Car c’est d’abord de cela qu’il s’agit : une réforme dont Emmanuel Macron a fait sa chose. Ce sera « le seul texte de la mandature proposé par le président de la République et pas par un ministre » vient de rappeler Christophe Castaner aux députés de la majorité. Ceux-ci ont semble-t-il tout loisir pour multiplier les amendements souvent très personnels (304 sur les 18 articles du projet). Mais le 10 juillet, le Président sifflera la fin de la récréation : il s’exprimera devant les parlementaires réunis en congrès à Versailles. Et c’est le lendemain même que débutera l’examen du projet en séance plénière à l’Assemblée Nationale. Cet agenda résume à lui seul le tour présidentialiste déjà imprimé sur ce processus de révision.
D’ici le 11 juillet le congrès s’amuse. Les députés En Marche de la Commission des Lois font donc preuve d’une belle créativité en usant du droit d’amendement (promis pourtant à une sérieuse réduction en fin de parcours). On y trouve pêle-mêle, des propositions sur la restriction (à 35) du nombre de ministres et l’invention d’un vice-Premier ministre chargé du développement durable, la reconnaissance des langues régionales, la traduction de l’écriture inclusive dans le texte même de la Loi fondamentale, le remplacement du mot « race » par celui de « sexe » pour définir l’absence de distinction des citoyens devant la loi. S’y ajoute l’inscription de la « défense de l’environnement » à l’article 1 et la neutralité du Net (ou une Charte du Numérique) dans le Préambule.
On observera la rareté des amendements de la majorité touchant à l’organisation des pouvoirs publics tels ceux visant à la suppression du 49.3 (proposé par le PC) ou le référendum d’initiative citoyenne (par la France Insoumise). Le socle proprement constitutionnel défini à l’origine (la composition du Conseil Constitutionnel, la nomination des magistrats, le droit d’expérimentation des collectivités locales, la transformation du Conseil économique, social et environnemental) reste en dehors de l’imagination des parlementaires majoritaires.
Si bien que leur travail peut s’assimiler à une sorte de Concours Lépine, cette compétition lancée en 1901 par le préfet de Police d’alors et qui voit chaque année se bousculer les inventeurs en tout genre. Pourquoi pas ? Mais alors, il n’y avait pas de raison de rester enfermé dans le cercle des parlementaires. Un Forum numérique national aurait très bien pu s’ouvrir à tous les citoyens. Régulé pas un comité pluraliste (d’experts, de juristes, de citoyens tirés au sort) il aurait pu être autrement plus productif en traitant des questions de distribution et séparation de pouvoirs, mais aussi de droits fondamentaux.
Mais voilà : moins que jamais il n’aura été question d’une quelconque ouverture. Même pas à une commission de préparation des travaux comme on en a connue lors des précédentes révisions (même Sarkozy y avait sacrifié). Emmanuel Macron s’est d’abord enfermé dans un tête à tête avec le président du Sénat au cours duquel il n’a cessé de réviser à la baisse ses ambitions de changement (vois les onze chroniques publiées ici depuis un an). Puis il a découpé en tranches son projet : les questions sensibles comme la réduction du cumul des mandats dans le temps, la dose de proportionnelle aux Législatives, la réduction du nombre de parlementaires feront l’objet de deux autres projets de loi (ordinaire et organique) débattus à la rentrée. Il a chemin faisant, abattu de nouvelles cartes, radicalement antiparlementaires. Ainsi reprend-il le flambeau de la restriction du droit d’amendement, tel que porté par tous les Exécutifs successifs au motif –éculé- de l’efficacité législative (voir mon billet du 11 décembre 2008 -dix ans déjà!- : Droit d’amendement. Le spectre de M. Smith). Enfin il a oublié son idée d’un moment : le vote par référendum de cette révision, faisant les citoyens juges et arbitres de son contenu. Cette réforme avortée a une vérité : c’est un pas de plus franchi dans le rabaissement du Parlement, à un niveau inégalé ailleurs en Europe. C’est une régression de la démocratie représentative (rien sur la démocratie participative) dans notre pays. C’est un moment qui laisse intact le désir et le besoin d’une nouvelle République.