Une certaine ignorance scientifique demeure sur les raisons pour lesquelles le Covid-19 ne toucherait que faiblement une catégorie sociale bien particulière, les jeunes. La maladie frappe implacablement mais, sauf cas rare, semble préserver les jeunes gens comme si, ayant acquis de longue date une capacité à être transparents dans une société qui les ignore, le virus ne les décelait pas davantage que ne le font les adultes. A moins qu’avec une certaine bienveillance, le Covid-19 n’hypothèque pas totalement la possibilité d’une vie future, plus digne et fraternelle, sur terre...
A la fin de cette "crise sanitaire", le soulagement sera immense que nos enfants soient passés à côté. On ira même jusqu’à dire qu’ils ont vécu une expérience unique, l’expérience d’une « guerre » tout en restant loin du front, inconscients du danger, le regard fixé sur leurs consoles de jeux vidéo, partageant des fake news sur les réseaux sociaux.
Le fait qu’au final ils auront perdu un grand-père, une grand-mère, un parent n’en fera pas des victimes mais ajoutera à leur culpabilité d‘avoir survécu du seul fait de leur jeunesse. A leur invisibilité dont témoignent les deux discours présidentiels des 12 et 19 mars dans lesquels aucune référence n’est faite à la jeunesse sauf pour annoncer la fermeture des écoles, collèges, lycées, universités et la mise en place d’un télé- enseignement à l’échelle du territoire, s’ajoutera une culpabilité sans retour. Le portrait qui est fait d’eux dans les médias est le plus souvent celui d’une jeunesse profitant d’une situation critique, vivant l’annonce de l’arrêt des cours avec la même liesse que la victoire des Bleus lors de la coupe du monde 2018 : « Wallah, dans mon internat c’était la coupe du monde 2018 ! ».
Dans les faits, la jeunesse paye déjà un lourd tribu au Covid-19. Les premiers dans les entreprises à avoir été remerciés ont bien sûr été les stagiaires, des stagiaires le plus souvent non salariés. On parle aussi beaucoup du dévouement des caissier(e)s, vendeur(se)s, surveillant(e)s, qui sont sur la ligne de front du ravitaillement. Un quart d’entre eux sont des étudiants qui doivent travailler pour payer leurs études à défaut de recevoir des bourses suffisantes. Les étudiant(e)s infirmier(e)s, ont été réquisitionné(e)s sur la base du volontariat alors même que leur formation n‘était pas terminée et sont en première ligne. D’autres s’organisent pour porter assistance aux plus démunis. Contrairement au discours général, l’altruisme, le goût du commun est dans les gènes de cette jeunesse que l’on qualifie le plus souvent d’individualiste, voire d’égocentrique.
Dans son discours du 12 mars annonçant dès la sortie de crise à un retour à « l’Etat-providence », à « la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession [qui] ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables », le chef de l’Etat aurait dû ajouter qu’il était urgent de sortir la jeunesse de l’état de précarisation économique et morale dans laquelle le système ultralibéral la maintient pour en faire une main-d’œuvre à bas coût alors qu’elle est le plus souvent surdiplômée, qu'il était urgent d'annoncer comme mesure prioritaire la mise en place d’un revenu universel minimum permettant de poursuivre dignement des études.
Sans cela, il est à craindre que les lois d’exception permises par cette crise, en particulier la mise en place du télétravail « rendu obligatoire pour tous les postes qui le permettent », n’ouvrent une nouvelle boîte de Pandore et que les jeunes n'héritent d’un système dans lequel ils seront soumis à trois voire quatre entreprises simultanément pour boucler leurs fins de mois.
La crise des gilets jaunes deviendra alors la crise des gilets jeunes et jaunes et, refusant dans un même élan ce monde qui justifie l’injustice au nom d’une intelligence supérieure, balaiera réellement cette fois le vieux monde, celui des sachant, des experts, d’une élite qui a oublié qu’elle était au service de la nation et du projet européen et non d’une classe de privilégiés.
Alors nous découvrirons pourquoi la jeunesse est immortelle et que le Covid-19 ne peut rien contre elle, contre son énergie, sa lumière, son amour, son avenir d’été.
Glas d’un monde trop aimé
J’entends les monstres qui piétinent sur une terre sans sourire. Ma sœur vermeille est en sueur.
Ma sœur furieuse appelle aux armes.
René Char