Aujourd’hui nous nous réunissons pour faire Pessah en solidarité avec le peuple palestinien.
Pessah commémore, à travers le rituel du Seder, l’histoire de la libération du peuple hébreu, réduit en esclavage par le Pharaon, et son exode de l’Egypte Antique.
Dans la Haggadah, le livre de la cérémonie de Pessah, l’histoire est racontée à la première personne, pour que chaque personne s’imagine sortant elle-même d’Egypte. Ainsi, à travers les générations, chacun·e s’identifie à cette histoire d’oppression et d’émancipation.
En ce Seder, nos pensées vont particulièrement aux Palestien·nes dont la vie est en péril, ainsi qu’à tou·tes les Palestien·nes en quête de liberté et de justice.
Seder veut dire ordre en hébreu, et le soir du Seder, on raconte l’histoire de l’exode en plusieurs étapes. On raconte la souffrance des Hébreux, réduit·es en esclavage, et les tentatives de Moïse - guide choisi par D·ieu – de convaincre le Pharaon de les laisser partir. Face au refus du Pharaon, dix plaies tombent sur le peuple oppresseur. C’est seulement lorsque la dixième plaie - celle de la mort des premiers-nés - l’atteint, que Pharaon cède. De peur qu’il ne change d’avis, les Hébreux fuient avant que leur pain n’ait eu le temps de lever. Devant la mer rouge, Moïse étend la main et les eaux se divisent, permettant le passage du peuple hébreu, avant de se refermer sur les persécuteurs. C’est ainsi que commence la longue route de l’exode en quête d’une terre accueillante.
Les manières de faire le Seder sont multiples et varient en fonction des appartenances religieuses, culturelles, ethniques et politiques. Si certains rites font socle commun, il existe une multitude de haggadot et on peut se les réapproprier et les renouveler sans cesse.
Aujourd’hui, nous poursuivons la tradition du Seder de libération qui commémore les luttes contre différentes oppressions. Par exemple, des haggadot rappellent que le soulèvement du ghetto de Varsovie contre les forces d’occupation allemandes en 1943, a eu lieu au premier jour de Pessah. Certaines versions du Seder commémorent d’autres luttes, parmi elles, la libération Noire, la libération lesbienne-feministe et la libération de la Palestine.
S’inscrivant dans ces traditions, notre seder insiste aujourd’hui sur le fait que personne n’est libre tant que d’autres restent opprimé·es.
Cette année, alors que le génocide est en cours en Palestine, nous nous réunissons pour proposer un espace juif politique et inclusif, pour faire ce Seder en solidarité avec les Gazaoui·es. Faire un seder public dans le contexte français, c’est aussi pour nous une façon de lutter contre l’antisémitisme qui perdure ici et ailleurs. C’est aussi une façon de montrer notre désapprobation face à la répression étatique du mouvement de solidarité avec la Palestine.
Pessah signifie en hébreu passer à travers, faisant référence à la manière dont D·ieu épargna les maisons juives de la dernière plaie, la mort des premiers-nés. Jericho Vincent, rabin·ne non-binaire, a récemment proposé une autre interprétation : Pessah signifie en hébreu pé - la bouche, sach - parlante. Pessah serait donc un moment consacré à l’élévation de nos voix contre les injustices.
Tandis que le gouvernement israélien utilise l’histoire de l’oppression du peuple juif pour légitimer sa politique génocidaire et incendiaire, nous voulons rappeler que le Seder est un devoir de mémoire de l’expérience vécue de l’oppression, une histoire de quête de justice et de liberté. “Plus jamais ça, pour personne” est le fondement d’une tradition juive humaniste que nous portons.
C’est pourquoi nous nous positionnons en solidarité avec le peuple palestinien, contre l’occupation et la domination coloniales. Il y a six mois, un nouveau cycle de violence extrême a commencé. Après les attaques du Hamas qui font plus de 1200 morts et au moins 250 otages israélien.nes, une violence sans précédent s'abat sur Gaza. L’État israélien détruit et massacre par les bombes, impose la famine et des épidémies aux Gazaoui·es. Plus de 34 000 palestinien·nes sont mort·es. La moitié de la population de Gaza est bloquée à Rafah, sans exil possible. Actuellement, Israël utilise le conflit avec l’Iran non seulement pour faire diversion du regard sur Gaza, mais aussi pour obtenir le soutien qu’elle n’a pas eu avant pour mener une offensive à Rafah. Pendant ce temps-là, les otages israélien·nes semblent aussi sacrifié·es.
Ces violences qui s’abattent aujourd’hui sur les Gazaoui.es sont le produit d’une politique israélienne dévastatrice, soutenue par des puissances occidentales, dont les Etats-Unis et la France. L’impunité est totale.
Pour ce Seder, nous n’oublions pas non plus l’oppression structurelle imposée par l’Etat français aux personnes migrantes racisées. Ici même au parc de Belleville, des mineurs demandeurs d’asile qui étaient contraints de vivre dans la rue se sont organisés en collectif pour réclamer leurs droits, lutter contre le racisme d’Etat. Ils et elles occupent actuellement la Maison des Metallos pour interpeller la Mairie de Paris et le gouvernement. La loi Darmanin et les politiques migratoires européennes déshumanisent et tuent impunément chaque année des milliers d’exilé·es du sud global et notamment des ex-colonies. Contre toute oppression raciale, notre seder veut aussi commémorer les jeunes Noirs et Arabes, comme Nahel, Adama et d’autres avant eux, tués par la police française et pour qui justice n’a jamais été rendue. Nous soutenons la lutte contre toutes les formes de racisme - y compris l’antisémitisme - qui structurent nos sociétés.
L’histoire de Pessah est souvent racontée comme un récit national, voire nationaliste : elle retracerait la création du peuple juif à travers l’exode à la recherche d’une terre promise. Nous, juif·ves de diaspora, souhaitons proposer une autre interprétation de la sortie de l’Egypte antique, comme une démarche critique perpétuelle d’indignation et de lutte contre toutes les dominations. Notre terre promise est celle où toutes et tous pourraient vivre dans la dignité, une terre de justice et de liberté.