Oligarques russes: nationaliser leurs biens
La Fondation Vuitton a présenté les collections d'art de Serguei Chtchoukine en 2016 et d'Ivan Molotov de septembre 2021à avril 2022. Ces collections ont été clairement spoliées. La Révolution russe par décret nationalise en 1918 ces collections sans verser aucune indemnité à leurs titulaires, deux industriels fortunés, qui constituèrent sans doute les plus belles collections du monde en tableaux de peintres impressionnistes. Elles appartiennent depuis lors à l'Etat russe. Elles sont exposées, notamment, au musée de l'Ermitage de Saint Petesbourg et au musée Pouchkine à Moscou. Serguei Chtchoukine et Ivan Molotov ont dû fuir et se réfugier en Europe: le premier se suicide à Paris, le deuxième meurt à Carlsbad (Tchéquie). Les descendants essaient de récupérer des toiles et des biens mais les tribunaux confrontés à un acte de souveraineté d'Etat se déclarent incompétents.
C'est la même expérience vécue après la guerre par des familles juives dont les biens ont été spoliés par les Nazis ou leurs collaborateurs dans les pays occupés et, après la guerre, ont été nationalisés lors de l'avènement au pouvoir des régimes communistes. A l'exemple de la famille du grand collectionneur Lipot Herzog, persécutée en tant que juive, obligée de se réfugier aux Etats-Unis, dont les descendants ne sont pas parvenus même devant les tribunaux américains à récupérer les oeuvres maîtresses de cette collection, pendues actuellement aux cimaises du musée national à Budapest.
A partir des années 2000, les oligarques russes, la garde rapprochée de Poutine, commencent à acheter des biens immobiliers à tour de bras sur la Côte d'Azur, la Côte basque et dans les stations de ski des Alpes. L'origine cupide voir criminelle de leurs avoirs, issus de la corruption, est connue et commentée de tous. Mais les contrôles fiscaux français, généralement agiles en ce qui concerne l'origine suspecte de fortunes en France, sont alors aux abonnés absents. En Europe rares sont les pays, telle l'Allemagne, qui imposent aux sociétés étrangères qui achètent des biens immobiliers de révéler l'identité de leurs acheteurs. Et, dans ma région, entre Menton et Cannes, les achats immobiliers se succèdent depuis 2003, souvent au tiers du prix réel d'un marché inflationniste, selon des procédés abscons, sans qu'aucune autorité n'ait jamais manifesté une velléité d'enquête. En réalité, maires, banquiers, cabinets de conseil, agents immobiliers, notaires, avocats, entreprises de construction et de rénovation, restaurants, plages privées, chantiers navals et arsenaux participent allègrement de cet afflux insolite de "nouveaux riches" , dépourvus de moralité, dont les méthodes corruptrices séduisent. Ainsi, le port de Villefranche sur mer se targue de recevoir en cadeau d'un oligarque une pilotine , bateau chargé de recueillir ou d'emmener les pilotes des gros navires et yachts qui relâchent dans la baie. Les maires des communes maritimes reçoivent des dons pour " leurs pauvres" selon l'expression consacrée, sans que ce lien soit implicitement reconnu, aux autorisations de construction, de ravalement ou de rénovation octroyées par les mairies. L'ONG anticorruption, Transparency International, a déposé plainte le 20 mai dernier, au Parquet National Financier, afin de dévoiler ce système et ses implications en France. Plus des deux tiers de la presqu'île dite "des milliardaires", Saint Jean Cap Ferrat, sont aux mains de sociétés offshores souvent opaques et occultes.
Aujourd'hui, avec la guerre en Ukraine, la presse "découvre" l'ampleur de la présence russe, laquelle s'inscrit par ailleurs dans un héritage historique ancien, et les autorités françaises annoncent en rétorsion, au diapason de l'Union européenne, le "gel" ou la "saisie" des biens des principaux oligarques russes qui ont tous pignon sur rue à Monaco et résidences sur la Côte (à l'image de Boris et son frère Arkadi Rotenberg, amis d'enfance de Poutine, , résidents monégasques, propriétaires de résidences à Eze et à Saint Jean Cap Ferrat; le milliardaire Souleyman Kerimov, propriétaire de quatre résidences au Cap d'Antibes; l'ex-gendre de Poutine, Kirill Shamalov, au Cap Martin, fils du banquier personnel de Poutine, Nikolaï Terentlevitch Shamalov; le président du Comité Olympique russe et membre de la Douma, Alexander Dmitriyevich Zhuzov; Roman Abramovich, propriétaire du château de la Croë au cap d'Antibes; Andrei Melnichenko, propriétaire de trois résidences au cap d'Antibes également (boulevard de Bacon, avenue André-Sella, chemin de la Garoupe); Viktor Rashnikov, propriétaire à Villefranche sur mer et à Saint Jean Cap Ferrat (villa Nellcote); Dmitry Konov, l'ex-patron de François Fillon, propriétaire à Cannes de s villas Canne et Adastra; Gennady Timchenko, au Lavandou, au cap Nègre; Oleg Deripaska, propriétaire à Saint-Tropez comme le banquier Mikhaïl Fridman, et tant d'autres (le sénateur Vadim Moshkovich; le président de Stroytransgaz, Dmitry Konov; Alicher Ousmanov; Alexeï Kuzmichev; Alisher Ousmanov, Alexander Ponomarenko etc..). L'équipe de football, l'AS Monaco, est entre les mains d'un oligarque russe, proche de Poutine, Dmitri Rybolovlev. Un grand nombre de sociétés de façades, propriétaires de ces biens immobiliers sur la Côte, sont domiciliées à Monaco qui n'applique pas les sanctions décrétées par l'Union européenne.
"Geler" les biens d'une liste d'oligarques proches du pouvoir n'a aucune incidence quant à la propriété des biens. Ils sont et restent la propriété des oligarques russes. Ceux-ci s'arment tranquillement de patience et attendent la fin du conflit. Ils ont déménagé leurs familles et leurs yachts provisoirement à Dubaï et à Chypre, dont les autorités ne se sont pas ralliées aux sanctions occidentales. Il est urgent aujourd'hui de passer d'une procédure administrative, purement conservatoire, à une procédure pénale et législative qui autoriserait un transfert de propriété.
Ce qu'il faut ce sont:
- un ultimatum adressé par le gouvernement aux sociétés françaises qui se récusent à ce jour à vendre leurs actifs en Russie ( Décathlon, Auchan et Leroy Merlin de la famille Mulliez; magasins Yves Rocher en dépit de l'assignation de la société devant le tribunal de Paris par des employés; groupe Accor dont le conseil d'Administration compte Nicolas Sarkozy; L'Oréal, Danone, Renault...) et aux ex-dirigeants français qui ont trouvé ou trouvent emploi auprès du pouvoir russe pour cesser leur coopération lucrative, procédant de leurs relations et leur savoir-faire (Maurice Leroy, l'un des vice président de Mosinzproekt, entreprise municipale qui réalise les infrastructures du Grand Moscou, ex-ministre de la Ville du gouvernement Sarkozy, décoré dans l'Ordre de la Légion d'Honneur par Nicolas Sarkozy en décembre 2021; François Fillon, l'ancien premier Ministre, membre des conseils d'administration de deux entreprises pétrolières russes, Sibur et Zabrubezhneft; Nicolas Sarkozy assistant-conseil auprès du groupe russe Reso-Garantia dans lequel l'assureur français Axa détient une participation de 38,6%; Dominique Strauss Kahn membre du conseil de surveillance du Fonds russe des investissements directs depuis 2013 etc..).
- une disposition législative qui réquisitionne au profit de l'Etat et nationalise les biens appartenant aux oligarques ciblés. Ces biens pourront être ensuite vendus en toute légalité -s'agissant d'un acte souverain d'Etat - et le résultat de la vente pourrait être réparti sur les municipalités ayant consenti un effort important dans l'accueil des quelque 100 000 réfugiés ukrainiens abrités en France.
Compte-tenu de la parenté étroite entre Poutine et les oligarques ciblés, le Kremlin adoptera des mesures de rétorsion sur les biens des sociétés françaises en Russie, lesquels seront sans doute nationalisés. Il appartiendra alors au gouvernement français, en fonction de l'ultimatum qu'il adressé à ces sociétés, de leur offrir ou non une indemnisation ou une compensation.
Le "gel" ou la "saisie" des biens de ces oligarques n'est qu'une demi mesure sans portée réelle. La preuve en est que je vois tous les jours dans les principales propriétés visées soit des familles russes en villégiature estivale soit des travaux de rénovation, d'extension et de ravalement curieusement menés par des ouvriers ...russes! Et en mai dernier, il a fallu moins de quatre jours pour que la police arrête et défère au parquet deux couples d'Ukrainiens qui venaient de squatter en signe de protestation politique la résidence luxueuse d'un oligarque en l'absence de son propriétaire en séjour à Moscou, située avenue Germaine dans le quartier chic du Mont-Boron, à Nice.