L'aviation est la mobilité la plus énergivore et émettrice de gaz à effet de serre (GES). Ses émissions augmentent et seraient déjà responsables de 5% de l'impact climatique (selon les ONG, 2% selon l'industrie)1. Alors que la France doit réduire ses émissions de 75% à 80% d'ici 2050, l'aviation projette un doublement de son trafic, avec 1200 chantiers aéroportuaires prévus dans le monde. L'aviation échappe à l'accord de Paris (COP21) et propose en compensation un schéma "CORSIA" qui malheureusement s'avère avant tout un « greenwashing » destiné à rassurer (voir ci-dessous). Pour l'Agence Européenne de l'Environnement (EEA) « les émissions de CO2 du secteur de l'aviation [...] représenteront 22% des émissions globales en 2050 si aucune action n'est entreprise. »2
Le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes était donc l'arbre qui cache la forêt : à Londres, à Vienne et dans de nombreux pays, les oppositions aux nouveaux projets ou aux extensions d’aéroports se font désormais entendre. En octobre 2018, avec la campagne mondiale «Stay Grounded» («Rester sur terre»), des actions ont lieu partout dans le monde pour alerter sur la croissance du trafic aérien et les destructions engendrées par les projets d'aéroports.
Le train de nuit: une solution pour le climat
Une alternative efficace existe, et elle est déjà en croissance en Europe : grâce au «saut de nuit», l'Intercité de nuit offre un déplacement sans perte de temps. L'arrivée est en centre-ville, dès le matin, ce qui permet de profiter de journées entières à destination. En Europe les nouveaux trains de nuit modernes sont confortables pour tous et pour tous les budgets.
Le déploiement d'un réseau complet d'Intercités de nuit permettra d'ici 2030 de réduire le recours à l'avion sur les déplacements à l'échelle européenne. L'Europe est un continent de taille réduite et le train de nuit est bien adapté pour des distances de 600 à 1500 km. Il va deux fois plus loin que le TGV qui reste pertinent entre 300 à 750 km. Le potentiel de report est de fait multiplié : sur les 150 millions de passagers aériens au départ de la France, 100 millions sont à destination de l'Union Européenne, et plus particulièrement des pays limitrophes. De nombreux voyages peuvent ainsi s'effectuer en train de nuit. Le gain pour le climat est donc considérable, pour un investissement relativement modéré, puisque l'infrastructure est déjà en place.
En France, la SNCF et les pouvoirs publics ont négligé cette mobilité qui sait pourtant être innovante à l'étranger. Aucune voiture-couchette n'a été achetée depuis 1980 et c'est là la vraie raison du démantèlement du service. Aujourd'hui il reste tout juste de quoi faire rouler, avec grandes difficultés techniques dues aux nombreuses pannes, les 2 lignes existantes.
Par contraste, l'Autriche est pionnière avec son réseau d'Intercités de nuit ÖBB « nightjet » qui s'étend de Hambourg jusqu'à Rome. Les Nightjets transportent 1,4 millions de passagers par an, ce qui évite 12 000 vols intra-Européens. ÖBB a commandé de nouveaux trains et de nouvelles lignes seront mises en circulation en 2019 et 2020. Plus avant, ÖBB appelle à une collaboration entre les compagnies ferroviaires européennes pour construire un réseau de nuit européen cohérent.

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Déficitaire le train de nuit ?
Actuellement la fiscalité favorise artificiellement l'aviation qui bénéficie d'exonérations sur le kérosène, sur la taxe carbone et sur la TVA, soit environ 2,8 Milliards d'euros par an (Md€/an) pour la France. Les subventions pour les aéroports et lignes régionales s'élèvent à 10 Md€ entre 2000 et 2013. Au total le coût pour le contribuable se monte à près de 100€/an par foyer fiscal alors que l'avion sert avant tout au voyage d'affaires et aux vacances. Ce n'est ni un besoin de première nécessité, ni une mobilité bas carbone. Ce n'est pas donc pas au contribuable de la subventionner.
Malgré la défiscalisation et les aides à l'aviation, l'Intercité de nuit est d'ores et déjà concurrentiel. L'Autriche a repris les trains de nuit allemands qui étaient décriés comme "déficitaires". Grâce à une amélioration du service, les trains de nuit ont dégagé des bénéfices dès la première année avec une forte augmentation de la fréquentation. La Suède a également relancé son réseau national avec le même succès.
En 2018 le prix des hydrocarbures augmente, et la fiscalité devra tôt ou tard évoluer en faveur des mobilités peu énergivores. L'Intercité de nuit est donc une mobilité du futur et dès aujourd'hui les équations changent. La ministre des Transports Élisabeth Borne a emprunté Paris-Briançon le 22 septembre et a déclaré « Oui, les trains de nuit ont de l’avenir !» . Elle a annoncé un financement de 30 millions € pour les trains de nuit existants (Paris-Latour de Carol, Paris-Rodez et Paris-Briançon), confirmant ainsi qu'« ils sont une bonne solution pour l’accessibilité des territoires, un atout pour leur développement économique et touristique. » C'est donc un pas en avant, même si un effort supplémentaire reste à faire : de nombreuses nouvelles lignes Intercités de nuit sont à créer et le Ministère des Transports n'a toujours pas encore reconnu leur pertinence pour le climat.

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Action à Besançon le 5 octobre "pour les trains de nuit et les trains du quotidien". Les Intercités de nuit sont pertinents sur les transversales vers sud, d'autant plus qu'elles ne bénéficient pas de LGV continues et que certains trajets en train de jour peuvent durer entre 5 et 10 heures.
Verdir le transport aérien: c'est un peu comme enseigner la danse classique à un éléphant
Verdir l'aviation, c'est ce que propose le schéma de compensation "CORSIA" négocié par l'Organisation de l'Aviation Civile Internationale (OACI). L'objectif paraît hors d'atteinte, par contre CORSIA est efficace pour communiquer et rassurer les consommateurs qui sont de plus en plus nombreux à refuser de monter dans l'avion, malgré les billets subventionnés à "petits prix". Les actions CORSIA sont très positives en apparence, mais le diable se cache dans les détails3 :
Compenser les émissions, par exemple en plantant des arbres. Ce mécanisme est dénoncé par des communautés autochtones qui se voient privées de l'usage de leurs terres.4 L'effet est d'autant plus désastreux que l'institut Öko a montré que seuls 2% des actions de « compensation » apportent vraisemblablement un effet de réduction réel et non surestimé par leurs promoteurs.5 Finalement seulement 6% des émissions de l'aviation seraient « compensées ». Cela réduit la portée de CORSIA à une action symbolique, avec toutefois déjà des dommages collatéraux.
Les agrocarburants sont eux aussi controversés : il est difficile de certifier qu'ils n'entrent pas en compétition avec l'alimentation6. Ils sont onéreux et sont suspectés d'émettre jusqu'à 3 fois plus de GES que les hydrocarbures fossiles et de favoriser la déforestation7. Les lobbies amènent à définir des critères non soutenables8 pour les agrocarburants « nouvelle génération », présentés comme encore plus propres.
Le progrès technique vers une aviation plus propre : l'aviation restera la mobilité la plus difficile à décarboner et la plus énergivore. D'autres mobilités, comme le ferroviaire, sont par nature bien plus compatibles avec l'énergie électrique et beaucoup moins énergivores. Brandir d'hypothétiques futures solutions technologiques permet surtout de reporter la mise en place de réglementations.9
Agenda des actions sur ouiautraindenuit.wordpress.com/agenda
Pétition (67 000 signatures): www.change.org/p/ouiautraindenuit

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1 Aviation: 2 to 3 times more damaging to the climate than industry claims, Transport&Environnement, 6 fév. 2018
2 Aviation and shipping — impacts on Europe's environment, European Environnement Agency, fév. 2018 (page 18)
3 Lorène Lavocat, Les fantasmes d’une aviation écologiquement responsable, Reporterre, 15 janv. 2018 ;
The illusion of Green Flying, Finance&Trade Watch, nov. 2017
Magdalena Heuwieser, The illusion of green flying, Heinrich-Böll-Stiftung, 21 sept. 2018
4 Les ONG environnementales et les scientifiques défient l’Agence suédoise de l’Énergie – « Arrêtez de soutenir de fausses solutions aux changements climatiques en Ouganda », Carbon Market Watch, 23 Sep 2016
5 How additional is the Clean Development Mechanism ?, Öko-Institut e.V., mars 2016
6 Pavel Tomanon, Problems with certifying biofuels, say EU Auditors, EurologPort, 22 juil. 2016
7 Britain and Europe must tighten palm oil supply chains to save forests, EU parliament told, The Guardian, 23 fév. 2018
8 EU Commission surrenders to United Nations’ ICAO on aviation biofuels, Transport&Environment, 10 nov. 2017
9 Peeters et al., Are technology myths stalling aviation climate policy?, Transportation Research D: Transport and Environment, Vol.44, mai 2016