patrick 44 (avatar)

patrick 44

Abonné·e de Mediapart

129 Billets

2 Éditions

Billet de blog 12 janvier 2011

patrick 44 (avatar)

patrick 44

Abonné·e de Mediapart

La prise de risques artistique

patrick 44 (avatar)

patrick 44

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ayant dans divers commentaires conseillé la lecture des oeuvres de Franz Bartlet, j'en livre ici une pépite tirée de "Pleut-il" recueil de nouvelles où il nous donne à voir sa mauvaise foi, sa déraison et sa vision de la folie ordinaire.

"Si le risque avait quelque chose d’artistique, alors l’excès de vitesse sous l’emprise de l’alcool à contresens sur l’autoroute serait une manifestation de l’art

Quoi qu’on en dise, écrire des romans, peindre et composer des hymnes à la joie sera toujours moins périlleux que remplacer une ardoise sur un toit. Encore que ce soit des activités tout aussi mortelles .A la longue.

(Notons que dans les centres culturels on meurt moins que dans les hôpitaux. D’où vient que la tristesse soit plus perceptible dans les premiers que dans les seconds ?)

De nos jours, même la poésie avance en chaussures de sécurité. Casquée, bardée de références inattaquables et d’assistances sociales, elle s’entoure de précautions magnifiques, d’assurances-vie, de relations profitables. Elle a renoncé au sonnet pour s’adonner au dossier de subventions, qui est aussi un genre à contraintes. Elle met des gants. C’est ainsi qu’elle protège ses arrières..

La sagesse a toujours eu un prix et ce fut le prix de bonne conduite. A l’instar de la Joconde. Cette dernière a si bien su se faire entretenir qu’en cinq siècles son image n’a pas pris une ride.

Le secret de cette longévité d’exception tient tout entier dans l’exercice quotidien de la pondération.

D’abord la Joconde ne fume pas ses deux paquets d’américaines par jour. Trop risqué. Pas plus qu’elle ne s’expose à la fumée de ses génuflecteurs. Son dédain des antidépresseurs n’a d’égal que son mépris pour les boissons alcoolisées Trop risqué. Elle ne s’aventure pas non plus à trop se pencher en avant et se préserve ainsi du danger de choir en dehors du cadre. Sa tenue vestimentaire, exempte de toute provocation impose le respect spécial qu’on doit à la décence de costumes de la représentation nationale. Pas de fantaisie Trop risqué.

Eprise de perfection, la Joconde ne se tourne pas les pouces, même les jours où le musée est fermé Elle occupe plutôt ses temps morts à travailler les moyens de satisfaire sa soif d’unanimité. Pour ce faire, elle s’astreint à être toujours d’accord avec ses employeurs, ministres de la culture, conservateurs des vérités officielles, gardien de la chaise et de la clef, critique sous influence et public payant.

Ultime précaution : afin d’éliminer le risque de médire ou de contrarier, elle n’ouvre jamais la bouche.

Trop risqué. La Joconde personnifie la prudence, une vertu cardinale.

En tout état de cause, elle fait ce qu’on lui demande de faire, quand on lui demande de le faire. Sa nature subtile lui inspire daller au-devant des désirs démocratiquement convenus et de n’accomplir que ce qu’on attend de ses talents. Son héroïque docilité est au service de ce que le présent contient d’universel. Son abnégation engendre un engouement admiratif et généralisé. Des mouvements de foule. Une dévotion.

En effet, une vie complète atachée par la peau du cul dans une salle fréquentée comme un hall de gare aurait défraîchi l’opiniâtreté des tâcherons les plus exhibitionnistes. Pas celle de la Joconde. Elle accomplit sa mission avec un professionnalisme à tout le moins ancestral. Survit à tous les régimes. Et, désormais séparée de sa clientèle par une vitre de sécurité, comme une actrice de peep- show, c’est sans broncher qu’elle fait don de sa personne à l’intérêt supérieur des beaux-arts. C’est visiblement et à l’œil nu, un modèle, une icône, un symbole. Notre sainte patronne.

Il ferait d’ailleurs beau voir qu’elle se plaigne de sa situation. Elle a un emploi, une résidence, une fonction, une place on ne peut plus assise, que lui envient bien des œuvres plus turbulentes plus insolentes, moins bien élevées. Elle est soignée, chauffée, nourrie, choyée. On la ventile. On la restaure. On l’assure contre les accidents domestiques. D’autres n’ont pas cette chance. Pour un mot de travers, on les jette dans les oubliettes. Pour une ligne un rien divergente, on les condamne à la disgrâce. Pour s’être rendus coupables d’être un peu en avance sur leur temps ou un peu en retard d’une mode, d’autres n’inspirent que le sarcasme ou la mésestime hautaine. Le refus d’obtempérer aussi furtif soit-il constitue une sorte de risque majeur. Quant à la bonne humeur, elle est perçue sinon comme un crime, du moins comme une contre-indication. Le sourire de la Joconde n’exprime que la connivence. Et la gratitude envers ses maîtres. Jamais il ne se transformera en rire. Ce serait une prise de risque artistique aux conséquences incalculables. Il est d’ailleurs imprudent de se plier de rire le dos au mur.

Arrivé à la fin de cette humeur guillerette, je me demande plus ou moins artistiquement, si j’en ai bien mesuré les risques. Il y a des sujets avec lesquels on ne doit pas plaisanter. Je ne plaisante jamais"

Pour le retrouver en tête à tête, rendez-vous dans :

- le jardin du bossu (Folio)

- le bar des habitudes (Gallimard)

- chaos de famille (Gallimard)

- charges comprises ( Gallimard)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.