouillonnement extraordinaire dans un Paris cosmopolite, bigarré, où les étrangers apportent leurs différences créatrices, leurs regards nouveaux et subversifs. A ce moment, il fréquente Brancusi, sur lequel il écrit un essai remarquable en 1929, mais aussi Chagall. C’est Man Ray qui fait les portraits de Fondane en 1928 pour ses Trois scenarii - Cinépoèmes, avec un photomontage à deux têtes que j’ai retrouvé dans le Fonds du Trust Man Ray à New York. Le grand problème de Fondane à la fin des années vingt, c’est de conserver l’esprit de la subversion dadaïste, sa liberté, et de la métamorphoser en une nouvelle création, en évitant l’auto-destruction. C’est la rencontre du philosophe Léon Chestov qui lui permet d’effectuer cette transformation, parce qu’il trouve là un irrationalisme d’une très grande classe, d’une grande culture philosophique, qui vise à établir la possibilité d’une autre dimension de la pensée, au-delà de la logique, des dogmes, des idéologies, des codes sociaux de la culture en général. On assiste à une véritable « conversion » vers 1928, portée par une amitié exceptionnelle, dont témoigne l’ouvrage : Conversations avec Léon Chestov. A partir de ce moment, Fondane va à la fois diffuser cette philosophie existentielle, et l’appliquer à une réflexion personnelle sur le cinéma, sur la poétique, sur la culture, et on en retrouve aussi les grands thèmes dans sa poésie. Notez qu’il ne l’adopte pas sans l’enrichir de tout son univers poétique, en l’élargissant. Néanmoins, il retrouve avec Chestov un horizon religieux, un Dieu absent, le Dieu du judaïsme. Profondément, il est convaincu que Chestov incarne la mission, l’élection, d’un judaïsme de la révolte, de l’insoumission, où la grande voix de Nietzsche est toujours active, paradoxale, mais inspiratrice, aux côtés de celle de Kierkegaard. Alors que Fondane ne pratique pas le judaïsme, qu’il n’est peut-être pas croyant, cette absence de Dieu est comme un trou noir dans l’œuvre. Il est indéniable qu’il y a là une fidélité, qui s’exprime par exemple dans L’Exode, qui témoigne pour le peuple juif pendant l’Occupation. Mais sa lecture chestovienne du judaïsme, au-delà de la morale et de l’éthique, proche de Luther, donne un aspect inclassable à ce judaïsme de la révolte. Certains exégètes aimeraient aujourd’hui le rattacher à une famille spirituelle, à des filiations, voire à une tradition religieuse juive. Certes, Fondane appartenait à une famille d’érudits juifs roumains, et sa jeunesse fut fortement marquée par leurs œuvres ; toute sa vie, il maintient cette fidélité, à travers la figure du juif errant, de l’émigrant. Mais son évolution est personnelle et la spiritualité juive tend chez lui à s’identifier avec un vitalisme passionné, chargé de revitaliser les cultures figées et de réveiller par ses insolences un Dieu nié par le rationalisme moderne. Lisez son article publié en 1936, « Léon Chestov à la recherche du judaïsme perdu », et vous aurez l’essentiel de ses positions. J’ai eu à coeur, dans mon livre, de montrer l’aspect inclassable de sa révolte contre tout dogmatisme. Son dernier essai, Le Lundi existentiel et le Dimanche de l’histoire, s’inspire de la parole du Christ : « Ce n’est pas l’homme qui a été fait pour le Sabbat, mais le Sabbat qui a été fait pour l’homme ». Alors l’intérêt de cette œuvre, le voici. C’est une œuvre d’insoumission. En poésie également. Partie d’une certaine fascination pour la forme poétique symboliste, pour la perfection formelle et ses enchantements, elle s’en sépare très tôt pour la briser, pour loger dans son autonomie formelle, mallarméenne, des dissonances, des accords faux et terriblement humains qui expriment plus complètement notre humanité que des accords parfaits. Le fini, la perfection, les rythmes admirables, l’harmonie stylistique appartiennent à un idéalisme poétique qui ignore une part de l’humain, nos paradoxes, notre mortalité, notre part de ténèbres. Si vous lisez Baudelaire et l’expérience du gouffre, publié de façon posthume par Seghers en 1947, vous trouverez cette question : l’art n’est-il qu’un voile destiné à masquer les terreurs du gouffre ? Et vous rencontrez là le cœur de l’œuvre : le discours rationnel, l’œuvre d’art, le poème peuvent agir comme des leurres ontologiques, des succédanés, des arrière-mondes nietzschéens. Le discours fondanien vise à une réappropriation de l’existence, à une restitution du réel. C’est l’objet du Faux Traité d’esthétique publié en 1938 puis du Baudelaire et l’expérience du gouffre qui expose ceci de façon polémique, car la poésie ne s’approche toujours que négativement de son objet, en combattant ce qu’elle n’est pas et ce qu’elle ne doit pas être. Votre essai a pour point de départ le titre énigmatique que Fondane a donné à l’ensemble de son œuvre poétique, du camp de Drancy, peu de temps avant d'y être assassiné : Le Mal des fantômes. Ce titre contient d'après vous le motif central de son œuvre : « l’obsession de la déréalisation des individus par l’excès du rationnel, l’exil, l’émigration et la violence totalitaire qui transforment des êtres réels en fantômes de l’Histoire ». La révolte existentielle de Fondane, qui s'enracine dans le constat du développement du mal moral à une période historiquement déterminée (la Première Guerre mondiale, la montée du fascisme) semble intimement liée à une souffrance de la finitude, comparable à celle de Rimbaud. Comment expliquez-vous cette sensibilité au mal, à l’origine de l’œuvre fondanienne ?Le mal, vous en trouverez une approche singulière dans son livre sur Baudelaire, car il lui fallait expliquer comment l’irréductible, l’infini, l’indistinct, l’indéfinissable sauvagerie du moi furent repoussés de plus en plus loin de la poésie et de la littérature par un idéal de perfection finie. Fondane prend l’exemple du charme valéryen. Or, toute son argumentation tient dans l’idée que chez certains poètes et écrivains, cet idéal formel, avec ses plaisirs d’art, le charme, l’envoûtement, la douce hypnose musicale des œuvres, peut se lézarder et révéler brutalement un gouffre, c’est-à-dire la vacuité de nos belles représentations, ruiner notre château poétique, et rompre l’enchantement de l’art. En réalité, Fondane règle ses comptes avec le romantisme, puis avec le symbolisme, et enfin avec le surréalisme. Il trouva donc une complicité extraordinaire avec Baudelaire. Je le répète, nous avons là un maître ironiste, presque un moraliste, non au sens d’une prescription morale, mais au sens d’une analyse très fine des pièges réflexifs de la représentation de soi, des masques du réel. Alors, je tiens à dire avant tout qu’il ne s’agit pas d’une œuvre pathétique, mais d’une œuvre combative, où le malheur est un des lieux de l’authenticité humaine. Nous savons tous cela, nous avons tous vécu de près ou de loin, des expériences de dénuement, de révélation dans la pauvreté ou dans la désappropriation brutale de nos certitudes. Alors, lorsque Fondane décide au camp de Drancy, en rédigeant son « testament littéraire », de rassembler son œuvre poétique sous le titre « Le mal des fantômes », il prend conscience que son dernier poème, qui portait le même titre, exprimait l’essentiel de son intention poétique. Il prend conscience aussi de l’étonnante correspondance de sa vie et de son œuvre : ses grands poèmes d’exil, Ulysse et Titanic avaient mis en scène des émigrants, des ombres fugitives sans nom ni lieux qui errent de ville en ville avec toute leur vie dans une valise, qui fuient les pogroms, les guerres, les haines nationales. Il est maintenant lui aussi devenu une ombre de l’histoire. Les juifs se terrent dans Paris, sont arrêtés ou déportés. Leur visage est déshumanisé. Leur parole interdite. « Souvenez vous que moi aussi j’avais un visage… » écrit-il dans la « Préface en prose » en 1942. Mais sous ces « fantômes » fabriqués par la violence de l’histoire, nous percevons d’autres fantômes en transit vers le futur, « qui meurent sur les vagues des saisons » comme l’écrivait Rimbaud. La déréalisation des individus, c’est bien sûr l’effet de l’histoire aveugle, du nazisme, C’est l’effet de la fuite, de l’anonyme dispersion de la Diaspora juive, mais plus largement notre condition temporelle, la finitude qui nous efface d’un souffle de cette terre. J’ai tenu dans mon livre à souligner l’extraordinaire cohérence de cette œuvre. Ses expressions multiples visent toutes à une restitution existentielle contre une déréalisation des individus par la culture. La conscience malheureuse souffre finalement de s’éloigner d’elle-même, de sa véritable immédiateté avec elle-même, que les philosophes occultent en construisant des médiations, des reconstructions conceptuelles, des discours fondateurs. Fondane dénonça avec véhémence cette déréalisation rationnelle, et plus intimement la fabrication des illusions par notre réflexivité, par nos mythes personnels, d’essence morale. C’est tout le sens de son attaque contre le projet autobiographique d’André Gide, qu’il déconstruit admirablement, et peut-être trop tardivement car Gide intègrera très vite à son œuvre la question même de la continuité biographique. Reste le paradoxe de la désappropriation. De nombreux poèmes fondaniens traitent de la nudité, du désastre, de la catastrophe, du naufrage réel ou symbolique. En réalité, c’est une pensée « catastrophiste » au sens où elle cherche à ruiner nos certitudes, nos fondements, nos repères culturels pour advenir à une dimension plus fondamentale de l’existence. L’image du Titanic, c’est cette fin promise, cet éclair de luxe sur un océan ténébreux où la musique joue encore. A la fin du poème Ulysse, Ulysse veut se jeter à la mer, rejoindre les sirènes et à « hâte d’écouter le chant qui tue ». Nous sommes face à une fascination pour la révélation potentielle qui habite le désastre. Si nous écoutons cette œuvre, nous devons être sensible à ce goût du danger métaphysique, du risque extrême. Fondane introduit même l’idée d’une « pensée catastrophique », qui brise les cadres logiques du langage. C’est encore une désappropriation extrême. Nous la retrouvons aussi dans sa poésie. Il utilisera les figures poétiques du lépreux ou de Job dans de très beaux poèmes d’inspiration bibliques. Alors, effectivement, cette œuvre va affronter une correspondance saisissante entre l’évolution d’une situation historique dramatique, deux guerres mondiales, l’exode et la déportation des juifs, l’existence traquée des juifs sous l’Occupation, et un thème métaphysique, celui du poète errant, étranger à tous et étranger à lui-même, emporté dans un voyage existentiel qui interroge son sens. Cette voix du poète, c’est souvent une voix chestovienne, qui se révolte contre la finitude, pour dire « non » à la mort, à la temporalité destructrice, pour s’affirmer envers et contre tout, qui exige « l’impossible », et qui témoigne de cette soif par un acte que j’ai appelé, faute de mieux, une attestation existentielle. Dans le développement de la pensée de Benjamin Fondane, vous situez deux philosophes qui l’ont influencé : Jules de Gaultier et Léon Chestov. Le premier a plutôt été un initiateur à sa pensée, le Bovarysme, et le second un véritable père spirituel, léguant à Fondane un certain art de philosopher. Comment s'est fait le passage d'une influence à l’autre, et au final l’émancipation du disciple par rapport au maître ?On a peu étudié les relations réelles existant entre le jeune Fondane et Jules de Gaultier, dont il connaissait les œuvres en Roumanie, avant 1924. N’oublions pas que lorsque Chestov l’interroge la première fois sur ses affinités philosophiques, Fondane avoue connaître seulement Nietzsche et Jules de Gaultier. Ce philosophe a marqué beaucoup de grands écrivains comme Victor Segalen qui a entretenu avec lui une correspondance passionnante. Il avait écrit La Sensibilité métaphysique en 1924 et un remarquable Nietzsche en 1926. Fondane avait consacré plusieurs articles à son œuvre avant 1929, notamment sur le spectaculaire et le messianisme juif. Il a rédigé une notice un peu ironique à sa mort dans les Cahiers du Sud en 1943 où il prend définitivement congé de sa philosophie. Pourtant, les choses ne sont pas aussi simples. Le bovarysme de Jules de Gaultier l’a marqué, et nous en retrouvons des traces dans ses analyses des leurres de la réflexivité gidienne, bref d’un bovarysme de Gide, dans ses analyses du dandysme chez Baudelaire, puis dans la pratique d’un soupçon systématique porté sur l’image morale de soi dont il fait une stratégie de réfutation contre ses adversaires. Il est probable que l’application du bovarysme au messianisme juif et la dissolution de l’existence elle-même dans le système spectaculaire conduirent Fondane à préférer l’approche chestovienne à cet esthétisme contemplatif, car écrit-il en 1943, « le monde est un spectacle qui comporte une infinité d’acteurs – et pas le moindre spectateur ». Il fallait sauver l’existence elle-même du bovarysme en quelque sorte, et Fondane, en outre, croyait vraiment à une mission du peuple juif, mission de décristallisation des valeurs, de spiritualisation des formes de la culture, mission qu’il retrouvait incarnée dans l’irrationalisme ironique de son maître Chestov.Vous expliquez au début de votre essai que l’originalité de l’œuvre fondanienne consiste à répondre au mal des fantômes non seulement négativement, par une subversion des systèmes philosophiques (dans la lignée de Jules de Gaultier et de Chestov) mais aussi positivement, par ce que vous appelez des attestations existentielles : œuvres poétiques, cinématographiques, théâtrales. Vous évoquez quelques pages plus loin « la conscience honteuse du poète », de penseurs refoulant les évidences poétiques par peur de la vindicte culpabilisatrice de la raison. Benjamin Fondane ne représente-t-il pas un rare cas de philosophe-poète accompli ?Oui. Fondane, à la différence de Chestov, est poète. C’est une des rares œuvres polyvalente du XXe siècle, avec des articles de critique littéraire, des essais de poétique, du théâtre, du cinéma, des textes philosophiques sur Husserl ou Heidegger, sur la logique ou encore sur l’ethnologie. Alors que Chestov s’efface derrière une argumentation subtile et impersonnelle, Fondane est un créateur qui produit des pièces de théâtre telles que Le Festin de Balthazar ou Philoctète, des films comme Tararira en 1936. Nous avons organisé l’année dernière avec Liliane Meffre deux jours de discussion à l’Université de Bourgogne autour d’un rapprochement de Carl Einstein et de Benjamin Fondane, ces deux philosophes, ces deux poètes morts tragiquement à cause du nazisme, pour comparer leurs œuvres polyvalentes, ouvertes sur les arts plastiques, le cinéma, l’ethnologie...et un volume a été publié. Car pour Fondane, un lieu d’attestation existentielle est possible dans la création poétique. Mais elle porte trace des luttes et des déchirements qui l’ont traversées. La voix fondanienne est un centre bouillonnant, une crise perpétuelle, un lieu de révolte qui heurte les vers libres ou rythmés et qui témoigne dans l’urgence. J’ai voulu montrer dans mon livre que son cosmos poétique correspond à la subversion du rationalisme, et à un monde libéré, fluvial, où le moi n’est plus limité à un centre égologique, cartésien, mais explose en une multitude d’instincts, d’affects et d’actes de langage. D’où la fascination pour l’océan, qui brise les formes, disjoint les figures stables, et nous introduit dans un univers qualitatif, intensif, de forces et de soifs déchirantes. Mouvements, errances, perte, nostalgie et révolte, ce monde est vraiment catastrophique, il « coule » comme le Titanic et il coule comme un monde héraclitéen. D’autre part, le poème répond aux essais de poétique. A côté de moments de grâce extrême, de grandes beautés du verbe poétique, il y a des cris, des dissonances, des exclamations, des sanglots, bref tout un excès baroque qui vient rappeler que le monde réel ne réside pas dans un enchantement esthétique. Cela effraya un peu à l’époque ses contemporains, pour lesquels la poésie devait chanter, et non crier. Ses essais sur la conscience honteuse du poète furent dirigés en réalité contre un livre néopositiviste du jeune Roger Caillois, Procès intellectuel de l’art. Fondane en réalité réagit pour défendre l’autonomie vivante, intérieure, de la poésie contre les aliénations de toutes sortes qui pourraient la surveiller, la contrôler, la remettre dans le rang pour des raisons de conformité morale ou sociale. Nous trouvons là l’ébauche d’une analyse des contrôles insidieux de la culture, des attentes sociales d’une époque donnée, qui pèsent sur la compréhension de soi et sur son jaillissement poétique. Fondane se fera jusqu’au bout le défenseur du droit à l’irrationnel poétique, à l’ivresse divine de la Pythie opposée au charme maîtrisé d’une belle création finie, quitte à revenir sans cesse sur ses textes palimpsestes pour les corriger en faveur de cette veine irrationnelle surveillée par la raison.Lorsqu’on relit les poètes du Grand Jeu, qui ont été enfin admis dans le temple éditorial de Gallimard, on comprend mieux cette génération assez tragique…Pensez à Artaud, à Roger Gilbert Lecomte, à Daumal, à Krémer ou même à Yvan Goll. Aujourd’hui, nous avons la chance de pouvoir les lire, de ressaisir leur force, pour, je l’espère, nous inciter à être nous-mêmes avec la même obstination et le même courage. Fondane vit dans l’intranquillité permanente. Ses carnets de guerre inédits sont très instructifs à cet égard car ils révèlent une âme en mouvement perpétuel, instable, vivante, mobile, inquiète. Les questions fusent, se heurtent, se combattent sans cesse. Ces philosophes-poètes, déliés des contraintes institutionnelles de l’Université, ont souvent une lucidité et une sincérité redoutables. Ils disent, parfois naïvement, ce que des codes du discours critique et des règles de déférence sociale empêchaient d’exprimer. Lorsqu’on lit les chroniques de la philosophie vivante de Fondane aux Cahiers du Sud sur Husserl, Bachelard, Bergson, Heidegger ou Jean Wahl, Caillois, on est stupéfait de son audace et de son ironie. Lorsque Albert Camus a attaqué Chestov dans Le Mythe de Sisyphe, Fondane eut le temps de défendre son maître dans Le Lundi existentiel et le Dimanche de l’histoire, publié de façon posthume, avec une ironie terrible sur son « Sisyphe heureux » et sur notre obligation de l’imaginer heureux. Il existe peu d’œuvres subversives qui s’expriment avec autant de modes différents d’expression. Je songe à celle de Louis Calaferte, l’auteur de Rosa Mystica, poète, peintre, moraliste, romancier, dont on parle peu malheureusement aujourd’hui…Vous consacrez quelques pages de votre essai à la confrontation de Fondane avec Camus. Tous deux se trouvent d'ailleurs dans un ouvrage collectif réalisé sous la direction de Jean Grenier en 1945, L’existence, contenant l’ultime texte de Fondane : « Le lundi existentiel et le dimanche de l’histoire ». En quoi les « trois temps » de la révolte existentielle de Fondane, qui structurent l’organisation de votre essai en trois grandes parties (déréalisations, subversions et attestations) diffèrent-ils de la révolte camusienne, qui comporte elle aussi trois phases (l’absurde, la révolte et l’amour) ?Oui, c’est là un épisode passionnant, car le jeune Camus a été fasciné par les œuvres de Chestov, que Grenier lui avait fait découvrir en Algérie lorsqu’il était son professeur de philosophie. Lorsqu’il écrit Le Mythe de Sisyphe, il est déjà soucieux de retrouver une fidélité à la terre, c’est-à-dire à une immanence tragique, confrontée sans remède autre que la beauté et l’amour à l’absurdité du monde. En ce sens, il reproche à Chestov sa fuite existentielle, et toute son œuvre se fait l’écho d’une condamnation de cette soif d’impossible. Or, très lié aux Cahiers du Sud, Camus connaissait évidemment les chroniques philosophiques de Fondane, et sa présence est, bien que non dite, perceptible en creux dans l’offensive camusienne. En 1943, Camus a rendu visite à Fondane, et une brève rencontre a eu lieu sous l’Occupation. Nous avons retrouvé une lettre de Fondane à Camus très significative. J’ai raconté en détail cela dans deux articles. Fondane a répondu dans le Lundi existentiel et le dimanche de l’histoire, en radicalisant sa position, qui évidemment est aux anti-thèses d’une sagesse grecque acceptant un compromis avec la nécessité et avec la finitude. Ce débat est passionnant car il engage à la fois un devenir de la philosophie existentielle qui a précédé l’existentialisme sartrien, très différente de lui parce qu’elle ne négociait pas à partir de Husserl ou de Heidegger, et les rêves de libération totale de l’avant-garde des années vingt. A la fin des années trente eut lieu un débat passionnant entre Fondane, Chestov, Bespaloff, Grenier, Camus sur Hegel, Husserl, Heidegger, Jaspers etc. dont vous retrouvez des traces dans L’Existence malheureuse de Grenier qui répond peut-êre indirectement à La Conscience malheureuse de Fondane. La révolte fondanienne est d’ordre métaphysique, elle est une irrésignation face à la temporalité, à la finitude, mais aussi au mal. Son horizon est religieux, sans doute, mais dans l’inconnaissance car elle présuppose une subversion de la logique et de la connaissance rationnelle. Il y a là une sorte d’anarchisme métaphysique et religieux qui se définit par la lutte, par le refus, et qui cherche à s’exprimer sur le terrain philosophique, poétique, mais aussi épistémologique. En outre, elle puise dans Kierkegaard et Chestov l’idée qu’elle doit dépasser l’éthique des prescriptions morales, des jugements sociaux sur le bien et le mal. Chez Camus, il en va tout autrement, car la révolte est une sorte d’appui, de cogito éthique mimant le cogito cartésien, lui permettant de sortir de l’absurde. Elle est fondatrice d’un droit. Vous vous rappelez la célèbre déclaration : « Je me révolte donc nous sommes ». Cette révolte va créer des positions éthiques, des limites, interdire le suicide, réfuter le non-sens, bref elle fonde une éthique de la solidarité libertaire que Camus aimait tant et qu’il oppose farouchement au dogmatisme des révolutions. A la fin de L’Homme révolté, Camus prône une « pensée de midi », une sagesse de la mesure d’inspiration grecque. En l’absence de Dieu, son Ulysse refuse l’immortalité promise par Circé, revient à la terre, participe à un destin commun et accepte la finitude. Pour répondre à votre deuxième question, j’ai soutenu dans mon livre que l’œuvre Fondane n’est pas seulement négatrice ou destructrice, mais affirmative. Elle garde quelque chose du vitalisme de Nietzsche, de Georg Simmel, et même de Bergson qu’elle place dans un horizon religieux de la vie conçue comme jaillissement perpétuel de l’être perçu par l’existant individuel. Le traumatisme de la Première Guerre mondiale qui a suscité le nihilisme dadaïste, répondait à la catastrophe historique par une « catastrophe » logique qui faisait exploser la culture bourgeoise et morale associée à la guerre par la pratique de l’absurde. Dans un texte essentiel intitulé « Signification de Dada », Fondane prend acte de cette crise de réalité, et dénonce l’idéalisme de la culture, ses artifices, ses leurres, bref une vaste fantasmagorie de concepts et d’images qu’il faut déchirer pour restituer un réel perdu. Ce combat contre un « réel fantôme » gouverne toute son œuvre. La souffrance humaine naît de cette irréalité ; de cette distance avec soi, avec la source féconde, indocile, sauvage de l’être que le sujet porte en lui et qui s’épanche en poésie, en mythes, en peinture, en création. Les activités logiques, rationnelles et analytiques de l’esprit sont suspectes de nous en éloigner. C’est pourquoi Fondane s’intéresse de très près à la pensée primitive qu’il connaît par les œuvres de Lévy-Bruhl, qu’il est fasciné par l’art de Brancusi, parce qu’il y a là une promesse de participation directe et immédiate au réel. L’œuvre créatrice ou l’œuvre poétique affirme donc une réalité humiliée, refoulée, occultée par les fantômes du rationnel et de l’idéalisme. C’est tout le sens de Faux Traité d’esthétique de 1938 qui reste une œuvre très actuelle, très forte. C’est ce que j’ai appelé le moment d’une « attestation existentielle », frappé par le fait que la poésie de Fondane tourne autour de la position du témoin placé au cœur du désastre.Dans votre essai foisonnant, à l’image de l’œuvre fondanienne, outre les questions philosophiques, vous abordez à plusieurs reprises le style de Fondane, qui dès sa période « dadaïste » est plein de fougue et sans compromis. Vous évoquez à ce sujet la musicalité et les dissonances de son écriture. En lisant ses livres on a en effet l’impression d'avoir Fondane en face de soi, engageant le lecteur à le suivre dans les méandres d'une pensée faites de brisures, à l’image de la vie même. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ?Exactement. Cette centralité du sujet existentiel n’est guère autobiographique au sens d’un « culte du moi » barrésien. C’est même tout le contraire. Le sujet explose comme le « je est un autre » rimbaldien en intensité, en forces, en affects contradictoires qui traversent un monde chaotique. Néanmoins, les grands poèmes « Ulysse », « Titanic », « L’Exode » et « Le mal des fantômes » sont des voyages existentiels, des traversées sur l’océan de l’être restitué à son devenir héraclitéen. Le témoin traverse le monde, ses émigrants, ses villes bouleversées, et cet « Ulysse juif » qui est le poète ne s’oriente vers aucun retour, vers aucune terre natale, mais vers une catastrophe suprême. Il défie le malheur, l’exil, la mort même. Il est avide de danger et de désastre. Il est aussi avide de ce Dieu judaïque qui a été perdu et dont il a soif. Dans ces grands poèmes, la trame autobiographique est présente, mais déchirée, en lambeaux. Les ancrages référentiels sont comme des archipels sur une mer nocturne. Si le jeune Fondane a été marqué par l’explosion des champs sémantiques de l’avant-garde – voyez ses premiers textes français publiés par Michel Carassou et Petre Raileanu dans leur beau volume Benjamin Fondane et l’avant-garde[3] – très rapidement, il abandonne ce style proche de ses amis dadaïstes ou constructivistes et leurs métaphores modernistes, pour forger un langage poétique original, souvent en vers libres, charnel, dense, chargé d’affects violents et d’éclairs de beauté, bref charpenté et maintenu en tension par toutes les contradictions humaines.Vous êtes vous-même, à l’instar de Benjamin Fondane, poète, écrivain, critique et vous venez d'adapter pour le théâtre le poème « L’Exode »de Fondane, qui a eu un vif succès lors de sa représentation au dernier festival d'Avignon. Pouvez-vous nous dire en quoi cette figure vous a influencé et ce qu’elle représente dans votre cheminement personnel ?Les affinités électives que l’on a pour une œuvre se révèlent peu à peu. Elles éclairent, toujours imparfaitement, pourquoi on se plaît à fréquenter une œuvre, à la faire connaître, à la revitaliser, et inversement à se recharger d’énergie et de liberté auprès d’elle. J’ai écrit pour la revue Agone un essai publié en 1992 sur Fondane sans penser que celui-ci occuperait si longtemps mon attention. Je m’étais plongé dans les archives de Jean Ballard, redécouvrant un philosophe poète dont on ne parlait presque plus. J’avais lu à ce moment toute la correspondance Ballard-Fondane, publiée depuis, et cette voix ardente m’avait touché par sa force de présence, par cette vitalité ardente et révoltée qui était la sienne. Cette soif d’infini, cette révolte avait été traquée, prise dans le filet des mesures antisémites de Vichy ; le poète avait été déporté, assassiné à Auschwitz. Il y a avait aussi là une urgence, une justice à faire valoir. Quand aux influences sur mes propres livres, il m’est difficile de vous répondre car elles agissent dans le secret. Sans doute, mon livre de récits Un Chant dans la nuit, publié lui aussi par Réginald Gaillard, qui dirige les éditions de Corlevour, se nourrit aussi d’une fascination pour des situations où notre humanité contradictoire vit de fragiles extases, de désespoirs et de passions baroques ou burlesques. Chaque être porte en lui une rivière souterraine où brillent à la fois des étincelles de beauté, des lambeaux d’espoir et des blessures inguérissables. C’est ce jeu entre le fini et l’infini, comme le dit Kierkegaard, qui compose notre humanité la plus profonde et cela, vous le retrouverez peut-être dans ce dernier livre. Cette année, vous le rappelez à propos, Yves Sauton a monté un spectacle à partir de mon adaptation de L’Exode de Fondane. Il a livré une mise en scène très rythmée, avec des voix contrastées. La flûte traversière de Jean Cohen Solal, qui a jadis travaillé avec Jacques Rivette, véritable maître de l’esprit et du vent, a trouvé son plein accord avec le poème : modulée, tantôt surgissant des ténèbres, tantôt lumineuse et aérienne, elle accompagne, met en relief les voix et laisse vivre pleinement des silences. Le visage du musicien, comme un oiseau nocturne observant la scène, était lui-même un pôle magnétique. Je me suis réjouis de ces choix scéniques car cette musique, fluide comme le temps, répondait parfaitement à la métaphore du fleuve qui porte le poème. L’occupation de l’espace scénique est elle aussi très modulée : danses, prostrations des corps, rencontres avec les marionnettes, immobilité hiératique puis vitesse des déplacements. Les actrices Geneviève Mancino et Manuelle Molinas s'inscrivent dans cette gestuelle dramatique avec expressivité et complicité. Elles ont été habitées par l’intensité dramatique de leurs rôles. Yves Sauton comédien nous a donné un registre plus intime, en lequel je retrouve la détermination chuchotée, implacable, farouche d'un poète traqué puis assassiné à Auschwitz. Le jeu avec les marionnettes est une heureuse trouvaille car le coeur de l’œuvre fondanienne réside dans une méditation sur le « mal des fantômes », c'est-à-dire sur la déshumanisation des individus, transformés en fantômes de l’histoire : anonymat, oubli, mépris les ont refoulés et condamnés à n'être plus que des ombres ou des souvenirs d'eux-mêmes. Il fallait trouver une expression purement théâtrale à cette pensée abstraite, et elle fut trouvée dans ce dialogue scénique du personnage avec une marionnette surgissant d'un voile et disparaissant aussitôt dans le néant. Tout cela fait de la mise en scène un pari gagné et j’ai hâte que ce spectacle continue à tourner en France ou à l’étranger. « L’Exode » est un poème qui fut écrit de 1934 à 1942 par Benjamin Fondane ; il constitue un cri d'exil à la fois métaphysique et historique. Le poète interroge l’errance infinie du peuple juif, et le désastre historique, mais au-delà, l’errance existentielle de tous les hommes, dans un siècle marqué par la mort de Dieu. Cette progression évolue en spirale, d’une voix qui surgit de l’indistinct originel vers l’histoire biblique, puis vers le présent historique d'un poète juif traqué affrontant, criant, interrogeant, témoignant, avec toute la richesse du texte poétique. La sortie d’Egypte, l’exode babylonien, l’exode des français de 1940 se fondent pour constituer un question brûlante : l’histoire se répète, les fuites, les départs, les déracinements se superposent, et le poète interroge son chant même : comment chanter sur la terre devenue étrangère ? Comment chanter dans la violence de l’histoire ? C’est une question encore brûlante aujourd’hui. La célèbre "Préface en prose" qui achève la pièce éclaire rétrospectivement son sens : l’attestation d'un visage d'homme dans une période de persécution et de déshumanisation. Tout cela pouvait, je crois, interpeller avec force le spectateur dans son humanité, dans sa fragilité.

[1] A propos de la parution de Benjamin Fondane et la révolte existentielle (De Corlevour, 2007). Cet entretien a été publié dans la revue Le Grognard n°8 (décembre 2008) et n°9 (mars 2009).

[2]« L’Exode » mis en scène par Yves Sauton et la Compagnie de la Mouvance aux Théâtre des Ateliers d’Amphoux, Festival Off d’Avignon, 2008.

[3]Petre Raileanu and Michel Carassou, Fundoianu Fondane et l’avant-garde, Fondation culturelle roumaine / Paris-Méditerranée, Paris, 1999.

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